Sr Véronique Margron et M. Garapon © Corref

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Conférence des religieux et religieuses de France: «Responsables pour l’avenir»

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Les décisions de l’assemblée de Lourdes

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Les religieux et religieuses de France créent une commission indépendante, pour les cas d’abus sexuels, comme l’annonce ce communiqué, publié ce vendredi 19 novembre 2021, à l’issue de leur assemblée de Lourdes.

COMMUNIQUE DE PRESSE

à l’issue de l’assemblée générale de

La conférence des religieux et religieuses de France

« Responsables pour l’avenir »

Lourdes 15 – 19 novembre 2021

Déroulement de notre Assemblée

Dans la suite directe de la réception du rapport de la CIASE et de ses recommandations, les travaux de cette assemblée ont été empreints avant tout d’une grande gratitude envers M. Jean Marc Sauvé et l’ensemble de la commission indépendante pour les abus sexuels dans l’Église. Nous mesurons combien ce travail colossal, rigoureux, respectueux, humain, habité de part en part de la parole, de la vie, de l’expertise des personnes victimes est pour nous tous une force. Ce qu’il dévoile des tragédies humaines doit continuer à nous poursuivre et à nous rendre sensibles. Ce qu’il démontre de faillite de nos institutions à protéger les personnes en situation de vulnérabilité, mineures ou majeures comme à repérer les « signaux faibles » menant aux abus destructeurs de liberté et de dignité jusqu’aux atteintes sexuelles et à leurs conséquences traumatiques vient encore interroger l’ensemble de nos pratiques, de gouvernance spécialement.

Nous avons eu la grande chance de recevoir Jean Marc Sauvé, dans une conversation avec le p. Patrick Goujon, jésuite, philosophe et victime lui-même dans son enfance d’un prêtre. Tous deux ont fortement manifesté l’importance de la reconnaissance de responsabilité collective, institutionnelle. Mais aussi de la responsabilité personnelle, chaque fois qu’elle est engagée.

Nous avons eu aussi le privilège de recevoir Sr Véronica Openibo, Sr Mary Lembo et le père Stéphane Joulain, afin de traiter de la difficile question des atteintes sexuelles, spécialement en Afrique. La Corref rappelle que beaucoup de nos instituts sont internationaux ; notre inquiétude comme notre engagement ne peuvent donc se limiter à nos frontières. Sur ce continent les victimes sont d’abord les petites filles, et les adultes vulnérables, telles les veuves et les femmes pauvres. On retrouve en Afrique les mêmes facteurs qui ont participé de ces crimes : silence obligé, déplacement des prêtres, peur du scandale. « nous sommes tous coupables car nous nous sommes tus, par notre silence nous avons permis que ces crimes se répètent. Nous avons été des observateurs complaisants voire partenaires de ces crimes. » dit avec force Sr Veronica Openibo. Appel absolu à la conversion du cœur et à une transformation radicale. Tous trois font preuve d’un engagement sans faille pour la protection de la dignité, de l’intégrité et de la liberté de toute personne, spécialement les femmes, dont les religieuses. Leur combat est source du courage.

Plus globalement, nos échanges ont été empreints de simplicité, de liberté et de cordialité, au sein de notre grande diversité et de nos sensibilités de femmes et d’hommes. Si nous nous sommes à nouveau confrontés au plus sombre, cela n’a pas empêché, au contraire peut-être, la force de l’expérience de la fraternité et de l’engagement de tous.

Décisions

Dans le cadre de l’engagement pris lors de l’assemblée des 19 et 20 avril 2021, en faveur de la justice réparatrice, et du travail mené par la Corref depuis plus de deux ans, dans l’écoute du rapport de la CIASE,

Avec unanimité, la Corref a voté la mise en place d’une Commission indépendante reconnaissance et réparation (CRR).

Cette commission aura pour mission d’être un « tiers de justice ».

Les décennies passées nous ont montré l’impossibilité de demeurer juge et partie, ce que le rapport de la CIASE décrit comme une des causes majeures de la surdité cruelle aux victimes ou/et de la non-adéquation de nos décisions.

