Chapitre des carmes © Vatican Media

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Chapitre général des carmes déchaux: message du pape François (traduction complète)

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L’amitié avec Dieu, la vie fraternelle et la mission, antidotes à la mondanité

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L’amitié avec Dieu, la vie fraternelle et la mission, mais aussi la joie et le sens de l’humour: autant d’antidotes à la « mondanité » indiqués par le pape François aux carmes déchaux.

Le pape François a reçu en audience au Vatican ce samedi 11 septembre 2021 les membres du chapitre général des carmes déchaux et leur nouveau préposé général élu le 4 septembre dernier, le p. Miguel Marquez Calle (Miguel de Maria).

Le pape a recommandé à nouveau la lecture des quatre dernières pages du livre du cardinal Henri de Lubac SJ, Méditation sur l’Eglise (1953), qui cite, dans ses dernières pages, l’expression du bénédictin anglais Dom Anschaire Voinier de « mondanité spirituelle ».

Dans un discours au collège mexicain de Rome, le pape avait déjà expliqué, le 30 mars dernier: « La mondanité spirituelle, nous pouvons dire la mondanité pastorale, spirituelle, c’est-à-dire la façon mondaine de vivre spirituellement d’un prêtre, d’un religieux, d’une religieuse, d’un laïc, d’une laïque, la mondanité spirituelle est le pire des maux qui puisse arriver à l’Eglise. A la lettre ! Pire encore qu’à l’époque des papes concubinaires. Je vous suggère de relire ces trois petites pages à la fin du livre. S’il vous plaît, gardez-vous de la mondanité. C’est la porte de la corruption. »

Le pape avait fait la même recommandation, cette semaine, aux Clarétains… et fait remarquer  que L’Osservatore Romano n’a pas osé publier l’expression de de Lubac.

Le pape, lui, n’hésite pas à reprendre la formule: c’est dire combien cet esprit de « mondanité » constitue, pour lui, à la suite de de Lubac, un grand « péril » pour l’Eglise.

Cependant, le pape dit son espérance dans la pérennité de la vie consacrée dans l’Eglise et il propose aux carmes trois antidotes préventifs: « l’amitié avec Dieu, la vie fraternelle et la mission », dans la fidélité au charisme qui leur est propre, dans l’esprit de Thérèse d’Avila, Jean de la Croix et des saints et saintes du Carmel.

Voici notre traduction, rapide, de travail, du discours lu par le pape François en italien, avec les ajouts spontanés intégrés.

 AB

Discours du pape François

Chers frères,

Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue à vous qui vous êtes rassemblés de différentes parties du monde pour votre Chapitre général, et qui représentez quelque quatre mille frères membres de votre Ordre. Ma salutation s’étend aussi à eux, ainsi qu’aux moniales carmélites déchaussées, et à tous les membres de la famille carmélitaine, qui en ces jours suivent vos travaux par la prière. Je remercie le nouveau prieur général de ses paroles et le prieur général sortant pour le service accompli. Merci.

Vous avez commencé votre Chapitre guidés par trois textes bibliques très significatifs. Le premier : « Ecouter ce que dit l’Esprit » (cf . Ap 2, 7) ; le second : « Discerner les signes des temps » (cf. Mt 16, 3) ; le troisième : « Devenir des témoins jusqu’aux extrémités de la terre » (cf. Ac 1, 8).

Ecouter est l’attitude fondamentale du disciple, de qui se met à l’école de Jésus et veut répondre à ce que Lui nous demande en ce moment difficile mais toujours beau, parce que c’est le temps de Dieu. Ecouter l’Esprit pour pouvoir discerner ce qui vient du Seigneur et ce qui lui est contraire, et, ainsi, répondre, à partir de l’Evangile,  aux signes des temps à travers lesquels le Seigneur de l’Histoire nous parle et se révèle. Ecoute et discernement, en vue du témoignage, de la mission accomplie par l’annonce de l’Evangile, en paroles et surtout par la vie.

En cette époque où la pandémie nous a tous placés face à tant de questions, et qui a vu l’écroulement de tant de sécurités, vous êtes appelés, en tant que fils de sainte Thérèse, à prendre soin de votre fidélité aux éléments pérennes de votre charisme. Cette crise, si elle a quelque chose de bon – et certainement elle l’a -, est justement de nous ramener à l’essentiel, pour ne pas vivre distraits par de fausses sécurités. Ce contexte est aussi favorable à ce que vous puissiez examiner l’état de santé de votre Ordre et nourrir le feu de vos origines.

