Mgr Richard P. Gallagher, capture Vatican Media

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ONU: Mgr Gallagher plaide pour une «nouvelle éthique du bien commun» (traduction complète)

Intervention à la Conférence ministérielle de la CNUCED

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La pandémie « a mis en évidence de manière spectaculaire les failles et les fragilités du modèle économique dominant », a déploré Mgr Paul Richard Gallagher, secrétaire pour les relations avec les Etats du Saint-Siège, devant la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. Il préconise « une nouvelle éthique du bien commun ».

Mgr Gallagher est intervenu ce mardi 5 octobre 2021, à la XVe Conférence ministérielle de la CNUCED, qui se déroule à Bridgetown, du 3 au 7 octobre, sur le thème« De l’inégalité et de la vulnérabilité à la prospérité pour tous ».

Cette nouvelle éthique du bien commun, a souligné Mgr Gallagher, « constitue la base de l’élaboration de politiques capables à la fois de s’attaquer aux inégalités structurelles qui sont à l’origine de notre monde profondément divisé et de plus en plus fragile et de libérer l’esprit d’ingéniosité et de créativité de l’homme, dont nous avons besoin de toute urgence pour mieux reconstruire après les ravages de la pandémie de Covid-19 ».

Le secrétaire pour les relations avec les Etats a exhorté à « retrouver la notion d’interdépendance » et à « reconstruire le multilatéralisme autour des idéaux de justice sociale et de responsabilité mutuelle entre et au sein des nations » en vue de « calibrer l’économie mondiale vers une vision du XXIe siècle de stabilité, de prospérité partagée et de durabilité environnementale ».

Voici notre traduction de l’intervention de Mgr Paul Richard Gallagher, prononcée en anglais.

Intervention de Mgr Gallagher

Madame la Présidente,

Le Saint-Siège souhaite tout d’abord remercier le gouvernement de la Barbade qui accueille virtuellement cette Conférence ministérielle. Nous souhaitons également exprimer nos sincères félicitations à Mme Rebecca Grynspan pour sa nomination au poste de Secrétaire général de la CNUCED. Il est certain que les États réunis dans le cadre de cette Conférence ministérielle restent fermement convaincus que notre collaboration historique permettra de faire progresser l’objectif central de cette Conférence : « La prospérité pour tous ».

La situation mondiale liée à la Covid-19 a entraîné la plus grave récession depuis la Seconde Guerre mondiale. Si la pandémie a touché tout le monde, ses retombées, en termes de santé et de moyens de subsistance, ont affecté de manière disproportionnée les personnes les plus vulnérables. Même dans les pays à revenu élevé, l’impact économique a été très variable. Ceux qui disposaient de compétences numériques et d’actifs financiers ont progressé, tandis que ceux qui n’avaient pas ces ressources ont pris du retard, et les femmes, les jeunes et les migrants ont été les plus durement touchés. Les dégâts dans les pays en développement, où la marge de manœuvre budgétaire est limitée, ont été encore plus importants, les niveaux de pauvreté et l’insécurité alimentaire augmentant malgré des années de progrès dans ces domaines.

Ainsi, la pandémie a mis en évidence de manière spectaculaire les failles et les fragilités du modèle économique dominant. Comme l’a noté le pape François, ce modèle « renforce l’identité des plus puissants, qui peuvent se protéger, mais tend à diminuer l’identité des régions plus faibles et plus pauvres, les rendant plus vulnérables et dépendantes. De cette façon, la vie politique devient de plus en plus fragile face aux pouvoirs économiques transnationaux qui opèrent selon le principe “diviser pour régner” ». (Fratelli tutti, n. 12)

En outre, l’extrême inégalité est réapparue comme une caractéristique dominante du monde contemporain. De nombreux facteurs peuvent expliquer la détérioration progressive de ce scénario, tant au sein des pays qu’entre eux. L’évolution technologique et l’hypermondialisation ont contribué à une baisse des salaires réels des travailleurs ainsi qu’à une désindustrialisation accélérée, entraînant la disparition de nombreux centres manufacturiers. Néanmoins, la technologie peut difficilement expliquer à elle seule des changements de l’ampleur de ceux observés au cours des dernières décennies. Les marchés financiers non réglementés et les institutions ayant des horizons à court terme ont été un facteur catalyseur de ces tendances.

L’urgence générée par la pandémie a remis en cause, sans l’éliminer, cette attitude. La baisse des salaires a plongé des millions de personnes dans la pauvreté, ce qui a fait reculer les objectifs de réduction de la pauvreté de près d’une décennie. En fait, les failles de l’économie mondiale ont été mises à nu de manière spectaculaire. En outre, les personnes qui se trouvaient déjà dans des situations vulnérables, c’est-à-dire celles qui étaient confrontées à de graves difficultés financières avant la pandémie, ont été touchées de manière disproportionnée par ses retombées.

