Le pape avec une personne âgée © Vatican Media

Le pape avec une personne âgée © Vatican Media

Vieillir en famille et dans son milieu naturel, le plaidoyer du Vatican

« Etre âgé est un don de Dieu et une énorme ressource »

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« Créer les meilleures conditions » afin que les personnes âgées puissent vivre leur vieillesse « dans le milieu qui leur est familial, avec leurs amitiés habituelles » : c’est le plaidoyer du Vatican, dans un document publié ce 9 février 2021 par l’Académie pontificale pour la vie. Il s’agit notamment de faire évoluer la réalité des maisons de retraite, apparentées à des hôpitaux dont les patients ne ressortent jamais.

« Qui ne voudrait pas continuer à vivre chez soi, dans sa maison, entouré de ses êtres aimés et de ses proches les plus chers même lorsque nous devenons plus fragiles ? La famille, la maison et notre environnement représentent le choix naturel pour quiconque », peut-on lire dans ce texte intitulé « La vieillesse : notre avenir / La condition des personnes âgées après la pandémie ».

Dans un monde à l’espérance de vie allongée, où coexistent souvent quatre générations, l’Académie encourage « une nouvelle vision », qui permette à la société « de prendre soin des personnes âgées ». Elle appelle à « rendre nos villes des lieux inclusifs et accueillants pour la vie des personnes âgées », formulant des recommandations concernant le logement, les soins à domicile, le personnel soignant, les nouvelles technologies, afin de prendre en charge la personne âgée « sur le lieu où se déroule son existence ».

« Etre âgé, affirme aussi le document, est un don de Dieu et une énorme ressource, une conquête à sauvegarder avec soin, même lorsque la maladie devient invalidante. »

Le texte souligne longuement « la force de la fragilité » : la vieillesse, peut-on y lire, est « l’âge propice à l’abandon à Dieu ». Et la faiblesse des personnes âgées est « provocatrice » : « elle invite les plus jeunes à accepter la dépendance vis-à-vis des autres comme une façon d’affronter la vie. Seule une culture juvénile fait en sorte que le terme « âgé » soit interprété comme méprisant. Une société qui sait accueillir la faiblesse des personnes âgées est capable d’offrir à tous une espérance pour l’avenir. »

LA VIEILLESSE : NOTRE AVENIR

La condition des personnes âgées après la pandémie

Une leçon à apprendre

Le temps est à présent venu de « trouver le courage d’ouvrir des espaces où tous peuvent se sentir appelés, et permettre de nouvelles formes d’hospitalité et de fraternité ainsi que de solidarité »[1]. C’est ainsi que s’exprimait le Pape François, dans sa prière du 27 Mars 2020, sur une place Saint-Pierre vide, après avoir rappelé à tous : « Avides de gains, nous nous sommes laissé absorber par les choses et étourdir par la hâte. Nous ne nous sommes pas arrêtés face à tes rappels, nous ne nous sommes pas réveillés face à des guerres et à des injustices planétaires, nous n’avons pas écouté le cri des pauvres et de notre planète gravement malade. Nous avons continué notre route, imperturbables… »[2].

L’Académie pontificale pour la Vie – en accord avec le Dicastère pour le Développement Humain Intégral – s’est sentie interpellée à intervenir avec une réflexion sur les enseignements à tirer de la tragédie de la pandémie, sur ses conséquences pour aujourd’hui et pour le proche avenir de nos sociétés. C’est dans cette perspective que l’on peut également lire les documents » publiés précédemment par l’Académie : « Pandémie et Fraternité universelle »[3] et « ‘Humana Communitas’[4] à l’époque de la pandémie. Réflexions inachevées sur la renaissance de la vie »[5].

La pandémie a fait émerger une double conscience : d’une part, l’interdépendance entre tous et d’autre part, la présence de fortes inégalités. Nous sommes tous aux mains de la même tempête, mais dans un certain sens, l’on peut également dire que nous sommes en train de ramer sur des bateaux très différents : les plus fragiles coulent chaque jour. Il est indispensable de repenser le modèle de développement de la planète tout entière. Tous sont interpellés : la politique, l’économie, la société, les organisations religieuses, afin d’engager une nouvelle organisation sociale qui mette au centre le bien commun des peuples. Il n’y a plus rien de « privé » qui ne soit également en mesure de mettre en jeu la forme « publique » de toute la communauté. L’amour pour le « bien commun » n’est pas une idée fixe chrétienne : son articulation concrète est à présent devenue une question de vie ou de mort, en vue d’une coexistence à la hauteur de la dignité de chaque membre de la communauté. Toutefois, pour les croyants, la fraternité solidaire est une passion évangélique : elle ouvre l’horizon pour une origine plus profonde et vers une destination plus élevée.

C’est dans ce difficile contexte qu’apparaît la dernière encyclique du Pape François, « Fratelli tutti » qui trace providentiellement l’horizon dans lequel se situer afin de dessiner cette « proximité » au monde des personnes âgées qui a été, jusqu’à présent, « écarté » par l’attention publique. En effet, les personnes âgées ont été parmi les plus touchées par la pandémie. Le nombre de décès enregistrés parmi les personnes de plus de 65 ans est impressionnant. Ainsi, le Pape François ne manque pas de le relever : « Nous avons vu ce qui est arrivé aux personnes âgées dans certaines parties du monde à cause du coronavirus. Elles ne devaient pas mourir de cette manière. Mais en réalité, quelque chose de similaire s’était déjà produit à cause des vagues de chaleur et dans d’autres circonstances : elles ont été cruellement marginalisées. Nous ne nous rendons pas compte qu’isoler les personnes âgées, tout comme les abandonner à la charge des autres sans un accompagnement adéquat et proche de la part de la famille, mutile et appauvrit la famille elle-même. En outre, cela finit par priver les jeunes de ce contact nécessaire avec leurs racines et avec une sagesse que la jeunesse laissée à elle seule ne peut atteindre »[6].