La Commission accueillera et écouter toute personne victime d’un membre d’un institut religieux.

Elle se prononcera sur la vraisemblance de son récit, en lien avec l’institut religieux concerné. La reconnaissance des faits, des responsabilités et des conséquences traumatiques sur l’existence sur la personne victime est le premier acte de justice et de réparation.

En se situant au plus près de l’histoire singulière de chacun, la Commission engagera, à la demande de la victime, un processus de médiation avec l’institut religieux concerné.

Cette médiation individualisée aura pour objet de répondre au mieux à ce qui peut soutenir aujourd’hui l’existence de la personne victime. La demande de celle-ci peut être d’ordre patrimonial ou non.

La médiation impose l’accord des deux parties, ce que la commission, via ses membres ou des médiateurs choisis par elle, s’efforcera de trouver. Cet aspect de la réparation donnera alors lieu à un accord écrit entre la congrégation et la victime. L’institut assumant la charge financière.
Par ailleurs,

La commission mettra en place en centre d’archives, de ressources et de recherche.

Il s’agit ici que les témoignages des victimes, de leurs proches aussi, autant que la façon dont ces situations ont été – ou on – préalablement traitées, servent pour l’avenir. Qu’ils puissent être recensés, étudiés, afin de donner lieu ensemble à des communications et des formations à destination des instituts religieux. Que le don fait par les victimes de leur douloureuse parole puisse ainsi participer du « plus jamais » est aussi une forme de justice réparatrice.

Dans cette même ligne la Commission aura à cœur de sensibiliser les instituts, participant ainsi à l’indispensable œuvre de prévention.

Enfin, la Commission sera en lien avec l’instance nationale créée par les Évêques de France, afin que dans toute la mesure du possible les mêmes règles et les mêmes principes » s’appliquent. (cf. Recommandation 32 du rapport de la CIASE)

Le président de la Commission nommé pour 4 ans, par la présidente de la CORREF après avis de son conseil, est M. Antoine Garapon, magistrat honoraire.

Il composera sa commission en toute indépendance, en fonction des objectifs donnés par cette assemblée générale. La commission disposera de bureaux indépendants et des moyens nécessaires à son travail. Son budget sera entièrement assumé par la CORREF.

L’assemblée générale décide de la création d’un fond de réparation subsidiaire Fonds de réparation en faveur des victimes d’abus sexuels de la part de religieux ou de religieuses.

Il peut en effet arriver que des personnes victimes l’aient été d’instituts qui se sont éteints ou d’institut dont la défaillance financière serait avérée. La Commission pourrait alors se tourner vers ce fond pour honorer la possible réparation financière. I

Il sera alimenté exclusivement par la solidarité des instituts religieux membres de la CORREF. La CORREF en est l’unique membre. Le Père Marc Botzung, ancien vice-président de la CORREF, membre de la congrégation du Saint-Esprit en a accepté la présidence.

Des chantiers

À la suite de ses travaux durant cette Assemblée, prenant en compte les recommandations de la CIASE, afin de mieux comprendre comment nous en sommes arrivés à une telle faillite et afin de prévenir les abus de demain, la CORREF organisera 4 groupes de travail pluridisciplinaire avec un agenda, sur :

Les abus interrogent les charismes spirituels (recommandation 5)

Le rapport de la CIASE relève combien tout charisme est subordonné à la charité. La Commission demande que nous identifiions toutes les formes dévoyées de charisme (…) et toutes les confusions possibles entre séduction et charisme.

Le groupe de travail devra spécialement prendre en compte :

la nécessité de reprendre une théologie du charisme au regard des abus et des dévoiements.
Le statut du fondateur, de la fondatrice. Qu’est-ce réellement un fondateur?
L’importance de visites qui assurent un authentique discernement et contrôle.
L’obligation de repérer ce qui est facteur de risques et facteurs de protection et de liberté.
L’importance du droit face aux abus.

