Environ « la moitié de la population mondiale n’utilise toujours pas internet ». Or, observe Mgr Gabriele Caccia en reprenant les termes du pape François dans Fratelli tutti, dans le contexte actuel, les technologies numériques permettent de « “construire des ponts“ », créant une occasion pour “davantage d’égalité et d’inclusion sociale“ » et pour “redécouvrir les besoins de nos frères et sœurs“ » souvent laissés en arrière ».
Mgr Gabriele Caccia, nonce apostolique et observateur permanent du Saint-Siège aux Nations Unies, est intervenu au débat général de la 59e session de la Commission pour le Développement social, le 16 février 2021, à New York.
Le thème de ce jour était : « « Une transition socialement juste vers un développement durable : le rôle des technologies numériques dans le développement social et le bien-être de tous ».
Invitant à mettre les technologies au service du bien commun en leur donnant « une direction éthique saine », le représentant du Saint-Siège a souligné l’importance du travail de cette Commission « pour combler le fossé numérique au sein des pays et entre eux afin de garantir que tous en bénéficient et que le monde n’est pas seulement plus interconnecté mais, surtout, plus fraternel ».
Voici notre traduction de l’intervention de Mgr Caccia prononcée en anglais.
HG
Discours de Mgr Gabriele Caccia
Madame la Présidente,
Le Saint-Siège est heureux de participer à cette 59e session de la Commission pour le développement social, consacrée au thème : « Une transition socialement juste vers un développement durable : le rôle des technologies numériques dans le développement social et le bien-être de tous ».
Covid-19, famille et éducation
L’importance de ce sujet a été mise en évidence par la pandémie de Covid-19, qui a montré combien le monde est connecté et combien nous sommes reliés les uns aux autres, en tant qu’êtres humains. Cela est certainement vrai de la famille, qui est un modèle d’inclusion et qui encourage le développement humain intégral. Dans la famille, les enfants apprennent qu’ils ne sont pas indépendants ni seuls, mais qu’ils font partie d’une communauté dans laquelle ils apprennent à être responsables des autres. Les efforts pour faire face aux effets de la pandémie et les mesures de redressement devraient reconnaître que de nombreuses familles se débattent sous le poids de la pandémie et ont donc besoin d’un soutien particulier, ciblé, afin d’assurer le rôle de la famille en tant que « cellule de base de la société ». (1)
L’éducation est un autre domaine dans lequel notre lien aux autres a été démontré, notamment à travers le rôle des technologies numériques dans la promotion du développement social de tous. Les décideurs ont travaillé dur pour trouver des solutions efficaces et inclusives à la fermeture à grande échelle des écoles, en réaction à la pandémie. Enseignants, parents, décideurs, enfants et jeunes ont dû s’adapter à l’école à distance ainsi qu’à de nouveaux protocoles sanitaires pour les classes en présence.
Même si nous avons vu que rien ne peut remplacer l’enseignement en présence et une saine interaction humaine, l’importance de maîtriser l’outil informatique et les compétences numériques n’a jamais été aussi claire. Cela a aussi mis en lumière, comme l’a fait observer le pape François, « une nette disparité des opportunités en matière d’éducation et de technologie », qui a conduit beaucoup d’enfants et d’adolescents « à prendre du retard sur le processus scolaire naturel » (2). Une éducation inclusive de qualité est un outil essentiel pour surmonter les inégalités, en particulier pour les enfants et les jeunes pauvres et désavantagés. Nos efforts doivent affronter ce fossé et assurer une éducation inclusive et équitable de qualité.
Pauvreté, développement et travail
Madame la Présidente,
Comme indiqué dans le rapport du Secrétaire général sur le thème prioritaire, la crise sanitaire mondiale a à la fois souligné et accentué les inégalités existantes. Elle a aussi retardé les efforts en vue d’un développement durable et en particulier en vue d’éradiquer la pauvreté. (3) Beaucoup font l’expérience de l’isolement, de la détresse et de difficultés financières. A l’époque de la Covid-19, internet est devenu un moyen de rencontre d’autant plus essentiel grâce auquel les personnes se connectent, apprennent et travaillent.
Pour un certain nombre de raisons, cependant, à peu près la moitié de la population mondiale n’utilise toujours pas internet, dans les pays en voie de développement, dans les zones rurales et dans d’autres communautés non desservies. Dans des zones ayant une densité de population faible, le coût de l’installation d’infrastructures pour internet est souvent prohibitif, étant donné le nombre relativement réduit d’usagers. Même là où l’accès est disponible, il existe d’autres défis, tels que l’électricité intermittente. D’autres ne peuvent tout simplement pas se l’offrir. Pour résoudre ces problèmes, la collaboration entre décideurs, fournisseurs d’internet et les personnes concernées sera nécessaire.
