« Dans l’Assomption nous voyons qu’en Dieu il y a de l’espace pour l’homme et en l’homme il y a de l’espace pour Dieu », écrit Mgr Francesco Follo dans sa méditation pour la Solennité de l’Assomption, ce 15 août 2020 (Ap 11,19a; 12,1-6a.10ab; Sal 44; 1 Co 15,20-27a; Lc 1, 39-56).
Le mystère de l’Assomption est « comme la synthèse de notre vie chrétienne », souligne l’observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco à Paris.
Introduction.
La solennité de l’Assomption a une signification particulière pour moi parce que à la Vierge Marie accueillie par son fils dans le Ciel est dédiée la cathédrale de Crémone, où j’ai été ordonné prêtre il y a cinquante ans. Le mystère que – avec cette fête – l’Église nous invite à regarder c’est comme la synthèse de notre vie chrétienne : dans la glorification de Marie nous contemplons, en effet, le destin de joie qui attend toutes nos vies, qui rassemblera toutes nos attentes et donnera l’accomplissement à toutes nos fatigues, à notre travail et à notre désir d’une paix qui dure pour toujours.
L’Église nous invite à contempler ce mystère, car il nous montre que Dieu veut sauver l’homme tout entier, c’est-à-dire sauver le corps et l’âme. « Jésus est ressuscité avec son corps qu’il avait pris de Marie ; et il est monté au Père avec son humanité transfigurée. Avec le corps, un corps comme le nôtre, mais transfiguré. L’assomption de Marie, créature humaine, nous donne la confirmation de ce que sera notre glorieuse destinée » (Pape François).
Alors, à la question : « Que donne l’Assomption de Marie à notre chemin, à notre vie ? La première réponse est : « Dans l’Assomption, nous voyons qu’en Dieu il y a place pour l’homme, Dieu lui-même est la maison aux nombreux appartements dont parle Jésus (cf. Jn 14, 2) ; Dieu est la maison de l’homme, en Dieu il y a un espace pour Dieu. Et Marie, en s’unissant, unie à Dieu, ne s’éloigne pas de nous, ne va pas dans une galaxie inconnue, parce que qui va vers Dieu s’approche aux autres, car Dieu est proche de nous tous, et Marie, unie à Dieu, participe à la présence de Dieu, est très proche de nous, de chacun de nous » (Benoît XVI). En Dieu il y a de la place pour l’homme, et Dieu est proche, et Marie, unie à Dieu, est très proche, son cœur aussi large que le cœur de Dieu.
Mais il y a aussi une seconde réponse : non seulement en Dieu il y a de l’espace pour l’homme, mais en l’homme il y a un espace pour Dieu. Cela aussi nous le contemplons en Notre-Dame qui, comme Tabernacle vivant, a apporté la présence de Dieu. « En nous il y a place pour Dieu et cette présence de Dieu en nous, si importante pour éclairer le monde dans sa tristesse, dans ses problèmes, cette présence se réalise dans la foi : dans la foi nous ouvrons les portes de notre être pour que Dieu entre en nous, pour que Dieu soit la force qui donne vie et chemin à notre être » (Id.).
1) Le but de la pèlerine du Ciel
Le Don (Marie) par lequel Dieu nous a donné son Fils ne pouvait se corrompre. Le Temple vivant qui avait accueilli en premier le Corps du Christ ne pouvait devenir poussière. L’Assomption[1] de la Vierge éclaire de façon limpide la phrase qui souvent se répète à partir de Saint-Irénée de Lyon (IIe siècle) : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme puisse devenir Dieu ».
Que signifie : « devenir Dieu ? ». Cela veut dire : devenir un vivant dont la vie n’a pas des limites parce qu’elle est pour toujours libérée du péché et de la mort.
Avant de réfléchir sur la scène de l’Evangile de la Messe d’aujourd’hui qui représente la Visitation de Marie à sa cousine Elisabeth dont le fils exulte de joie en percevant la présence du Fils de Dieu dans le ventre maternel, je m’arrête sur l’image (en grec : icône) de la Vierge Mère tenant dans ses bras le Bambin divin qu’elle soutien et protège. Marie, au nom de toute l’humanité, accueille Dieu d’une façon si tendre et familière qu’elle appuie son visage sur celui de Jésus. Ce Jésus, à la fin de la vie terrestre de sa Mère, fait une chose analogue. Si nous contemplons l’icône de la Dormition (c’est par cette désignation que les églises orientales célèbrent l’Assomption) de Marie, nous voyons que dans ce cas, c’est Lui qui accueille sa Mère : Dieu accueille l’humanité.
Regardons le tableau :
La Vierge Marie est morte. Jésus s’approche à son corps revêtu d’une robe noire, noir chrysalide. Son Fils ressuscité qui prend dans ses bras l’âme de sa Mère, représentée comme une enfant qui achève sa naissance dans le Règne du Ciel. Dans certaines icônes, Jésus approche son visage à celui de cette femme-enfant. Contemplons cette assomption dans laquelle le divin accueille l’humain. Et c’est une grande fête. A ce propos, Saint-Anselme d’Aoste affirme que le Rédempteur voulut monter au ciel avant sa mère non seulement pour lui préparer un trône digne d’elle dans son palais royal, mais aussi pour rendre son entrée au ciel plus triomphale et plus glorieuse, en la recevant Lui-même avec tous les anges et les bienheureux du paradis.
La fête de l’Assomption nous rappelle notre destin de vie pleine dans la communion avec Dieu. Marie prise au ciel, dans l’âme et dans le corps est le mystère de notre foi qui nous montre que, nous aussi, comme Marie, sommes destinés à resurgir un jour dans l’âme et dans le corps, et tout notre être , toute notre histoire , nos relations d’ amour vécues à travers le cœur et les gestes de notre corps, trouveront leur plénitude et leur accomplissement dans l’Amour de Dieu. Rien de notre histoire ne sera perdu, rien ne sera vécu sans une signification, aucun de tous ces gestes de fidélité, d’amour, d’humilité, de justice faits avec notre âme et notre corps ne seront vains.
2) La Route
Le fête de l’Assomption de Marie ne nous parle pas seulement du but mais aussi du chemin à accomplir pour nous, pèlerins, sur l’exemple de la Mère céleste, qui fut une pèlerine du Ciel tous les jours de sa vie sur terre.
Aujourd’hui nous célébrons la fête de l’Assomption de Marie, l’entrée au ciel de celle qui a cru, aux côtés de son fils, en anticipant le destin qui attend chaque homme. Marie nous précède dans l’accueil de cette Parole qui génère le Fils en nous, mais nous précède aussi dans l’espoir de la résurrection, dans l’assomption de toute l’humanité dans la vie de Dieu.
Pour nous faire comprendre ce mystère, la liturgie d’aujourd’hui nous emmène au début de celle histoire, dans laquelle le Ciel est descendu sur la terre et est devenu petit germe de vie dans le ventre d’une simple femme venant d’un petit village. Elle nous propose le passage de l’Evangile qui raconte la visite de la Mère du Messie à Elisabeth. La Mère de Dieu, après avoir reçu par l’Ange l’annonce de sa maternité, se rend promptement et amoureusement chez Elisabeth, personne âgée de sa famille, pour partager sa joie avec quelqu’un qui vivait la même situation. La raison de la fête est donc la joie pour être aimé par un Amour fécond.
Essayons d’imaginer la scène de la rencontre dans la maison de Zacharie. On pourrait dire que les protagonistes sont deux femmes qui se rencontrent, deux femmes enceintes, une âgée, vieille de dizaines de siècles d’attente – le Baptiste représente même plus de 2000 ans d’attente, il représente toute l’humanité qui attend le Sauveur promis depuis la nuit des temps. Une femme, donc, qui porte en elle, l’attente ancienne de l’humanité. L’autre, une jeune femme qui porte en elle l’Attendu de l’humanité, qui porte en elle la nouveauté, la vie nouvelle. La plus âgée porte le désir la jeune le Désiré. Une porte la faim, l’autre la nourriture. Et il y a la rencontre devient événement.
Je pense qu’il soit juste affirmé que cette rencontre n’arrive pas seulement autant entre Marie et Elisabeth, qu’entre les deux enfants qui sont dans le ventre de leur maman et qui sont dans la joie.
Marie exulte dans le Magnificat, son chant de joie : tous les siècles l’appelleront bienheureuse. Elle sera toujours à côté du Seigneur en corps et âme, parce qu’elle a collaboré avec lui à l’œuvre de la rédemption.