L’accueil, le discernement, l’accompagnement des candidates et candidats à la vie religieuse (recommandations 1a, 3 b, 4a, 5e, 6, 36, 44)

Le rapport montre combien ces temps sont ceux de possibles vulnérabilités et demandent donc une attention accrue afin d’honorer la liberté, spécialement la liberté de conscience, la formation intellectuelle autant qu’humaine, avec des compétences avérées et pluridisciplinaires.

Le groupe devra spécialement prendre en compte :

Un guide de bonnes pratiques de l’accompagnement spirituel
Favoriser les regards extérieurs dans les étapes de formation à la vie religieuse.
Ne pas mélanger les rôles afin de préserver la liberté
Former l’esprit critique.
Favoriser les rencontres entre novices et religieux/ses en formation de traditions religieuses différentes.
L’obligation de formateurs compétents et pluridisciplinaires.

La gouvernance (Recommandations 3, 13, 34, 35.)

Le rapport montre combien la gouvernance doit être interrogée et réformée car c’est le déni des forfaits commis, voire la complicité active ou passive qui a rendu possible la réitération de ces crimes et l’impunité des auteurs.

Le groupe de travail devra spécialement prendre en compte :

La maîtrise des risques : sur quoi, comment avec qui.
Cartographie des risques d’abus de pouvoir et d’autorité.
Le nécessaire contrôle interne et externe de la gouvernance qui doit être décliné pour la vie religieuse.
L’importance des visites canoniques régulières comme lieu d’évaluation
Favoriser les formations réalisées avec d’autres
Penser à de nouveaux modèles de gouvernance, en tenant compte des traditions spirituelles.
Difficulté du trop de solitude de beaucoup de supérieurs.
Pratiquer plus de synodalité

La proposition de la CIASE des « entretiens annuels »

Le suivi des auteurs (recommandations 1b, 1c, 1d, 5b, 7b, 8c, 9b)
Le rapport manifeste avec force l’incapacité qu’a eue l’Église à signaler les auteurs, mais aussi à les suivre. Cette situation favorisant la récidive et le sentiment d’impunité et de toute puissance.

Le groupe de travail devra spécialement prendre en compte :

Réfléchir sur la possibilité d’entrer dans les protocoles entre les diocèses et les Parquets.
Penser un guide de bonnes pratiques pour le responsable d’institut qui doit faire face à une situation
Question de l’accueil de prêtre mis en cause dans des communautés religieuses.
La nécessité de disposer de ressources nécessaires, humaines, documentaires, pour faire face avec justesse et rigueur à des situations d’abus. Y compris dans l’évaluation des risques.
Pouvoir externaliser le « traitement de la situation » afin que le supérieur qui est frère de ses frères ne se retrouve pas en position aussi de juge.
Créer des structures d’accueil et de suivi des auteurs d’agressions sexuelles et se rapprocher des structures médicales et sociales.
Interroger la justesse éthique des peines ecclésiastiques par rapport aux victimes et au peuple de Dieu.

Enfin, la CORREF poursuivra pleinement sa collaboration avec les commissions et groupes de travail mis en place par la conférence des évêques.

La Corref remercie une fois de plus les témoins présents à notre Assemblée. Ils nous font le don précieux de leur parole, de leur participation, de leur simplicité. C’est pour nous une force inouïe car nous savons qu’à travers eux, il nous faut rejoindre et faire justice à celle et ceux que nous ne connaissons pas et qui souvent ne veulent plus rien avoir à faire avec l’Église. L’amitié exigeante et intranquille des témoins qui nous sont présents est un aiguillon indispensable et que nous ne voulons perdre en aucun cas. Que ces témoins, qui portent en leur chair la marque vive de la douleur, soient encore remerciés. Nous leur devons, comme aussi aux sœurs et frères de nos communautés, de mettre en œuvre avec efficacité et rigueur nos décisions. Ils seront nos vigies.

Sr Véronique Margron, op.

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Rédaction

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