Le document que le Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie a publié le 7 Avril 2020, quelques semaines après le début du confinement (lockdown) dans certains pays européens, se concentre sur la situation difficile des personnes âgées et identifie la solitude et l’isolement comme les principales raisons pour lesquelles le virus s’abat si durement sur cette génération. Ce texte affirme que « les personnes âgées qui vivent dans des établissements d’accueil méritent une attention particulière : nous entendons chaque jour de terribles nouvelles sur leur état et des milliers de personnes ont déjà perdu la vie dans ces structures. La concentration au même endroit de tant de personnes fragiles et la difficulté de trouver les équipements de protection ont créé des situations très difficiles à gérer, et ce, en dépit de l’abnégation et, dans certains cas, du sacrifice du personnel soignant » [7].

Le Covid-19 et les personnes âgées

Au cours de la première vague de la pandémie, une partie considérable des décès dus au Covid-19 s’est produite au sein d’institutions pour personnes âgées, des lieux qui auraient dû protéger la « partie plus fragile de la société », et où, au contraire, la mort a frappé de manière disproportionnée, encore plus, par rapport au foyer et à l’environnement familial. Le chef du Bureau européen de l’Organisation Mondiale de la Santé a déclaré qu’au printemps 2020 près de la moitié des décès dus au coronavirus dans cette région s’est produite dans des maisons de soins : une « tragédie inimaginable », a-t-il ainsi commenté[8]. Des calculs comparatifs des données, l’on remarque que la « famille », à égalité de conditions, a par contre protégé beaucoup plus les personnes âgées.

La mise en institutionnalisation des personnes âgées, surtout de celles qui sont les plus vulnérables et les plus seules, proposée comme la seule solution possible pour les prendre en charge, révèle dans de nombreux contextes sociaux un manque d’attention et de sensibilité à l’égard des plus faibles, envers lesquels il serait plutôt nécessaire d’employer des moyens et des financements propres à assurer les meilleurs soins possibles à ceux qui en ont le plus besoin, dans un environnement plus familier. Une telle approche manifeste de manière évidente ce que le pape François a défini comme la culture du rebus[9]. Les risques liés à cet âge tels que la solitude, le dépaysement, la perte de la mémoire et de l’identité, ainsi que la dégradation cognitive peuvent, dans ces contextes, se manifester plus facilement, alors que la vocation de ces établissements devrait être, au contraire, l’accompagnement familial, social et spirituel de la personne âgée dans le plein respect de sa dignité, sur un chemin souvent marqué par la souffrance.

Le Pape François le soulignait déjà durant les années où il était archevêque de Buenos Aires : « L’élimination des personnes âgées de la vie de la famille et de la société représente l’expression d’un processus pervers dans lequel n’existe plus la gratuité, la générosité, cette richesse de sentiments qui font que la vie n’est pas seulement donner et avoir, c’est-à-dire un marché… Éliminer les personnes âgées est une malédiction que notre société s’auto-inflige souvent » [10].

Il est donc plus que jamais opportun d’engager immédiatement une réflexion attentive, clairvoyante et honnête sur la façon dont la société contemporaine doit se faire « proche » de la population âgée, surtout celle qui est la plus faible. Par ailleurs, ce qui s’est passé au cours du Covid-19 empêche de liquider la question des soins aux personnes âgées par la recherche immédiate de boucs émissaires, d’individus coupables et demande, en revanche, que se lève un chœur visant à défendre les excellents résultats de ceux qui ont évité la contagion dans les établissements de soins de longue durée. Nous avons besoin d’une nouvelle vision, d’un nouveau paradigme qui permette à la société de prendre soin des personnes âgées.

La bénédiction d’une longue vie

L’exigence d’une réflexion nouvelle et sérieuse, capable d’impliquer la société à tous les niveaux, s’impose également à la suite des grands changements démographiques auxquels nous assistons tous.
Du point de vue statistique et sociologique, les hommes et les femmes ont en général aujourd’hui une espérance de vie plus longue. En liaison avec ce phénomène, l’on enregistre une réduction drastique de la mortalité infantile. Dans de nombreux pays du monde, cela a conduit à la coexistence de quatre générations. Ce fait incroyable, qui aurait beaucoup à nous dire sur l’importance d’apprendre à valoriser les relations intergénérationnelles, est sans aucun doute le fruit du progrès médico-scientifique, d’une assistance sanitaire plus évoluée, de soins plus répandus, ainsi que d’une vie sociale plus solidaire. La planète est en train de changer de visage, mais les sociétés – dans leurs articulations – doivent en prendre plus de conscience.

Cette grande transformation démographique représente, en effet, un défi culturel, anthropologique, économique. Les données nous indiquent que la population âgée croît plus rapidement dans les zones urbaines que dans les zones rurales, et que la concentration de personnes âgées dans ces zones y est plus forte. Ce phénomène indique, entre autres, un facteur qui a un impact important, à savoir la différence des risques de mortalité, qui ont tendance à être plus faibles dans les zones urbaines. Contrairement à ce qu’une vision stéréotypée pourrait laisser penser, les villes sont, à l’échelle mondiale, des lieux où l’on vit en moyenne davantage. Les personnes âgées y sont donc nombreuses, mais il est indispensable que nous rendions les villes habitables pour elles aussi. Selon les données de l’Organisation Mondiale de la Santé, en 2050, dans le monde, il y aura deux milliards de personnes de plus de 60 ans : une personne sur cinq sera donc une personne âgée[11]. Rendre nos villes des lieux inclusifs et accueillants pour la vie des personnes âgées, et, en général, pour toutes les formes de fragilité est donc essentiel.

