Rencontre oecuménique à Bratislava © Vatican Media

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Chrétiens de Slovaquie : le pape encourage à promouvoir « la liberté » et « la contemplation »

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Rencontre œcuménique de Bratislava (traduction officielle)

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Ne pas tomber « dans le piège de se contenter de pain et de rien d’autre », ni « de mener une vie tranquille ». A son arrivée en Slovaquie, le pape François a mis en garde contre « la tentation de redevenir esclaves, certes, non pas d’un régime, mais d’un esclavage encore pire, l’esclavage intérieur ».

C’était le premier rendez-vous officiel du pape, qui a atterri aux alentours de 15h30 à Bratislava : une rencontre oecuménique à la nonciature apostolique, ce 12 septembre 2021, dans le cadre de son 34e voyage apostolique qui avait débuté le matin en Hongrie.

Devant une dizaine de représentants des communautés chrétiennes du pays – Eglises luthérienne, orthodoxe, méthodiste, Hussite, baptiste, vétéro-catholique, apostolique – mais aussi juives, le pape a encouragé particulièrement à « vivre la foi comme des personnes libres ».

« Au coeur de l’Europe, s’est attristé le pape, on en vient à se demander : nous chrétiens, n’avons-nous pas un peu perdu l’ardeur de l’annonce et la prophétie du témoignage ? Est-ce la Vérité de l’Evangile qui nous rend libres, ou bien nous sentons-nous libres lorsque nous nous dégageons des comfort zone qui nous permettent de nous gérer et d’avancer sereinement sans contrecoups particuliers ? »

Saluant le « trait contemplatif » des peuples slaves, qui « va au-delà des conceptualisations philosophiques et même théologiques, et qui sait accueillir le mystère », le pape a encouragé les Slovaques : « Aidez-vous à cultiver cette tradition spirituelle dont l’Europe a tant besoin. »

Il a aussi plaidé pour « l’action » au service des plus pauvres : « L’unité ne s’obtient pas tant avec de bonnes intentions ni par l’adhésion à quelques valeurs communes, mais en faisant quelque chose ensemble pour ceux qui nous rapprochent davantage du Seigneur. »

Après cette rencontre, le pape devait voir en privé les jésuites slovaques.

Discours du pape François 

Chers Membres du Conseil Oecuménique des Eglises en République slovaque,

je vous salue cordialement et vous remercie d’avoir accepté l’invitation et d’être venus à ma rencontre: moi en tant que pèlerin en Slovaquie, vous comme hôtes bienvenus à la Nonciature ! Je suis content que la première rencontre soit avec vous : c’est un signe que la foi chrétienne est – et veut être –, dans ce pays, germe d’unité et levain de fraternité. Merci Béatitude, Frère Rastislav, pour votre présence ; merci cher Monseigneur Ivan, Président du Conseil Oecuménique, pour les paroles que vous m’avez adressées et qui témoignent de la volonté de continuer à marcher ensemble pour passer du conflit à la communion. 

La marche de vos communautés a repris après les années de persécution athéiste, alors que la liberté religieuse était interdite ou mise à dure épreuve. Enfin, elle est arrivée. Et maintenant vous avez en commun une partie du parcours sur lequel vous expérimentez combien il est beau, mais en même temps difficile, de vivre la foi comme des personnes libres. En effet il existe la tentation de redevenir esclaves, certes, non pas d’un régime, mais d’un esclavage encore pire, l’esclavage intérieur. 

C’est ce contre quoi Dostoïevski mettait en garde dans un récit célèbre, la Légende du Grand Inquisiteur. Jésus est revenu sur la Terre et est emprisonné. L’inquisiteur prononce des paroles cinglantes : l’accusation qu’il porte est précisément celle d’avoir donné trop d’importance à la liberté des hommes. Il lui dit : « Tu veux aller au monde les mains vides, en prêchant aux hommes une liberté que leur sottise et leur ignominie naturelles les empêchent de comprendre, une liberté qui leur fait peur, car il n’y a et il n’y a jamais rien eu de plus intolérable pour l’homme ! » (Les Frères Karamazov, Galimard 1994, p. 644). Et il augmente la dose, en ajoutant que les hommes sont disposés à échanger volontiers leur liberté avec l’esclavage le plus confortable, celui qui consiste à se soumettre à quelqu’un qui décide pour eux, pour avoir du pain et une sécurité. Et il en arrive ainsi à reprocher à Jésus de ne pas avoir voulu devenir César pour plier la conscience des hommes et établir la paix par la force. Au contraire, il continué à préférer pour l’homme la liberté, alors que l’humanité réclame “du pain et rien d’autre”. 