Certains se demandent parfois quel sera l’avenir de la vie consacrée. Et quelque prophète de malheur dit que cet avenir est bref, que la vie consacrée est en train de s’épuiser. Mais, chers frères, ces visions pessimistes sont destinées à être démenties comme celles sur l’Eglise elle-même, parce que la vie consacrée fait partie intégrante de l’Eglise, de sa nature eschatologique, de son authenticité évangélique. La vie consacrée fait partie de l’Eglise comme Jésus l’a voulue, et comme l’Esprit continue de la générer. On doit donc éloigner la tentation de se préoccuper de survivre, au lieu de vivre en plénitude en accueillant la grâce du présent, y compris avec les risque que cela comporte.

A l’école du Christ, il s’agit d’être fidèles au présent et en même temps libres et ouverts à l’horizon de Dieu, plongés dans son mystère d’amour. La vie carmélitaine est une vie contemplative. Et c’est là le don que l’Esprit a fait à l’Eglise avec sainte Thérèse de Jésus et saint Jean de la croix, et ensuite avec les saints et les saintes du Carmel, si nombreux.

Fidèle à ce don, la vie carmélitaine est une réponse à la soif de l’homme contemporain, qui est, en profondeur, soif de Dieu, soif d’éternité, et si souvent, il ne le comprend pas, il le cherche partout. Et elle est à l’abri des « psychologismes », des « spiritualismes » et des mises-à-jour mondaines, de l’esprit de la mondanité. Et à ce propos je vous le demande, s’il vous plaît : faites attention à la mondanité spirituelle, qui est le pire mal qui puisse arriver à l’Eglise. Lorsque j’ai lu cela dans les dernières pages de Méditation sur l’Eglise du père de Lubac – lisez les quatre dernières pages – je n’arrivais pas à le croire : mais comment se fait-il – j’étais encore à Buenos Aires -, comment se fait-il que cela arrive ? Qu’est-ce que c’est que cette mondanité spirituelle ? C’est très subtil, c’est très subtil, elle entre en nous et nous ne nous en rendons pas compte.

Le texte cite un père spirituel bénédictin [Dom Anchaire Voinier, ndlr], de Lubac assume ce texte et dit: « C’est  le pire des maux qui puisse arriver à l’Eglise, et même pire que du temps des Papes concubinaires. » Cela je l’ai dit aussi l’autre jour aux Clarétains… On voit que L’Osservatore Romano a eu peur de ce texte, qui n’est pas de moi, il est de de Lubac, et il a mis : « pire que celui des papes concibinaires ». Il a eu peur de la vérité, j’espère que L’Osservatore se corrigera correctement. La mondanité spirituelle est terrible : cela entre en toi.

C’est dans l’Evangile, Jésus l’a dit, quand il parle des « démons bien élevés », des « diables bien élevés », parce que Jésus parle ainsi : quand l’esprit impur a été chassé de l’âme d’une personne, il commence à errer dans des lieux déserts et ensuite il « s’ennuie », « il est sans travail », et il dit : « Je vais revenir voir comment va ce qui était ma maison ». Il revient et il voit que tout est propre, tout est en ordre et, dit Jésus : « Il s’en va prendre sept diables pires que lui et ils entrent. Et la fin de cet homme est pire qu’au début. » Mais comment ces sept démons entrent-ils ? Pas comme des voleurs, non ; ils sonnent la cloche, disent bonjour et ils entrent peu à peu, ils entrent peu à peu et toi tu ne te rends pas compte qu’ils ont pris possession de ta maison. Voilà l’esprit de la mondanité. Il entre peu à peu, il entre même dans la prière, il entre. Faites attention à cela. C’est le pire des maux qui puisse arriver à l’Eglise et, si vous ne me croyez pas, lisez les dernières pages de Méditation sur l’Eglise du père de Lubac. Gardez-vous de la mondanité spirituelle.

Souvenons-nous que la fidélité évangélique n’est pas la stabilité d’un lieu, mais stabilité du cœur ; qu’elle ne consiste pas à refuser le changement, mais à faire les changements nécessaires pour satisfaire à ce que nous demande le Seigneur, ici et maintenant. Et, par conséquent, la fidélité requiert un engagement ferme dans les valeurs de l’Evangile, et du charisme propre, et le renoncement à ce qui empêche de donner le meilleur de soi au Seigneur et aux autres.