Comme l’avait soulevé le Pape François, « à la vieillesse correspondent des époques différentes de la vie : pour beaucoup, elle est l’âge où cesse l’engagement productif, où les forces déclinent et où les signes de maladie, de besoin d’aide et d’isolement social apparaissent ; mais pour beaucoup elle est le commencement d’une longue période de bien-être psycho-physique et de liberté des obligations de travail. Dans les deux cas, comment vivre ces années ? Quel sens donner à cette phase de la vie qui, pour beaucoup, peut être longue ? »[12]. Dans notre société, souvent prévaut l’idée de la vieillesse comme celle d’un âge malheureux, toujours et seulement conçu comme l’âge de la prise en charge, du besoin et des frais pour les soins médicaux. Il y a 2000 ans, Terenzio Afro parlait de « senectus ipsa est morbus », à savoir de la vieillesse comme maladie en soi. Pourtant, dans la Bible, la longévité est considérée comme une bénédiction. « Elle nous confronte à notre fragilité, à la dépendance réciproque, aux liens familiaux et communautaires, et surtout à notre filiation divine ». « La vieillesse – comme l’a bien souligné le Pape François – n’est pas une maladie, elle est un privilège ! La solitude peut être une maladie, mais avec la charité, la proximité et le réconfort spirituel nous pouvons la guérir ».

En tout cas, être âgé est un don de Dieu et une énorme ressource, une conquête à sauvegarder avec soin, même lorsque la maladie devient invalidante et que des soins intégrés et de grande qualité deviennent nécessaires. Et il est indéniable que la pandémie a renforcé en nous tous la conscience que la « richesse des années » est un trésor à valoriser et à protéger[13].

Un nouveau modèle de soins et d’aide pour les personnes âgées les plus fragiles

Au niveau culturel et de conscience civile et chrétienne, il est plus que jamais opportun de repenser en profondeur les modèles d’aide pour les personnes âgées.

Apprendre à « honorer » les personnes âgées est crucial pour l’avenir de nos sociétés et, en fin de compte, pour notre avenir. « Il y a un très beau commandement dans les Tables de la Loi, beau parce qu’il correspond à la vérité́, capable de générer une réflexion profonde sur le sens de notre vie : « honore ton père et ta mère ». L’honneur en hébreu signifie le « poids », la valeur ; l’honneur signifie reconnaître la valeur d’une présence : à savoir celle de ceux qui nous ont engendrés à la vie et à la foi […]. La réalisation d’une vie pleine et de sociétés plus justes pour les nouvelles générations dépend de la reconnaissance de la présence et de la richesse que les grands-parents et les personnes âgées constituent pour nous, dans tous les contextes et lieux géographiques du monde. Et cette reconnaissance a pour corollaire le respect, qui est tel s’il s’exprime par l’accueil, la sollicitude et la valorisation de leurs qualités »[14] et de leurs besoins.

Parmi ces derniers, nous devons sans aucun doute créer les meilleures conditions afin que les personnes âgées puissent vivre cette phase particulière de leur vie, autant que possible, dans le milieu qui leur est familial, avec leurs amitiés habituelles. Qui ne voudrait pas continuer à vivre chez soi, dans sa maison, entouré de ses êtres aimés et de ses proches les plus chers même lorsque nous devenons plus fragiles ? La famille, la maison et notre environnement représentent le choix naturel pour quiconque.

Certes, tout ne peut pas toujours rester inchangé par rapport à lorsque l’on était plus jeune ; parfois, des solutions sont nécessaires qui rendent vraisemblable des soins à domicile. Dans certaines situations, notre maison ne semble plus suffire ou est inadéquate. Dans ces cas-là, il ne faut pas se laisser entraîner par une « culture du rebut », qui peut se manifester par la paresse ou par le manque d’imagination dans la recherche de solutions qui soient efficaces, lorsque la vieillesse signifie également l’absence d’autonomie. Mettre au centre de l’attention la personne, avec ses besoins et ses droits, est une expression de progrès, de civilisation et d’authentique conscience chrétienne.

La personne doit donc être au cœur de ce nouveau paradigme d’aide et de soin des personnes âgées les plus fragiles. Chaque personne âgée est différente de l’autre, la singularité de chaque histoire ne peut être négligée : sa biographie, son milieu de vie, ses relations actuelles et passées. Afin d’identifier de nouvelles perspectives de logement et d’aide, nous devons partir d’une considération attentive de la personne, de son histoire et de ses exigences. La mise en œuvre de ce principe implique une intervention articulée, à différents niveaux, qui doit être en mesure de réaliser un continuum d’aide entre le logement et certains services extérieurs, sans que se produisent des césures traumatiques, qui ne sont certes pas adaptées à la fragilité du vieillissement.

Dans cette perspective, une attention particulière doit être réservée aux logements, afin que ceux-ci soient adaptés aux exigences de la personne âgée : l’existence de barrières architecturales ou l’inadaptation des équipements hygiéniques, le manque de chauffage, ou encore la pénurie d’espace, doivent avoir des solutions concrètes. Lorsque l’on tombe malade ou que l’on devient plus faible, tout peut se transformer en un obstacle insurmontable. L’aide à domicile doit être intégrée, avec la possibilité de soins médicaux à domicile ainsi qu’une adéquate distribution de services sur le territoire. En d’autres mots, il est nécessaire et urgent de mette en œuvre une « prise en charge » de la personne âgée sur le lieu où se déroule son existence. Tout cela exige un processus de conversion sociale, civile, culturelle et morale. Ce n’est qu’ainsi que l’on répond de manière adéquate à la demande de proximité des personnes âgées, surtout de celles qui sont les plus faibles et les plus vulnérables.

Il faut augmenter les figures des personnels soignants (care-giver), une profession qui est déjà présente dans les sociétés occidentales. D’autres professionnalismes sont également à encadrer au sein de cadres normatifs, de façon à valoriser les talents et à soutenir les familles. Tout ceci peut permettre aux personnes âgées de vivre de façon « familiale » cette phase de leur existence.

Une aide importante peut être apportée par la mise en œuvre des nouvelles technologies et des progrès de la télémédecine et de l’intelligence artificielle : si ces moyens sont bien utilisés et bien distribués, ils peuvent créer, autour du logement de la personne âgée, un système intégré d’aides et de soins, permettant de rendre possible la permanence chez elle, dans sa propre maison, ou chez les membres de sa famille. Une alliance attentive et créative entre les familles, le système socio-sanitaire, le bénévolat et tous les acteurs sur le terrain, peut éviter qu’une personne âgée soit obligée de devoir quitter sa propre habitation. Il ne s’agira donc pas seulement d’ouvrir des structures ayant un nombre limité de lits, ou de fournir un jardin ou un animateur du temps libre. Au contraire, c’est une personnalisation de l’intervention socio-sanitaire et d’aide qui est plutôt nécessaire. Cette dernière pourrait constituer une réponse concrète à l’invitation de la part de l’Union européenne à promouvoir de nouveaux modèles de soin pour les personnes âgées[15]. Dans cet horizon, il faut promouvoir avec créativité et intelligence l’independant living, l’assisted living, le co-housing et toutes ces expériences qui s’inspirent au concept-valeur de l’aide réciproque, tout en permettant à la personne de maintenir une propre vie autonome.

De telles expériences permettent, en effet, de vivre dans un logement privé, tout en bénéficiant des avantages de la vie communautaire, dans un bâtiment équipé, avec un système de gestion du quotidien totalement partagé, ainsi que certains services assurés, tels que l’infirmier à domicile. En s’inspirant du voisinage traditionnel, celles-ci permettent de combattre de nombreuses difficultés des villes modernes telles que la solitude, les problèmes économiques, la carence de liens vitaux ou le simple besoin d’aide. Telles sont les raisons fondamentales de leur succès et de leur large diffusion dans le monde entier. Aujourd’hui, l’on utilise différentes définitions et il y a différentes typologies de résidence possibles : celles qui sont intergénérationnelles, qui prévoient la présence de noyaux avec des tranches d’âge différentes, mais prédéfinies ; celles qui n’accueillent que des personnes âgées, mais qui ont des caractéristiques particulières ou celles qui ne sont réservées qu’aux femmes âgées ; celles qui rassemblent des familles jeunes avec enfants ainsi que des célibataires ; ou encore, celles qui prévoient l’intégration d’opérateurs externes pour certains services de soins, et bien d’autres encore[16]. Dans certains cas, il est également apparu nécessaire d’offrir l’hospitalité aux personnes âgées, qui étaient précédemment institutionnalisées, et qui souhaitent commencer « une nouvelle vie » en quittant ces contextes qui les avaient accueillies pendant des années.

Il s’agit là de formules de logement et d’aide qui requièrent un profond changement de mentalité et d’approche envers l’idée même de la personne âgée comme étant fragile, mais qui est encore capable de donner et de partager : une alliance entre générations qui peut devenir une force au temps de la faiblesse.

Requalifier la maison de retraite dans un « continuum » socio-sanitaire

Dans cette optique, les maisons de retraite devraient se requalifier dans un continuum socio-sanitaire, c’est-à-dire offrir certains de leurs services directement au sein même des domiciles des personnes âgées : hospitalisation à domicile, prise en charge de la personne individuelle, avec des réponses d’aide modulées sur les besoins personnels, à basse ou à haute intensité, où l’aide socio-sanitaire intégrée et le caractère domiciliaire restent le pivot d’un nouveau paradigme moderne. À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation contre la maltraitance des personnes âgées, le Pape François a souligné : « La pandémie du COVID19 a montré que nos sociétés ne sont pas assez organisées pour faire de la place aux personnes âgées, avec un juste respect pour leur dignité et leur vulnérabilité. Là où il n’y pas de soin pour personnes âgées, il n’y a pas de futur pour les jeunes »[17]. Les données que l’Organisation Mondiale de la Santé publie chaque année, à l’occasion de cette Journée internationale, sont un triste écho aux paroles du Pape concernant la présence d’abus qui, dans les contextes institutionnalisés, se produisent le plus fréquemment[18].

Tout cela rend d’autant plus évidente la nécessité de soutenir les familles qui, surtout si elles sont composées par un petit nombre d’enfants et de petits-enfants, ne sont pas en mesure de supporter seules, dans une habitation, la responsabilité parfois épuisante de prendre soin d’une maladie exigeante et coûteuse en termes d’énergie et d’argent. Il faut réinventer un réseau de solidarité qui soit plus ample, et qui ne soit pas nécessairement et exclusivement fondé sur des liens de sang, mais qui soit articulé selon les appartenances, les amitiés, le sentiment commun, la générosité réciproque dans la réponse aux besoins des autres. En effet, le déclin des relations sociales frappe tout particulièrement les personnes âgées : au fur et à mesure que l’âge avance et que se développent des fragilités physiques et cognitives, il leur manque souvent des figures de référence, des personnes sur lesquelles pouvoir compter afin d’affronter tous les problèmes de leur vie. Certaines enquêtes historiques, de grande envergure, menées par exemple aux États-Unis, révèlent qu’entre 1985 et 2004, les réseaux d’amitié et de soutien ont subi une réduction drastique : si en 1985, les personnes pouvaient compter sur environ trois personnes de confiance, en 2004 ce nombre tombe à une. Cette perte concerne en particulier et surtout les amis plus que les personnes de famille. Ce phénomène représente un driver de grande importance dans la détermination de cette explosion de la demande sanitaire, qui ne trouve pas aujourd’hui de réponses sociales adéquates et qui ne doit pas être qualifiée d’impropre, au moment où la dégénérescence de notre propre réseau de relations sociales représente en soi un fait susceptible de détériorer toute condition de santé physique et mentale.

C’est pourquoi il est important d’inverser cette tendance, y compris à l’aide de plans attentifs qui soient en mesure de promouvoir, aussi bien du point de vue civil qu’ecclésial, l’attention et le soin envers les personnes qui vieillissent afin qu’elles ne soient pas laissées seules.

Dans différents pays, les maisons de repos ont été la réponse, au cours des dernières décennies, à une demande croissante, venant d’un monde en transformation, bien que de nombreuses personnes âgées continuent de vivre dans leurs habitations et demandent à être appuyées et soutenues dans cette option fondamentale. Dans de nombreuses villes, il y a de nombreuses années, il existait des « lieux » et des structures qui étaient bien connus de l’imaginaire collectif, où les personnes âgées étaient destinées à vivre les dernières années de leur vie, soit parce qu’elles choisissaient ce lieu, soit parce qu’elles y étaient obligées en raison de leurs conditions personnelles. Au fil des ans, les maisons de repos se sont multipliées, tant en nombre qu’en type et en capacité résidentielle. L’Église catholique elle-même, à travers les diocèses et certains instituts religieux, a également offert et offre encore aujourd’hui sa propre contribution dans la gestion de nombreuses maisons de repos qui accueillent et viennent en aide aux personnes âgées. La présence de personnel religieux constitue un facteur d’indubitable valeur au sein d’institutions qui étaient déjà anciennes et qui jouissaient d’une grande estime, et qui ont constitué pour longtemps une solution concrète à une problématique sociale si complexe, comme celle du vieillissement. Il existe de nombreux exemples, d’une grande valeur, et qui montrent de fait comment il est possible d’humaniser l’aide aux personnes âgées qui sont les plus fragiles : des exemples de charité chrétienne, d’œuvres pieuses et d’institutions de longue date, qui ne lésinent pas leurs énergies et leurs efforts, même au milieu de situations économiques difficiles et presque ingérables.

Les familles, quant à elles, font souvent appel à la solution de l’hospitalisation au sein de structures publiques et privées par nécessité, dans l’espoir de pouvoir offrir à leurs proches une aide de qualité. Et il est indéniable que si jadis les familles nombreuses réussissaient à s’organiser dans le soin des membres de la famille les plus âgés, au sein même de leur propre habitation, aujourd’hui la structure modifiée des noyaux familiaux – « plus étroits », avec un réduction du nombre moyen de leurs composants, mais également « plus longs », avec trois générations ou plus en leur sein – et les exigences de travail complexes qui éloignent les adultes de la maison, transforment en un tout nouveau défi le fait de prendre soin des membres les plus âgés de la famille. Dans certains contextes sociaux pauvres, la solution institutionnelle peut constituer une réponse concrète à l’absence d’une propre habitation. Et si certaines personnes âgées choisissent elles-mêmes, en toute autonomie, de déménager dans des maisons de retraite pour trouver de la compagnie, une fois qu’elles sont restées seules, d’autres le font parce que la culture dominante les pousse à sentir qu’elles sont un fardeau et une gêne pour leurs enfants ou leurs familles.

Dans la plupart de ces structures, la dignité et le respect de la personne âgée ont toujours été les charnières de l’œuvre d’aide, faisant ressortir encore plus, par contraste, les épisodes de maltraitance et de violations des droits de l’homme, lorsque ces derniers ont été dévoilés. À cet égard, les systèmes socio-sanitaires et de soins, tant publics que privés, ont investi des ressources financières considérables dans les soins aux personnes du troisième et quatrième âge, en intégrant les maisons de repos.

Toutefois, au fil des années, les normes ont imposé une limitation de la dimension des grandes structures résidentielles, en les remplaçant par des unités plus petites et plus fonctionnelles aux besoins de leurs hôtes. Il est vrai que l’environnement des maisons de repos apparaît plutôt structuré comme un hôpital que comme une habitation, sans que subsiste toutefois l’élément le plus spécifique : à savoir, le fait qu’à l’hôpital, l’on entre avec l’espoir d’en sortir, une fois guéris. Il s’agit là d’un facteur qui est en train de faire émerger un certain malaise dans la conscience collective, aussi bien au niveau médical que culturel. C’est pour cette raison qu’il est important de préserver un tissu humain et un environnement d’aide et d’accueil où chacun peut s’occuper de l’autre, servir et rencontrer. Comme l’a rappelé le Pape François : « La personne âgée n’est pas un extra-terrestre. La personne âgée, c’est nous, dans peu de temps, dans longtemps, mais cependant inévitablement, même si nous n’y pensons pas. Et si nous apprenons à bien traiter les personnes âgées, nous serons traités de la même manière »[19].

Les personnes âgées et la force de la fragilité

Dans cet horizon, même les diocèses, les paroisses et les communautés ecclésiales sont invités à une réflexion plus attentive à l’encontre du monde des personnes âgées. Au cours des dernières décennies, les Papes sont intervenus à plusieurs reprises afin de solliciter le sens de responsabilité et le soin pastoral à l’égard des personnes âgées.