Réponses aux dimensions interdépendantes des inégalités

Cette crise offre une opportunité unique de changement durable. Dans le scénario actuel, pire encore que la crise elle-même, serait la tragédie de gaspiller les leçons potentielles apprises en nous repliant sur nous-mêmes. La famille humaine a l’occasion « d’aller au-delà des solutions technologiques ou financières à court terme et de tenir pleinement compte de la dimension éthique dans la recherche de solutions aux problèmes actuels ou dans la proposition d’initiatives pour l’avenir », en visant un authentique développement humain intégral qui ne peut être atteint que « lorsque tous les membres de la famille humaine sont inclus dans la recherche du bien commun et peuvent y contribuer » (1), comme l’a déclaré le pape François. Pour aller dans cette direction et réaliser des progrès substantiels en matière d’inclusion économique et sociale, il faudra toutefois opérer d’importants changements politiques et réglementaires dans plusieurs domaines.

Premièrement, la lutte contre l’inégalité galopante ne peut se faire sans une redistribution fiscale et une augmentation de la progressivité des barèmes d’imposition des revenus. Une application adéquate de l’impôt sur les sociétés, en particulier les entreprises multinationales (EMN), est tout aussi importante. Une meilleure fiscalité peut redistribuer une partie des rentes dont bénéficient les grandes entreprises et contribuer à la constitution d’assiettes fiscales, notamment dans les pays en développement. Néanmoins, cela ne résout pas les problèmes structurels, tels que l’écart de productivité persistant entre les petites et moyennes entreprises (PME) et les grandes entreprises, qui est un facteur important de l’augmentation observée des inégalités, y compris des inégalités salariales.

La pandémie de Covid-19 a non seulement accru les inégalités au sein des pays, mais elle a également bouleversé les budgets publics de nombreuses économies en développement, exposant leurs dettes souveraines à l’instabilité financière mondiale. Ces économies ont été confrontées à plus de limitations que les pays développés dans leurs efforts pour mobiliser les ressources fiscales nationales afin de répondre à la pandémie.

Il s’agit là d’un exemple supplémentaire de la dangereuse fracture mondiale entre les nantis et les démunis. La décision du G20 et du Club de Paris de suspendre le remboursement du service de la dette bilatérale d’un certain nombre de pays en développement vulnérables a constitué un premier pas vers le dépassement de ce fossé.

Une approche multilatérale beaucoup plus ambitieuse de la restructuration et de l’allègement de la dette est nécessaire. Elle devrait viser à établir des calendriers de remboursement substantiels pour les dettes extérieures publiques des économies en développement, tout en élargissant l’utilisation des droits de tirage spéciaux (DTS) et de l’aide publique au développement (APD) pour soutenir les stratégies de développement nationales. Comme l’a déclaré le pape François, « il est important que l’éthique joue à nouveau le rôle qui lui revient dans le monde de la finance et que les marchés servent les intérêts des peuples et le bien commun de l’humanité » (2). En fait, nous devrions réaffirmer que faciliter la bonne gouvernance mondiale est un ingrédient essentiel pour un environnement international capable de promouvoir le développement durable.

Une approche plus ambitieuse et un rééquilibrage du système multilatéral sont également nécessaires pour permettre aux pays en développement d’exploiter l’espace politique pour la transformation structurelle et la convergence. L’inégalité, en effet, bloque davantage leur intégration réussie dans l’économie mondiale. Renforcer la coopération internationale et fournir à chaque pays les moyens adéquats pour faire face aux défis actuels représenterait un investissement dans la résilience systémique.

La santé et l’accès aux médicaments et aux vaccins constituent un autre domaine caractérisé par des inégalités importantes qui pourraient avoir des répercussions considérables à l’avenir et présenter des risques dangereux pour la résilience systémique. Dans le scénario de pandémie qui évolue rapidement, une dérogation aux règles de propriété intellectuelle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), telle que proposée par l’Afrique du Sud et l’Inde, et soutenue dès le début par le Saint-Siège, serait une étape vitale et nécessaire pour mettre fin à cette pandémie, en permettant un accès adéquat et rapide aux vaccins, aux diagnostics et aux traitements pour tous les pays. En particulier, étant donné les différentes technologies et les défis liés aux vaccins Covid-19, une telle dérogation devrait être combinée avec la garantie d’un partage ouvert du savoir-faire et de la technologie des vaccins.

Enfin, dans la quête de la stabilisation du climat et de la justice climatique, les investissements nécessaires à la décarbonation de nos économies et la mise à disposition de fonds suffisants à cette fin, représentent une opportunité de canaliser les ressources vers les secteurs qui ont le plus besoin de restructuration industrielle. En outre, il est crucial que nous trouvions des moyens de concilier la politique climatique, industrielle et sociale dans une perspective stratégique et intégrale. Compte tenu des tendances climatiques actuelles, la transformation vers une économie plus durable exige de renforcer la capacité des pays et des économies à s’adapter à des températures plus élevées, ce qui nécessite de mieux comprendre comment le commerce et le développement seront affectés par un monde plus chaud. L’atténuation et l’adaptation sont les deux faces d’une même médaille dans la lutte contre le réchauffement climatique, et il convient de les compléter en facilitant une mise en œuvre adéquate dans les pays en développement.

Conclusion

L’extrême inégalité qui est apparue au cours des dernières décennies est sous-tendue par une idéologie individualiste qui a abandonné la notion de bien commun dans une maison commune avec des horizons communs. L’investissement et la prospérité ont été dissociés des notions de contrat social et d’engagement en faveur d’une société solidaire ; aujourd’hui, ils sont plutôt perçus sous le seul angle des sources de profit. Le pape François a averti que L’« individualisme radical est un virus extrêmement difficile à éliminer, car il est intelligent. Il nous fait croire que tout consiste à donner libre cours à nos propres ambitions, comme si en poursuivant des ambitions toujours plus grandes et en créant des filets de sécurité, nous allions en quelque sorte servir le bien commun » (Fratelli tutti, 105).

Dans ce contexte, la dette mutuelle est devenue le ciment de nos communautés de plus en plus segmentées et anxieuses. Cependant, alors que de plus en plus de ménages, d’entreprises et de gouvernements sont devenus dépendants de l’emprunt, dans un contexte de faible croissance de la productivité, de stagnation des salaires et de précarité de l’emploi, la dette s’est transformée en solvant, corrodant la confiance et la solidarité dont dépend une société juste et saine.

Une telle approche éthique du développement doit s’incarner dans une nouvelle architecture multilatérale qui nous permettrait de tourner la page sur des années d’égoïsme et de perte des valeurs et de la culture civiques. Au cours des quatre dernières décennies, l’hypermondialisation a été le fil conducteur des relations internationales, dans lesquelles le pouvoir territorial des États forts s’est mêlé au pouvoir extraterritorial des grandes entreprises. En conséquence, la communauté internationale a été totalement incapable (ou, pire encore, peu désireuse) de présenter des propositions globales pour atténuer les difficultés des pays les plus pauvres et, en particulier, des communautés les plus démunies.

Compte tenu de l’impact écrasant de la pandémie de Covid-19, l’appel à un partenariat mondial pour le développement durable va bien au-delà de l’engagement moral à « ne laisser personne de côté ».

Dans un monde de plus en plus interconnecté, il doit également être ancré dans une réflexion et une action à long terme concernant les biens publics mondiaux, les retombées potentielles entre les nations et, en définitive, la résilience systémique du monde. Dans cette optique, il est temps de retrouver la notion d’interdépendance et de reconstruire le multilatéralisme autour des idéaux de justice sociale et de responsabilité mutuelle entre et au sein des nations. Ce n’est que de cette manière que nous pouvons espérer calibrer l’économie mondiale vers une vision du XXIe siècle de stabilité, de prospérité partagée et de durabilité environnementale, et assurer un avenir résilient et prospère pour tous.

Madame la Présidente,

Il y a soixante-seize ans, un sentiment de solidarité internationale, d’action (et de sacrifice) collective, ainsi que des efforts locaux ont inspiré et motivé les personnes chargées de construire un monde meilleur après un conflit. Dans ce contexte, la prospérité était considérée comme aussi essentielle que la paix, et assurer l’une était jugé nécessaire pour atteindre l’autre. Guidés par cette vision et ces principes, les États participant à la première Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement à Genève ont exprimé leur détermination « à rechercher un système de coopération économique internationale meilleur et plus efficace, qui permette de bannir la division du monde en zones de pauvreté et d’abondance et d’assurer la prospérité de tous ». Ils ont appelé à l’abolition de la pauvreté partout dans le monde et ont estimé qu’il était essentiel « que les flux du commerce mondial contribuent à éliminer les grandes disparités économiques entre les nations… La tâche du développement », ont-ils ajouté, « est de profiter à l’ensemble de la population » (3).

Sans la CNUCED, le dialogue et la recherche de consensus entre pays en développement et pays développés auraient été moins riches, moins efficaces et moins significatifs. Dans un monde de plus en plus interdépendant, comme le montrent les effets de la pandémie actuelle, le rôle de la CNUCED reste valable et nécessaire si nous voulons maximiser les avantages de la mondialisation et minimiser ses conséquences négatives. Le Saint-Siège estime donc que cette Conférence devrait rester attachée à ses idéaux et se concentrer sur la manière dont la communauté internationale peut garantir que la CNUCED joue pleinement et utilement son rôle de soutien au nouveau programme de développement mondial, en accordant une attention particulière aux besoins des pays et des populations pauvres.

Je vous remercie, Madame la Présidente.

NOTES

Message du pape François au Forum économique mondial, 21 janvier 2021.

2 Discours du pape François aux participants in the Conférence « Impact investing for the poor », Rome 16 juin 2014.

3 Acte final de la CNUCED, adopté le 15 juin 1964. Préambule, §§1, 4.

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Hélène Ginabat

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