Dans cette perspective, je vous encourage à tenir ensemble l’amitié avec Dieu, la vie fraternelle en communauté et la mission, comme on le lit dans les documents préparatoires de votre Chapitre. L’amitié avec le Seigneur c’est pour sainte Thérèse vivre en communion avec Lui, c’est non seulement prier, mais faire de la vie une prière, c’est marcher – comme le dit votre Règle – “in obsequio Iesu Christi”, et de le faire dans la joie.

Une autre chose que je voudrais souligner : la joie. Ce  n’est pas beau de voir des consacrés hommes ou femmes avec un visage de veillée funèbre. Ce n’est pas beau, pas beau. La joie doit venir de l’intérieur: cette joie qui est pais, expression d’amitié. Une autre chose que j’ai beaucoup mise dans l’exhortation sur la sainteté : le sens de l’humour. S’il vous plaît, ne perdez pas le sens de l’humour. Dans Gaudete et exsultate, j’ai inséré, dans ce chapitre, une prière de saint Thomas More pour demander le sens de l’humour. Priez-la, cela vous fera du bien. Toujours avec cette joie des humbles, qui accueillent les choses normales, quotidiennes de la vie pour vivre dans la joie. Dans cette perspective, je vous encourage à tenir ensemble l’amitié avec Dieu, la vie fraternelle ne communauté et la mission, comme je l’ai dit.

L’amitié avec Dieu mûrit dans le silence, dans le recueillement, dans l’écoute de la Parole de Dieu ; c’est un faut qu’il faut nourrir et garder jour après jour.

La chaleur de ce feu intérieur aide aussi à mettre ne pratique la vie fraternelle en communauté. Ce n’est pas un élément accessoire, elle substantielle. C’est ce que vous rappelle votre nom même : « Frères déchaux ». Enracinés dans la relation avec Dieu, Trinité d’Amour, vous êtes appelés à cultiver les relations dans l’Esprit, dans une saine tension entre être seul et être avec les autres, à contre-courant de l’individualisme et de la massification du monde. L’individualisme et la massification. La vie communautaire. La sainte mère Thérèse exhorte au “style de la fraternité, “el estilo de hermandad”. C’est un art qui s’apprend jour après jour : être une famille unie dans le Christ, « frères déchaux de Marie », en prenant comme modèles la Sainte Famille de Nazareth et la communauté apostolique. La Sainte Famille de Nazareth : merci d’avoir mentionné saint Joseph, ne l’oubliez pas ! L’un de vous m’avait offert il y a quelque temps une petite image de saint Joseph avec une prière, une humble prière qui dit : « Accepte-moi comme tu as accepté Jésus. » Une belle prière. Je la prie tous les jours. Elle demande à saint Joseph qu’il nous accepte et qu’il nous fasse progresser chaque jour dans la vie spirituelle, que ce soit un peu notre père spirituel, comme il a été un père pour Jésus et dans la sainte Famille.

A partir de l’amitié avec Dieu et du style de la fraternité vous êtes appelés à repenser aussi votre mission, avec créativité et un élan apostolique décidé, en étant très attentifs au monde d’aujourd’hui. Je voudrais insister sur ce que j’ai déjà mentionné plus haut : ce renouveau de votre mission est indissociablement lié à la fidélité à la vocation contemplative : cherchez comment le faire, mais c’est lié. Vous ne devez pas imiter la mission des autres charismes, mais être fidèles au vôtre, pour donner au monde ce que le Seigneur vous a donné pour le bien de tous, c’est-à-dire l’eau vive de la contemplation. Elle n’est pas en effet évasion de la réalité, fermeture dans une oasis protégée, mais ouverture du cœur et de la vie à la force qui transforme vraiment le monde, c’est-à-dire l’amour de Dieu. C’est dans la prière solitaire prolongée que Jésus recevait l’élan pour « rompre » chaque jour sa vie au milieu des gens. Et ainsi les saints et les saintes : la générosité et le courage de leur apostolat sont le fruit de leur profonde union avec Dieu.

Chers frères, l’harmonie entre ces trois éléments: amitié avec Dieu, vie fraternelle et mission, est un objectif fascinant, capable de motiver vos choix présents et à venir. Que l’Esprit Saint – c’est justement Lui qui crée l’harmonie – éclaire et guide vos pas sur cette route. Que la Vierge Sainte vous protège et vous accompagne. Je vous bénis de tout cœur. Surtout, n’oubliez pas de prier pour moi, j’en ai besoin. Merci !

© Traduction de Zenit, Anita Bourdin

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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