Leur présence est une grande ressource. Il suffit de penser au rôle déterminant que les personnes âgées ont eu dans la conservation et dans la transmission de la foi aux jeunes dans les pays en proie à des régimes athées et autoritaires. Sans compter ce que les grands-parents continuent à faire afin de transmettre la foi à leurs petits-enfants, « Dans les sociétés sécularisées de nombreux pays – a ainsi souligné le Pape François –, les générations actuelles de parents n’ont pas, pour la plupart, cette formation chrétienne et cette foi vivante, qu’au contraire les grands-parents peuvent transmettre à leurs petits-enfants. Ils sont le chaînon indispensable pour éduquer à la foi les petits et les jeunes. Nous devons nous habituer à les inclure dans nos horizons pastoraux et à les considérer, de manière non épisodique, comme une des composantes vitales de nos communautés. Ils ne sont pas seulement des personnes que nous sommes appelés à assister et à protéger pour préserver leur vie, mais ils peuvent être acteurs d’une pastorale évangélisatrice, témoins privilégiés de l’amour de Dieu »[20].

Certes, quant à elles, les personnes âgées doivent chercher à vivre avec sagesse leur vieillesse : « Être âgé contient aussi une grâce et une mission, une véritable vocation du Seigneur »[21]. C’est pourquoi « La pastorale des personnes âgées, comme toute pastorale, doit s’insérer dans la nouvelle saison missionnaire inaugurée par le pape François avec Evangelii gaudium. Cela signifie : annoncer la présence du Christ [également] aux personnes âgées. L’évangélisation doit viser la croissance spirituelle de chaque âge, car l’appel à la sainteté́ s’adresse à tous, même aux grands-parents. Toutes les personnes âgées n’ont pas encore rencontré le Christ, et même si elles l’ont fait, il est indispensable de les aider à redécouvrir le sens de leur Baptême dans une phase particulière de leur vie [afin de] redécouvrir l’émerveillement devant le mystère de l’amour de Dieu et de l’éternité́ ; […] découvrir au contraire la relation avec le Dieu de l’amour miséricordieux ; demander aux personnes âgées qui font partie de nos communautés d’être des acteurs de la nouvelle évangélisation afin de transmettre elles-mêmes l’Évangile. Elles sont appelées à être missionnaires »[22], comme à tout âge de la vie.

En ce sens, « l’Église [peut devenir] le lieu où les générations sont appelées à partager le projet d’amour de Dieu, dans un rapport d’échange réciproque des dons de l’Esprit Saint. Ce partage intergénérationnel nous oblige à changer notre regard sur les personnes âgées, pour apprendre à regarder vers l’avenir avec elles […]. Le Seigneur peut et veut écrire avec elles aussi des pages nouvelles, des pages de sainteté́, de service, de prière »[23].

En effet, les jeunes et les personnes âgées, en se rencontrant, peuvent apporter dans le tissu social cette nouvelle sève d’humanisme qui rendrait plus solidaire la société. À plusieurs reprises, le Pape François a exhorté les jeunes à être aux côtés de leurs grands-parents. Ainsi, le 26 Juillet 2020, au cœur de la pandémie, en s’adressant aux jeunes, le Pape a déclaré : « Je voudrais inviter les jeunes à accomplir un geste de tendresse envers les personnes âgées, en particulier les plus seules, dans les maisons et dans les résidences, celles qui ne voient plus leurs proches depuis tant de mois. Chers jeunes, chacune de ces personnes âgées est votre grand-parent ! Ne les laissez pas seules ! Utilisez l’imagination de l’amour, téléphonez, faites des appels vidéo, envoyez des messages, écoutez-les […]. Envoyez-leur un baiser ». C’est ainsi qu’en 2012, Benoît XVI eu l’occasion de déclarer : « Il ne peut y avoir de véritable croissance humaine et éducation sans un contact fécond avec les personnes âgées, parce que leur existence elle-même est comme un livre ouvert dans lequel les jeunes générations peuvent trouver de précieuses indications pour le chemin de la vie ».

La vieillesse rappelle également le sens du destin ultime de l’existence humaine. En 1999, Jean-Paul II écrivait aux personnes âgées : « Il est urgent de se replacer dans la perspective juste qui consiste à considérer la vie dans son ensemble. Et cette perspective juste, c’est l’éternité, dont la vie, dans chacune de ses étapes, est une préparation significative. Le temps de la vieillesse, lui aussi, a son rôle à jouer dans ce processus de maturation progressive de l’être humain en marche vers l’éternité. Si la vie est un pèlerinage vers la patrie céleste, la vieillesse est la période où il est le plus naturel de regarder le seuil de l’éternité »[24]. L’homme qui vieillit ne s’approche pas de la fin, mais du mystère de l’éternité ; pour le comprendre, il a besoin de s’approcher de Dieu et de vivre dans la relation avec Lui. Prendre soin de la spiritualité des personnes âgées, de leur besoin d’intimité avec le Christ et de partage de la foi est un devoir de charité dans l’Église.

Le témoignage que les personnes âgées peuvent donner avec leur fragilité est également précieux. Il peut être lu comme étant un « magistère », un enseignement de vie. C’est ce qu’exprime la rencontre de Jésus ressuscité avec Pierre sur les rives du lac de Tibériade. En s’adressant à l’apôtre, Jésus dit ainsi : « Quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas » (Jn 21, 18). Tout le magistère de la personne qui s’affaiblit dans sa vieillesse semble ainsi se résumer dans ces paroles : « tendre les mains » pour se faire aider. Les personnes âgées nous rappellent la faiblesse radicale de chaque être humain, même lorsque nous sommes en bonne santé. Elles nous rappellent le besoin d’être aimés et soutenus. Dans la vieillesse, toute autosuffisance vaincue, l’on devient des mendiants d’aide. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2Co 12, 10), écrit l’apôtre Paul. Dans la faiblesse, c’est Dieu lui-même qui tend le premier sa main vers l’homme.

La vieillesse doit être également conçue dans cet horizon spirituel : c’est l’âge propice à l’abandon à Dieu. Tandis que le corps s’affaiblit, la vitalité psychique, la mémoire et l’esprit diminuent, la dépendance de la personne humaine à Dieu apparaît toujours plus évidente. Certes, il y a ceux qui peuvent ressentir la vieillesse comme une condamnation, mais aussi ceux qui peuvent la ressentir comme une occasion pour rétablir la relation avec Dieu. Une fois les étais humains tombés, la vertu fondamentale devient la foi vécue non seulement comme adhésion à des vérités révélées, mais également comme certitude de l’amour de Dieu qui n’abandonne pas.

La faiblesse des personnes âgées est aussi provocatrice : elle invite les plus jeunes à accepter la dépendance vis-à-vis des autres comme une façon d’affronter la vie. Seule une culture juvénile fait en sorte que le terme « âgé » soit interprété comme méprisant. Une société qui sait accueillir la faiblesse des personnes âgées est capable d’offrir à tous une espérance pour l’avenir. Enlever le droit à la vie de ceux qui sont fragiles, signifie au contraire voler l’espérance, surtout aux jeunes. C’est pourquoi écarter les personnes âgées – y compris avec le langage – est un grave problème pour tous. Cette attitude implique un message clair d’exclusion, qui est à la base de tant d’accueil manqué : de la personne conçue à celle qui a des handicaps, de l’émigré à celui qui vit dans la rue. Ainsi, la vie n’est pas accueillie dès lors qu’elle est trop faible et qu’elle a besoin de soins, elle n’est pas aimée dans sa transformation et elle n’est pas acceptée dans sa fragilisation. Malheureusement, il ne s’agit pas là d’une éventualité lointaine, mais de quelque chose qui arrive fréquemment, là où l’abandon, comme le répète le Pape, devient une forme d’euthanasie cachée[25] et propose un message qui met en danger la société tout entière. Il s’agit là d’une attitude dangereuse, qui manifeste clairement que l’opposé de la faiblesse n’est pas la force, mais l’hybris, comme l’appelait les Grecs : la présomption qui ne connaît pas de limites. Très répandue dans nos sociétés, elle engendre des colosses aux pieds d’argile. Présomption, orgueil, arrogance et mépris des faibles caractérisent ceux qui se croient forts. Une attitude qui est stigmatisée dans les Écritures : la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes (1Co 1, 25). Et ce qui est faible pour le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les forts (1Co 1, 27). Non seulement le christianisme ne repousse pas et ne cache pas la faiblesse de l’homme, depuis la conception jusqu’au moment de la mort, mais elle lui confère l’honneur, le sens et également la force. Certes, l’on ne peut pas dire avec superficialité qu’en vieillissant l’on devient automatiquement meilleur : les défauts et les aspérités déjà présents à l’âge adulte peuvent s’accentuer, et la rencontre avec notre propre vieillesse et ses faiblesses peut représenter un temps de malaise intérieur, de fermeture envers les autres ou de refus de notre propre fragilité.

Mais les chrétiens – eux, en particulier – doivent s’interroger avec l’intelligence de l’amour afin d’identifier des perspectives et des voies nouvelles par lesquelles répondre au défi non seulement du vieillissement, mais plutôt de la faiblesse dans la vieillesse. Car il est indéniable que la maladie et la perte d’autonomie qui peuvent survenir créent des problèmes et une demande légitime d’aide.

Un récit évangélique, en particulier, met en lumière la valeur et les potentialités surprenantes de la vieillesse. Il s’agit de l’épisode de la Présentation au Temple du Seigneur, une fête qui, dans la tradition chrétienne orientale, est appelée « Fête de la Rencontre ». En effet, à cette occasion, deux personnes en âge avancé, Siméon et Anne, rencontrent l’Enfant Jésus : des personnes âgées fragiles le révèlent au monde comme lumière des nations et parlent de lui à ceux qui étaient en attente de l’accomplissement des promesses divines (cf. Lc 2, 32-38). Siméon prend Jésus dans ses bras : l’Enfant et le vieillard, presque à vouloir symboliser le début et la fin de l’existence terrestre, se soutiennent réciproquement : en effet, comme le proclament certains Hymnes liturgiques, « Le vieillard portait l’enfant, mais l’enfant dirigeait le vieillard ». L’espérance jaillit ainsi de la rencontre entre deux personnes fragiles, un Enfant et un vieillard, pour nous rappeler, en ces temps qui sont les nôtres et exaltent la culture de la performance et de la force, que le Seigneur aime révéler la grandeur dans la petitesse et la force dans la tendresse. Cet épisode, comme l’a souligné à maintes reprises le Saint-Père, marque également la rencontre entre les jeunes, représentés par Marie et Joseph, qui amènent l’Enfant au Temple, et les vieux Siméon et Anne, qui les accueillent et les instruisent. Cependant, dans cette rencontre, les rôles s’inversent : le texte biblique montre, à travers des répétitions récurrentes, comment les jeunes recherchent l’adhésion fidèle à la tradition, en s’en tenant à ce qui prescrivait « la Loi du Seigneur » (cf. 22-24, 27), tandis que les personnes âgées révèlent la nouveauté de l’Esprit (cf. 25-27), en prophétisant l’avenir.