Les technologies numériques impactent également le marché du travail. Elles contribuent à la création d’emplois, facilitent le travail pour ceux qui doivent rester chez eux ou qui ne peuvent pas travailler en dehors de chez eux et favorisent l’équilibre entre travail et famille. D’autre part, le progrès technologique entraîne des pertes d’emplois, comme lorsque l’automatisation remplace les employés, affectant parfois des communautés entières. Il faut prendre en compte ces effets et adopter des mesures pour empêcher l’augmentation constante du chômage qui réduit la mobilité économique et accroît la pauvreté. L’économie ne doit pas se servir ou servir la richesse de quelques-uns, mais la personne humaine et le bien commun de la société.
Migrants et réfugiés
Les migrants et les réfugiés sont parmi ceux qui ont été le plus affectés par les effets multidimensionnels et interdépendants de la pandémie de Covid-19. Un grand nombre d’entre eux ont connu la séparation prolongée d’avec leurs familles, les difficultés économiques, l’exclusion et la discrimination. Beaucoup n’ont pas reçu une protection sociale adéquate et un soutien pour faire face à ces défis.
Les technologies numériques peuvent être exploitées pour fournir assistance et soutien aux migrants et aux réfugiés. Garantir l’accès à internet peut grandement contribuer à maintenir des liens avec la famille et les amis à l’étranger, à repérer des opportunités d’emploi et à commencer ou poursuivre une formation. Pour les migrants, de nouveaux services financiers numériques peuvent aider à réduire le coût des transactions de transferts de fonds, source de revenu essentielle pour des millions de familles.
Il est essentiel d’inverser le déclin des transferts de fonds de migrants à la fois pour réduire les difficultés économiques qui ont affecté tant de familles et de communautés de travailleurs migrants dans le monde, et pour augmenter les dépenses des ménages en matière de formation et de soins de santé dans les pays d’origine. Une autre façon d’assister les migrants et les réfugiés consiste dans une identification numérique sûre afin de mieux faciliter leur protection et leur intégration tout en respectant leur vie privée. Ainsi, la technologie peut aider à éclairer ceux qui sont souvent invisibles et sans voix.
Le côté sombre de notre monde numérique
Madame la Présidente,
La technologie n’est pas neutre. Certes « le progrès technologique a apporté d’immenses avantages, mais on ne peut pas sous-estimer le côté sombre de notre nouveau monde numérique (4) C’est avec raison que le secrétaire général l’a indiqué comme l’une des quatre menaces imminentes pour la communauté mondiale. (5) L’un de ses aspects les plus dangereux est la propagation de nouvelles formes d’activités criminelles, ou d’anciennes formes menées désormais avec des outils nouveaux et extrêmement puissants. Le recrutement terroriste, la traite des personnes ainsi que la production et la distribution de matériel de violence sexuelle, notamment la pornographie infantile, sont des exemples bien connus de l’activité criminelle aidée et favorisée à travers la réalité numérique. Il est nécessaire et urgent de les combattre efficacement.
« Cette conscience critique ne signifie pas diaboliser internet », écrivait récemment le pape François, « mais elle pousse à un plus grand discernement et à un sens plus mûr de sa responsabilité vis-à-vis à la fois des contenus qu’on envoie et de ceux qu’on reçoit » (6) Tout en considérant le rôle des technologies numériques pour le développement social, nous devons être également conscients des dangers et de notre responsabilité commune d’assurer une direction éthique saine de ces technologies et de leur usage en tant que véritables instruments au service du bien commun. Le pape François défend une « culture de la rencontre », ce qui signifie une culture qui consiste à rencontrer les autres, à voir des points de contact, à construire des ponts et à faire des plans pour l’avenir qui incluent tout le monde.
Dans le contexte actuel, les technologies numériques offrent un moyen important de « construire des ponts », (7) créant une occasion pour « davantage d’égalité et d’inclusion sociale » et pour « redécouvrir les besoins de [nos] frères et sœurs » souvent laissés en arrière. (8) Le travail de cette Commission est important pour combler le fossé numérique au sein des pays et entre eux afin de garantir que tous en bénéficient et que le monde n’est pas seulement plus interconnecté mais, surtout, plus fraternel.
Merci.
NOTES
(1) Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 16(3), A/811.
(2) Pape François, Message Vidéo à l’occasion de la rencontre organisée par la Congrégation pour l’éducation catholique, « Pacte Mondial sur l’éducation. Ensemble, regarder au-delà » (15 octobre 2020).
(3) Cf. E/CN.5/2021/3.
(4) Cardinal Pietro Parolin, Message aux participants à la réunion annuelle de la Commission sur la prévention du crime et la justice criminelle, 15 mai 2018.
(5) Mr. Antonio Guterres, Remarques à l’Assemblée générale sur les priorités du secrétaire général pour 2020, 22 janvier 2020.
(6) Pape François, Message pour la Journée mondiale des communications sociales 2021
(7) Pape François, Fratelli Tutti, n. 216.
(8) Pape François, Fratelli Tutti, n. 31.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat