Agnès Desmazières © AD

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En attendant le rapport de la CIASE ou « l’espérance en temps de crise », par Agnès Desmazières

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« L’espérance aide à regarder la réalité en face »

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Repérer les surprises de Dieu : l’espérance en temps de crise

Dans quelques jours, nous recevrons le rapport de la Commission Sauvé. Comment cultiver l’espérance, vertu spécialement nécessaire en temps de crise ? L’espérance est théologale : elle nous est donnée par grâce et trouve sa source en Dieu. C’est donc en nous mettant en quête de Dieu, en faisant mémoire des rencontres personnelles que nous avons pu avoir avec Jésus dans nos vies, ou en guettant les signes de sa présence actuelle dans la réalité présente.

Regarder la réalité sous le regard de Dieu

Il s’agit donc d’abord de se tourner vers Dieu, de regarder la réalité à accueillir sous le regard de Dieu qui est un regard de confiance et d’espérance : Dieu espère pour son Peuple, il désire que celui-ci poursuive son chemin vers Lui, qu’il se convertisse. Il est toujours là présent à ses côtés, même si celui-ci s’égare. Il renouvelle sans cesse son invitation à le suivre. La conversion est toujours possible. Nul n’échappe à cette préoccupation d’amour de Dieu qui est aussi respect de la liberté de chacun et de chacune.

Ce n’est pas là un optimisme béat qui tendrait à gommer les aspérités, la noirceur du péché et de ses conséquences sociales. L’espérance aide à regarder la réalité en face, plutôt qu’à l’occulter, car nous voyons une possibilité d’avancer, de surmonter les difficultés, de faire face à la réalité en tout ce qu’elle nous affecte. Et il est bon, nécessaire, que nous soyons affectés par l’ampleur des abus qui ont été commis dans l’Eglise. Soyons attentifs à nos sentiments : que révèlent-ils de notre amour pour nos frères et nos sœurs, pour notre Eglise ? Comment est-ce que je suis choqué, j’éprouve de la honte, de la colère aussi peut-être ? Comment est-ce que je peux aussi déceler un horizon d’espérance pour moi, pour ceux qui m’entourent – et qui ont parfois été victimes d’abus – et pour l’Eglise elle-même, l’Eglise de France et l’Eglise universelle ?

Les deux mille ans d’histoire de l’Eglise sont marqués par le péché, les abus, les manques de cohérence entre l’annonce du message évangélique et sa réalisation dans nos vies et dans les structures mêmes de l’Eglise. C’est un fait, mais cela ne représente en aucun cas une excuse. L’Eglise a vécu des périodes où, ployant sous les crises, son existence pouvait sembler même être remise en cause : il fait bon relire aujourd’hui Irénée de Lyon par exemple. Les abus sexuels contre des enfants et des personnes vulnérables apparaissent toutefois particulièrement abjects et leur dissimulation insoutenable : la perversité humaine y est à son paroxysme. Les interpellations du monde rendent service à l’Eglise dont certains membres, trop préoccupés de la conservation immédiate de l’institution, ont défiguré et continuent de défigurer l’Evangile par leurs abus et la dissimulation de ceux-ci.

Rendons grâce pour ce que ces abus et les politiques de dissimulation qui les ont encouragés soient démasqués. Ne considérons pas pour autant que la publication du rapport de la Ciase résoudra tous les problèmes et que nous pouvons nous tourner les pouces. Les abus ne vont pas en disparaître pour autant, s’il n’y a pas une authentique conversion personnelle et communautaire qui se réalise dans un agir concret, en particulier dans des actes de réparation qui ne relèvent pas d’un symbolique médiatique, mais assument la gravité de l’offense. Prenons garde aux prophètes de malheur qui instrumentalisent les abus pour imposer leur propre agenda, désireux en fait de conquérir le pouvoir dans l’Eglise pour leur petit groupe, leur élite de « purs », sans souci de l’unité et sans désir de conversion pour soi-même et pour son groupe.

Le chemin de purification ne fait que commencer

Le chemin de purification entrepris par l’Eglise n’est pas achevé : L’Eglise est « semper purificanda » (Lumen gentium n. 8), toujours en état de purification et de réforme. Il est ainsi spécialement nécessaire de se pencher sur les abus de pouvoir, de conscience ou encore les abus sociaux qui contreviennent à la justice sociale, et qui gangrènent les structures ecclésiales. L’Eglise n’avancera que si elle se décide à regarder en face la question du pouvoir en son sein, qui est une réalité à laquelle aucune sensibilité ecclésiale n’échappe. La « culture des abus » transcende les clivages gauche-droite, majorité-minorité. Elle s’en nourrit bien plutôt : elle s’entretient dans la volonté de l’emporter sur l’autre, dans l’oubli que l’unité se construit dans un consensus qui se réalise dans un véritable dialogue – et non dans la manipulation – et qui ne gomme pas les différences, mais les situe à leur juste place. A cet égard, une focalisation exclusive sur les « communautés nouvelles » – qui ont certes une responsabilité majeure – risque de contribuer à détourner l’attention des abus commis dans d’autres congrégations religieuses, mouvements ecclésiaux ou associations, parfois plus habiles à masquer les abus de manière très pernicieuse.