Cela se produit dans le lit fécond de la rencontre ouverte et accueillante entre les jeunes et les personnes âgées, qui permet la réalisation d’une promesse ancienne : « Cet épisode accomplit ainsi la prophétie de Joël : ‘ Vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions ‘ (3, 1). Dans cette rencontre, les jeunes voient leur mission et les anciens réalisent leurs rêves » [26]. L’avenir – semble ainsi nous dire cette prophétie – n’ouvre ainsi des possibilités surprenantes que si l’on cultive ensemble. C’est seulement grâce aux personnes âgées que les jeunes peuvent retrouver leurs racines et ce n’est que grâce aux jeunes que les personnes âgées retrouvent la capacité de rêver. Le Pape François en a rappelé à plusieurs reprises la nécessité, tant pour l’Église que pour la société, en proposant d’encourager avec audace les grands-parents à rêver : non seulement pour raviver en eux l’espérance, mais également pour donner aux jeunes générations la sève vitale, qui jaillit des rêves des personnes âgées, qui sont d’irremplaçables intermédiaires de mémoire, afin d’orienter sagement l’avenir. C’est pourquoi, priver les personnes âgées de leur « rôle prophétique », en les mettant de côté pour des raisons purement productives, provoque un appauvrissement incalculable, une perte impardonnable de sagesse et d’humanité. En mettant de côté les personnes âgées, l’on coupe les racines qui permettent à la société de croître vers le haut et de ne pas s’aplatir sur les besoins momentanés du présent.

Le paradigme que l’on veut proposer n’est pas une utopie abstraite ou une prétention naïve, mais il peut, au contraire, innerver et nourrir de nouvelles et plus sages politiques de santé publique, ainsi que des propositions originales d’un système de soins qui soit plus adapté à la vieillesse. Des propositions qui sont plus efficaces, outre que plus humaines. C’est ce qu’exige une éthique du bien commun ainsi que le principe du respect de la dignité de chaque individu, sans aucune distinction, y compris celle de l’âge. La société civile tout entière, l’Église et les différentes traditions religieuses, le monde de la culture, de l’école, du bénévolat, du spectacle, de l’économie et des communications sociales doivent ressentir la responsabilité de suggérer et de soutenir – au sein de cette révolution copernicienne – des mesures nouvelles et efficaces afin qu’il soit permis aux personnes âgées d’être accompagnées et aidées dans des milieux familiaux, à leurs domiciles ou, de toute façon, dans des environnements domestiques qui ressemblent le plus possible à un foyer plus qu’à un hôpital. Il s’agit d’une révolution culturelle qui doit être mise en œuvre. L’Académie pontificale pour la Vie sera attentive à indiquer ce chemin comme la voie la plus authentique pour témoigner de la vérité profonde de l’être humain : à l’image et à la ressemblance du Dieu, mendiant et maître d’amour.

 

+ Vincenzo Paglia                                                                                                                          Mgr Renzo Pegoraro

Président                                                                                                                                       Chancelier

 

 

Cité du Vatican, 2 Février 2021

[1] François, Moment extraordinaire de prière en temps d’épidémie, 27 Mars 2020.

[2] François, Ivi.

[3] Note du 30 Mars 2020.

[4] Note du 22 Juillet 2020. Humana Communitas est le titre de la Lettre que le Pape François a envoyée à l’Académie pontificale pour la Vie, le 6 Janvier 2019, à l’occasion du XXVème anniversaire de son institution.

[5] À ce sujet, voir également le document du Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie du 7 Avril 2020, Dans la solitude le coronavirus tue davantage, in http://www.laityfamilylife.va/content/laityfamilylife/fr/news/2020/nella-solitudine-il-coronavirus-uccide-di-piu.html

[6] François, Lettre encyclique « Fratelli tutti. Sur la fraternité et l’amitié sociale », 2020, 19.

[7] Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie, « Dans la solitude, le coronavirus tue encore plus, 7 Avril 2020, dans http://www.laityfamilylife.va/content/laityfamilylife/fr/news/2020/nella-solitudine-il-coronavirus-uccide-di-piu.html

[8] 23 Avril 2020, Associated Press

[9]  François, Audience générale, 5 Juin 2013.

[10] J.M. Bergoglio, Seul l’amour nous sauvera, LEV, Cité du Vatican 2013, p. 83.

[11] World Health Organization (2011), Global Health and Aging, disponible ici : http://www.who.int/ageing/publications/global_health.pdf

[12] François, Discours aux participants au Ier Congrès international de pastorale des personnes âgées sur le thème : « La richesse des années », 31 Janvier 2020.

[13] COMECE-FAFCE, The elderly and the future of Europe. Intergenerational solidarity and cares in times of demographic change, 3 Décembre 2020.

[14] Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie, Conclusions du Ier Congrès international de pastorale des personnes âgées « La richesse des années », 30 Janvier 2020, in Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie, « La richesse des années », LEV, 2020, http://www.laityfamilylife.va/content/dam/laityfamilylife/Epub/La%20richesse.pdf

[15] 2012 a été une année que les institutions internationales ont consacrée à la vieillesse : l’Union européenne l’avait proclamée « Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle », alors que l’Organisation Mondiale de la Santé avait consacré la Journée Mondiale de la Santé 2012 au thème « Vieillissement et santé : la bonne santé ajoute de la vie aux années ».

[16] Pour une panoramique, cf. C.Durret, Senior Cohousing, A Community approach to Indipendent LivingThe Handbook, 2019, Gabriola Island BC, Canada.

[17] François, Tweet du 15 Juin 2020.

[18] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/elder-abuse

[19] François, Audience générale, 4 Mars 2015.

[20] François, Discours aux participants au Ier Congrès international de pastorale des personnes âgées « La richesse des années », 31 Janvier 2020.

[21] François, Audience générale, 11 Mars 2015.

[22] Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, Conclusions au Ier Congrès international de pastorale des personnes âgées « La richesse des années », 30 Janvier 2020, in http://www.laityfamilylife.va/content/dam/laityfamilylife/Epub/La%20richesse.pdf

[23] François, Discours aux participants au Ier Congrès international de pastorale des personnes âgées « La richesse des années », 31 Janvier 2020.

[24] Jean-Paul II, Lettre aux personnes âgées, 1999.

[25] Cf. FRANÇOIS, Rencontre avec les personnes âgées, 28 Septembre 2014.

[26] François, Homélie, 2 Février 2018.

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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