Chers Frères, que cela ne nous arrive pas ; aidons-nous à ne pas tomber dans le piège de se contenter de pain et de rien d’autre. Car ce risque survient lorsque la situation se normalise, lorsque nous nous sommes établis et que nous nous installons dans le but de mener une vie tranquille. Alors, ce que l’on vise n’est plus « la liberté que nous avons dans le Christ Jésus » (Ga 2, 4), sa vérité qui nous rend libres (cf. Jn 8, 32), mais l’obtention d’espaces et de droits qui, selon l’Evangile, sont “du pain et rien d’autre”. Ici, au coeur de l’Europe, on en vient à se demander : nous chrétiens, n’avons-nous pas un peu perdu l’ardeur de l’annonce et la prophétie du témoignage ? Est-ce la Vérité de l’Evangile qui nous rend libres, ou bien nous sentons-nous libres lorsque nous nous dégageons des comfort zone qui nous permettent de nous gérer et d’avancer sereinement sans contrecoups particuliers ? Et encore, en nous contentant de pain et de sécurité, n’avons-nous pas perdu l’élan dans la recherche de l’unité implorée par Jésus ? Unité qui exige certainement une liberté mûre de choix forts – renoncements et sacrifices – mais qui est la condition préalable pour que le monde croie. (cf. Jn 17, 21). Ne nous intéressons pas seulement à ce qui peut servir à nos différentes communautés. La liberté du frère et de la soeur est aussi notre liberté, parce que notre liberté n’est pas complète sans lui ou elle. 

Ici l’évangélisation est née de manière fraternelle, en portant le sceau des saints frères de Thessalonique Cyrille et Méthode. Ceux-ci, témoins d’une chrétienté encore unie et enflammée par l’ardeur de l’annonce, nous aident à poursuivre le chemin en cultivant la communion fraternelle entre nous au nom de Jésus. 

Par ailleurs, comment pouvons-nous souhaiter une Europe qui retrouve ses racines chrétiennes si nous sommes nous-mêmes les premiers déracinés de la pleine communion ? Comment pouvons-nous rêver d’une Europe libre d’idéologies si nous n’avons pas la liberté de faire passer la liberté de Jésus avant les nécessités des différents groupes de croyants ? Il est difficile d’exiger une Europe davantage fécondée par l’Evangile sans se préoccuper du fait que nous sommes encore divisés entre nous sur le continent et sans prendre soin les uns des autres. Des calculs de convenance, des raisons historiques et des liens politiques ne peuvent pas être des obstacles inébranlables sur notre chemin. Que les saints Cyrille et Méthode, « précurseurs de l’oecuménisme » (S. Jean-Paul II, Lett.enc. Slavorum Apostoli, n. 14), nous aident à nous prodiguer pour une réconciliation des diversités dans l’Esprit Saint ; pour une unité qui, sans être uniformité, soit un signe et un témoignage de la liberté du Christ, le Seigneur qui dénoue les noeuds du passé et nous guérit de nos peurs et de nos timidités. 

A leur époque, Cyrille et Méthode ont permis que la Parole divine s’incarne sur ces terres (cf. Jn 1, 14). Je voudrais vous proposer deux suggestions dans cette perspective, des conseils fraternels pour répandre l’Evangile de la liberté et de l’unité aujourd’hui. Le premier concerne la contemplation. Un caractère distinctif des peuples slaves, qu’il vous appartient ensemble de conserver, c’est le trait contemplatif, qui, à partir d’une foi expérimentale, va au-delà des conceptualisations philosophiques et même théologiques, et qui sait accueillir le mystère. Aidez-vous à cultiver cette tradition spirituelle dont l’Europe a tant besoin : l’Occident religieux en particulier en a soif, pour retrouver la beauté de l’adoration de Dieu et l’importance de ne pas concevoir avant tout la communauté de foi sur la base d’une efficacité programmatique et fonctionnelle. 

Le deuxième conseil concerne en revanche l’action. L’unité ne s’obtient pas tant avec de bonnes intentions ni par l’adhésion à quelques valeurs communes, mais en faisant quelque chose ensemble pour ceux qui nous rapprochent davantage du Seigneur. Qui sont-ils ? Ce sont les pauvres parce que Jésus est présent en eux (cf. Mt 25, 40). Partager la charité ouvre des horizons plus larges et aide à marcher plus vite, en surmontant les préjugés et les malentendus. Et c’est aussi une caractéristique qui trouve un accueil véritable dans ce pays où on apprend par coeur à l’école une poésie qui contient, entre autres, un très beau passage : « Lorsque la main étrangère frappe à notre porte avec une confiance sincère : qui que ce soit, s’il vient d’à côté ou de loin, de jour ou de nuit, sur notre table il y aura le don de Dieu à l’attendre » (Samo Chalupka, Mor ho !, 1864). Que le don de Dieu soit présent sur la table de chacun afin que, même si nous ne sommes pas encore capables de partager le même repas eucharistique, nous puissions accueillir ensemble Jésus en le servant dans les pauvres. Ce sera un signe plus évocateur que de nombreuses paroles, et aidera la société civile à comprendre, spécialement en ce temps de souffrance, que c’est seulement en étant du côté des plus faibles que nous sortirons vraiment tous de la pandémie. 

Chers frères, je vous remercie pour votre présence et pour votre cheminement : le caractère doux et accueillant, typique du peuple slovaque, la traditionnelle cohabitation pacifique entre vous et votre collaboration pour le bien du pays sont précieuses pour la fermentation de l’Evangile. Je vous encourage à avancer sur le chemin oecuménique, trésor précieux et indispensable. Je vous assure de mon souvenir et vous demande, s’il vous plaît, de prier pour moi. Merci. 

© Librairie éditrice du Vatican

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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