Marie est Mère de Dieu parce qu’elle a cru en Sa parole et a accepté Sa proposition. Son bonheur vaut pour chacun de nous qui agit comme elle qu’aujourd’hui nous célébrons, en récupérant le sens profond de la reconnaissance au Seigneur pour Sa Présence, pour Sa visite parmi nous.
3) Visitation de la Mère de la Vie
La visite de Marie à Elisabeth permit la visite de Jésus à Jean le Baptiste.
Ce ne fut donc pas une visite de courtoisie, ni une visite afin de donner une aide humanitaire à une personne âgée. Ce fut un geste d’humble charité. Elle démontra que Dieu est réellement descendu pour visiter et racheter l’humanité entière.
Au début de la narration de la visitation de Marie à Elisabeth, il y a un mot auquel nous ne donnons pas trop d’importance : « empressement » : « Ces jours-là (après l’annonciation) Marie se leva et alla ‘avec empressement’ vers la région montagneuse, dans une ville de Judée » (Lc 1,39).
Pourquoi, au lieu de pour méditer les paroles de l’Ange Gabriel et ‘attendre l’annonce chez elle, la Vierge Mère va « rapidement » chez sa cousine âgée, finalement enceinte? Parce qu’elle était poussée par la charité du Christ. « Rapidement » ne veut pas dire qu’elle s’est mise à courir sur la route qui va à Ain Karim, le petit village à côté de Jérusalem où Elisabeth habitait. Cela veut dire qu’aucun retard n’existe pas et ne doit pas exister entre la conception de Jésus en elle et la présence de Jésus parmi les hommes.
Nous devons faire la même chose. Si nous devons faire naître Jésus en nous, comme Marie l’a fait, nous devons laisser fleurir l’Esprit en nous, en partant…sans retard : chaque grâce est une mission. Chaque vocation est une mission de porter avec empressement la présence du Christ dans le monde.
Cette vocation est vécue, par les vierges consacrées dans le monde, à partir de leur totale adhésion au Christ et à leur communion avec lui : « Voulez vous être consacrées au Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu et le reconnaître comme votre époux ? Oui nous le voulons » – Rite de consécration des vierges n.17). Cela implique que la plénitude de la virginité doit être donnée par le sens de la maternité. Elles sont réellement des vierges et épouses lorsqu’elles commencent à se sentir Mères, lorsque leur zèle pour sauver les âmes et les porter à Dieu les poussent à mettre à disposition de l’Eglise et de l’humanité toutes leurs ressources et en consommant leur existence avec empressement. Alors, elles donnent la vie, en servant la Vie (le Christ) comme le suggère la prière du Rite de consécration des Vierges au n. 18 : « Prions Dieu Notre Père, son fils notre Seigneur, afin que l’Esprit diffuse sa grâce en abondance sur celles qu’Il a choisi de consacre à son service ».
Lecture patristique
Saint Bernard de Clairvaux
DEUXIÈME SERMON POUR L’ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE.
Il faut nettoyer, orner et meubler la maison.
- Jésus entra dans une bourgade et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison (Luc. X, 88). » Il me semble que je ne puis mieux faire, en entendant ces mots, que de m’écrier avec le Prophète : » O Israël, que la maison de Dieu est grande, et que ses possessions sont étendues (Baruch. III, 24) ! » Le sont-elles assez, en effet, pour qu’au prix d’elles l’immensité de cette terre ne soit qu’une petite bourgade ? Sa patrie et le pays qu’il habite sont-ils assez grands pour que l’Évangéliste, en parlant de l’arrivée du Sauveur de ce monde, dise : il est entré dans une petite bourgade? A moins que par ce mot bourgade, il faille entendre autre chose que les foyers du fort armé du prince, de ce monde, dont un plus fort armé vient enlever tous les meubles. Hâtons-nous, mes frères, d’entrer dans ce vaste séjour du bonheur, là où la place de l’un ne prend point sur celle de l’autre, et où nous pourrons comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur. Ne désespérons point d’y arriver, quand nous voyons celui qui habité dans les cieux, et qui en est le créateur, ne pas dédaigner d’entrer dans l’étroit séjour de notre petite bourgade.
