Mgr Bruno-Marie Duffé © AKM/Zenit

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La vieillesse, un temps pour offrir ce qu’on a découvert de la vie, par Mgr Duffé

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Présentation du nouveau document de l’Académie pour la vie

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« L’ancien n’a qu’une seule chose à vivre: offrir ce qu’il a découvert de la vie, pour que l’enfant ait encore – et toujours – le goût de découvrir et d’inventer la vie », affirme Mgr Bruno-Marie Duffè, secrétaire du Dicastère pour le service du développement humain intégral.

En présentant au Vatican le document « Vieillesse : notre avenir », de l’Académie pontificale pour la vie, ce 9 février 2021, Mgr Duffé a souligné que « les anciens sont notre mémoire et, en cela, ils sont, paradoxalement, notre espoir ».

En effet, « si nous prenons appui sur leur expérience et leurs découvertes, nous pouvons poursuivre l’aventure de l’histoire humaine… Si les anciens continuent à rêver, les plus jeunes peuvent continuer d’inventer. Si le regard de l’ancien encourage avec douceur les projets du plus jeune, l’un et l’autre vivent dans l’espérance qui traverse les peurs ».

Le numéro 2 du Dicastère a aussi déploré que la « culture technicienne, qui place au cœur de la pensée et de la vie, l’efficacité immédiate, nous (conduise) bien souvent à abandonner les anciens, considérés comme moins productifs ».

Présentation de Mgr Bruno-Marie Duffè

Dans son Exhortation Apostolique «Christus vivit» qui faisait suite au Synode sur les jeunes, la vocation et le discernement, le Saint Père évoque le témoignage d’un jeune auditeur du Synode, venant des Iles Samoa.

Ce jeune, dit le Saint Père, parle de l’Eglise comme d’une «pirogue, sur laquelle les vieux aident à maintenir la direction en interprétant la position des étoiles, et les jeunes rament avec force en imaginant ce qui les attend plus loin» (Christus vivit n.201).

Cette belle comparaison de l’Eglise comme une pirogue peut également être appliquée à la société. Car si nous perdons les conseils des anciens, pour avancer sur le fleuve souvent tumultueux de notre histoire, nous risquons de perdre la mémoire. Et en perdant la mémoire, nous perdons aussi l’espoir (cfr. Le livre «La sagesse du temps» – dialogue avec le Pape François sur les grandes questions de la vie – sous la direction d’Antonio Spadaro, Venise, 2018) (Christus vivit n.196).

Les anciens sont notre mémoire et, en cela, ils sont, paradoxalement, notre espoir. Si nous prenons appui sur leur expérience et leurs découvertes, nous pouvons poursuivre l’aventure de l’histoire humaine. Car avec la mémoire, l’espoir est possible. Le paradoxe est en effet que les anciens ont toujours une longueur d’avance. Ils sont déjà passés par où nous passons. Et ils peuvent nous dire ce que peuvent produire certaines expériences que nous vivons pour la première fois.

Evidemment il est clair que chaque vivant doit parcourir son propre chemin. Car, comme le dit Saint Augustin, «le chemin n’existe que parce que tu le parcours». Le chemin est donc la parabole de l’existence humaine. Mais nous ne sommes jamais seul sur ce chemin: les anciens peuvent nous conseiller et les plus jeunes peuvent nous encourager.

La culture technicienne, qui place au cœur de la pensée et de la vie, l’efficacité immédiate, nous conduit bien souvent à abandonner les anciens, considérés comme moins «productifs». Il y a des entreprises industrielles où l’on est considéré comme vieux à cinquante ans et parfois même remercié au profit d’un plus jeune, plus «agressif» … L’individualisme, analysé par le Pape François, dans sa dernière encyclique «Fratelli tutti», comme la pensée d’un monde clos et égocentrique, participe à cette culture dans laquelle nous n’avons pas besoin des autres: pas besoin des vieux, pas besoin de ceux qui vont plus doucement. Les vieux sont, par définition, dans cette culture, des «has been».

Il résulte de cela une double conséquence: les anciens, qui ne participent plus directement, aux processus de production économique, ne sont plus prioritaires dans notre société. Et, en contexte d’épidémie, ils sont pris en charge après les autres, les «productifs», alors même qu’ils sont plus fragiles. L’ordre d’accès aux soins d’urgence a montré, plus d’une fois, qu’ils ne pouvaient pas bénéficier des thérapies d’assistance respiratoire. L’autre versant de cette même conséquence, c’est la brisure du lien entre les générations: les enfants et les jeunes ne pouvant plus rencontrer les anciens, maintenus en confinement strict. Cela a parfois entrainé des troubles psychiques chez certains enfants ou jeunes qui avaient besoin de voir leurs grands parents. Tout comme les grands parents avaient besoin de voir leurs petits-enfants, sous peine de mourir d’un autre virus: le chagrin.

Ainsi pouvons-nous dire que la crise sanitaire a mis en lumière une composante majeure de la relation sociale. La capacité à relever le défi de la vie – ses inconnues et ses joies – repose, pour une part, sur l’inspiration propre au dialogue entre les générations. Un dialogue qui peut s’offrir par la parole ou par le silence, par le dessin offert par l’enfant et qui fait encore rêver l’ancien. Enfin par la tendresse de leurs regards qui se croisent et s’encouragent.

Le rêve et la tendresse. C’est bien de cela dont il s’agit. Si les anciens continuent à rêver, les plus jeunes peuvent continuer d’inventer. Si le regard de l’ancien encourage avec douceur les projets du plus jeune, l’un et l’autre vivent dans l’espérance qui traverse les peurs. Alors peut s’accomplir la parole du prophète Joël: «vos enfants prophétiseront et vos vieillards auront des songes». Tous les pédagogues et les pasteurs qui ont conduit des enfants vers des anciens savent que les enfants n’ont jamais oublié cette rencontre… d’un paysan, d’un pêcheur, d’un artiste, d’un inventeur, d’un mendiant de la rue ou d’un religieux dans son monastère. Car l’ancien n’a qu’une seule chose à vivre: offrir ce qu’il a découvert de la vie, pour que l’enfant ait encore – et toujours – le goût de découvrir et d’inventer la vie.

Que garderons-nous de cette terrible expérience d’une maladie qui a touché tous les âges et tous les peuples? Certains, ayant vécu la souffrance de la séparation, réapprennent, au sein de leur famille, le lien d’écoute et du soin entre les générations. D’autres gardent en eux-mêmes, dans le silence intime et la tristesse, le regard de ne pas avoir parlé plus avec ceux qui sont partis. Tous, nous comprenons que cette mémoire que portent les anciens, ils nous l’apportent dans la «fragilité des vases d’argile» – ainsi que le suggère l’Apôtre Saint Paul. Dans le trésor de la mémoire, il y a en effet la foi, reçue et offerte: ce goût de la vie éternelle qui est déjà commencée. Voilà pourquoi les générations, en se donnant la main, dans le geste de l’affection partagée, s’offrent l’une à l’autre la connaissance et le rêve: une espérance qui ne peut pas mourir parce qu’elle est le don même de Dieu.

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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