Il fait bon aujourd’hui communiquer sur la lutte contre les abus. Mais, y-a-t-il pour autant d’authentiques changements structuraux ? Ne construit-on pas ainsi une belle façade pour faire perdurer les abus ? Il y a là une responsabilité d’information des journalistes. Les journalistes ont eux aussi leur examen de conscience à faire : pourquoi ont-ils tant tardé à communiquer sur les abus sexuels dans l’Eglise ? comment aujourd’hui promouvoir un authentique journalisme d’investigation, impartial ?

Nous sommes aussi amenés à nous interroger sur la place du droit, trop longtemps occulté au nom de la pastoralité. Le pape François le rappelait récemment aux associations de fidèles à l’occasion de la promulgation du décret les concernant. En quoi le droit est-il un pédagogue ? Comment faire pour que les responsables ecclésiaux ne continuent pas d’avoir un sentiment d’impunité, favorisé par leur position de pouvoir ? Comment les éduquer à la reconnaissance de ses torts ?

Repérer les surprises de Dieu

Se tenir dans l’espérance c’est finalement adopter une attitude de guetteur, prompt à accueillir les surprises de Dieu dans sa propre vie, dans celle du prochain et dans celle de l’Eglise. L’Esprit à l’œuvre se donne plus facilement à voir dans l’inattendu, dans la « nouveauté » qui n’est pas superficialité, mais qui ouvre à la conversion du cœur et de l’intelligence. Qui met en chemin, plutôt que de faire du surplace ou de regarder en arrière avec nostalgie.

« C’est dans la nuit la plus obscure que les étoiles se laissent le mieux voir », ai-je entendu une fois dans une homélie. Cette réflexion continue de m’habiter : c’est dans la nuit de nos existences et des vicissitudes que traversent le monde et notre Eglise que l’œuvre de l’Esprit se donne davantage à voir – parfois non pas sur le champ, mais dans l’après. Il y a cette paix gratuite – qui ne vient pas de nous, nous le savons bien – au cœur de la tourmente.

Accueillir ce qui advient, c’est cela « les signes des temps ». Dieu ne se rend pas présent de manière magique, mais dans la réalité de nos existences, de celle du peuple dont nous faisons partie. Il y a un discernement à réaliser : Dieu demande que nous fassions notre part, respecte notre liberté. Les surprises de Dieu sont souvent subtiles, pas toujours faciles à déceler ni à accueillir car elles nous perturbent, ne coïncident pas avec notre agenda. Dieu souvent agit à travers notre prochain qui nous tend la main. Sortons de notre pessimisme qui nous empêche de voir ces surprises et tenons dans l’action de grâce ! En cultivant l’action de grâce, l’on cultive l’espérance : les grâces passées dont je fais mémoire nourrissent mon espérance.

Parmi les « kairoi » donnés pour l’Eglise de France aujourd’hui, il y a la préparation du Synode sur la synodalité. Simple coïncidence ? Effet de la Providence ? Dieu agit en tout. Saisissons cette occasion pour avancer sur le chemin de la conversion personnelle et communautaire, une conversion authentique qui suppose que chacun et chacune, chaque réalité ecclésiale, soit prêt à des remises en cause profondes et non à s’imposer comme des donneurs de leçon. Cela ne se fera pas sans accueillir ces surprises de Dieu, cet inattendu qui ne procède pas d’un agenda préétabli que l’on cherche à dicter par la manipulation. Accueillir les surprises de Dieu, c’est accueillir l’autre qui m’est donné comme compagnon de route, le respecter, me mettre à son écoute. C’est accueillir le temps, temps d’attente et d’incertitude, mais aussi temps de croissance, de germination.

 

Agnès Desmazières enseigne la théologie au Centre Sèvres (Paris, France) et elle a réfléchi notamment à la pensée du dialogue du pape François dans son livre « Le dialogue pour surmonter la crise : le pari réformateur du pape François » (Salvator 2019), avec une préface du p. Alain Thomasset, s.j. et une postface du p. François-Marie Léthel, ocd.

La théologienne française a aussi réfléchi, entre autres, à l’apostolat des laïcs et à la co-responsabilité des baptisés, et donc des femmes dans l’Eglise: des propos qui sont autant de pierres d’attente pour la réflexion du prochain synode des évêques, en octobre 2022, sur la « synodalité ».

Auteure de L’heure des laïcs : Proximité et coresponsabilité (Salvator, 2021), Agnès Desmazières, analyse des enjeux pour la « coresponsabilité effective » des baptisés dans la vie de l’Eglise. 

 

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Rédaction

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