- Mais, que dis-je, entrer dans notre petite bourgade ? Il est même descendu dans l’étroite hôtellerie que lui offre le sein d’une vierge; n’est-il pas dit, en effet, que » une femme le reçut dans sa maison. » Oh ! heureuse la femme qui reçoit non pas les espions venus à Jéricho, mais bien le vaillant, spoliateur, de ce sot ennemi qui est un vrai Jéricho, puisqu’il change comme la lune. Ce ne sont pas les envoyés de Jésus, fils de Marie, qu’elle héberge chez elle, mais c’est le vrai Jésus, fils de Dieu. Oui, heureuse celle dont la maison où elle reçut le Seigneur, s’est trouvée nettoyée, mais point vide de tout. En effet, qui pourrait dire vide, la demeure que l’Ange appelle pleine de grâces ? Que dis-je ? pleine de grâces ? qu’il salue comme allant voir le Saint-Esprit même survenir en elle ? Or, pourquoi surviendra-t-il en elle, sinon pour l’emplir et la suremplir ? Pourquoi encore ? sinon, pour que déjà remplie par le Saint-Esprit qui était venu en elle, elle en fût suremplie, elle en débordât sur nous. Plaise à Dieu que ces parfums, c’est-à-dire, les dons de sa grâce, découlent d’elle en nous, et que nous recevions tous de cette plénitude! Elle est notre médiatrice, c’est par elle que nous avons reçu ,votre miséricorde, ô mon Dieu ; enfin, c’est par elle que nous recevons le Seigneur Jésus dans nos maisons. Car, nous avons tous notre castel et notre maison, et la Sagesse frappe à la porte de chacun de nous; pour entrer chez celui qui lui ouvrira et soupera avec lui. Un proverbe que tout le monde a à la bouche, et qui se trouve encore plus dans le coeur, dit : Celui qui garde son. corps, garde un bon castel ; mais ce n’est pas le proverbe du Sage, le sien serait plutôt celui-ci : » Appliquez-vous à la garde de votre coeur, parce qu’il est la source de la vie (Prov. IV, 23). «
- Toutefois. disons aussi avec la foule : Celui qui garde son corps. garde un bon castel; seulement voyons quelle garde il faut mettre à ce castel. Peut-on dire que l’âme a bien gardé le castel de son corps, lors qu’elle a laissé ses membres conspirer, si je puis parler ainsi, et en livrer la; possession à son ennemi? Il y en a qui ont fait une alliance avec la mort, et un pacte avec l’enfer (Isa. XXVIII, 12) » Mon ami, est-il dit, après s’être engraissé, oui, une fois engraissé, plein d’embonpoint et florissant de santé, s’est révolté (Deut. XXXII, 15). » Voilà e genre de garde que louent les pécheurs dans les désirs de leur chair. Que vous ensemble, mes, frères, devons-nous sur ce chapitre, être de l’avis de la multitude? Non, non, adressons-nous plutôt à Paul, le brave général de notre milice spirituelle. Dites-nous donc, ô Apôtre, comment vous avez gardé votre castel? » Moi, dit-il si je cours, ce, n’et point au hasard. si je combats, ce n’est point contre l’air que je dirige mes coups ; mais je traite rudement mon corps st le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois, moi-même réprouvé (I Cor. 26). » Ailleurs, il dit : » Que le péché ne règne point dans votre corps mortel; et ne vous fasse point obéir à ses désirs déréglés (Rom. VI, 12) . » Voilà la bonne garde à faire, et heureuse l’âme qui garde si bien son corps que jamais l’ennemi ne le tienne en son pouvoir. Il fut un temps où cet impie tenait mon castel sous son tyrannique empire, et commandait en maître, à tous mes membres . On peut se rendre compte du mal qu’il fait alors par la désolation et le dénuement qui, y règnent maintenant. Hélas! il n’y a laissé debout ni le mur de la continence, ni le contrefort de la patience. Il en a ravagé les vignes, saccagé les moissons, arraché les arbres; il n’est pas jusqu’à mes yeux qui n’aient porte la désolation dans mon âme. Si même le Seigneur n’était à mon secours, il s’en faudrait de peu que je ne fusse en enfer, je parle, de cet enfer inférieur, où il n’y a plus de place pour la confession et d’où il n’est donné à personne de sortir
- D’ailleurs, dès lors même, ni la prison, ni l’enfer ne lui manquaient à mon âme pécheresse; car à peine :victime de cette conjuration de cette trahison détestable, elle se trouva, chez elle-même dans une véritable prison. et livrée aux gens de sa maison pour être torturée. Elle eut pour prison sa propre conscience, peur bourreaux sa raison et sa mémoire, et ils s’acquittèrent de leur emploi pitié, avec rigueur, avec cruauté même ; mais pourtant avec moins de cruauté que les lions rugissants prêts à la dévorer, auxquels elle allait être livrée (Eccli. LI, 4 ). Aussi, béni soit le Seigneur qui ne m’a point laissé en proie à leurs dents (Psal. CXXIII, 4). Oui béni le Seigneur qu i m’a visité et racheté (Luc, I, 68). En effet, au moment où le malin avait hâte de jeter mon âme dans l’enfer inférieur, et de livrer mon castel aux flammes éternelles pour l’y consumer, afin que mes membres reçussent la récompense de leur parjure, un plus fort que lui survint. Jésus entra dans mon castel, garrotta le fort armé et s’empara de ses meubles, pour faire des vases d’honneur, de ceux qu’il consacrait à l’ignominie, il brisa ses portes d’airain, rompit ses gonds de fer, arracha son prisonnier du fond de son cachot, et le tira des ombres de la mort. Or, c’est dans la confession que se fit cette sortie de prison; voilà, en effet, l’instrument qui servit en même temps à nettoyer et à parer son cachot; bientôt les joncs verdoyants des institutions régulières, rendirent à sa prison l’aspect d’une demeure habitable. Dès lors, cette femme a sa maison, elle a un endroit pour recevoir celui à qui elle est redevable de si grands bienfaits. D’ailleurs, malheur à elle, si elle ne le retient pas chez elle, si elle ne le force point à demeurer avec elle, quand le soir approche. Car celui qui en a été chassé reviendra, il la retrouvera sans doute nettoyée et parée, mais vide.
- Et, en effet, il ne restera qu’une maison vide à l’âme qui aura négligé d’en faire une habitation digne du Seigneur. Mais vous me demanderez peut-être comment il peut se faire qu’une maison purifiée par la confession de ses anciens péchés, ornée par l’observation des pratiques régulières, peut encore être considérée comme indigne de devenir le séjour de la grâce et de recevoir le Sauveur. Il en est pourtant ainsi, n’en doutez point, tant qu’elle n’est nettoyée qu’au dehors et n’est pas couverte, comme je le disais, de joncs verdoyants, mais toute pleine de boue à l’intérieur. Qui pense qu’on peut recevoir le Seigneur dans des sépulcres blanchis, qui semblent beaux quand on ne les voit que par dehors, mais qui sont tout pleins au dedans de corruption et de pourriture ? Supposons, en effet, que, attiré par de beaux dehors, il y mette le pied et condescende à faire faire à sa grâce une première visite dans cette âme, ne reculera-t-il point à l’instant indigné, ne se retirera-t-il point en criant : j’ai mis le pied dans une boue profonde où il n’y a point un seul endroit solide (Psal. LXVIII, 5) ? Car les apparences de la vertu sans la réalité ne sont que des accidents sans la substance. Or les légères apparences d’une vie qui est toute extérieure, ne sauraient offrir un terrain solide au pied de celui qui entre partout et va fixer sa demeure au plus profond du coeur. Si l’esprit de discipline ne peut habiter dans un corps manifestement soumis au péché, non-seulement il se détourne de celui qui y est soumis en feignant de ne point l’être, mais encore il le fuit, il s’en éloigne. Or, est-ce autre chose qu’une feinte abominable que de ne raser le péché qu’à l’extérieur, en en laissant subsister les racines au dedans? Soyez certain qu’il y pullulera de plus belle, et que le malin qui avait été chassé de cette maison, dont il avait fait sa demeure, y reviendra avec sept esprits pires que lui, en la retrouvant nettoyée, mais vide. C’est le chien qui retourne à son vomissement, elle est plus repoussante qu’elle ne l’était auparavant, car celui qui, après avoir obtenu le pardon de ses fautes, retombe dans les mêmes horreurs que précédemment, comme le sanglier retourne à sa bauge fangeuse, devient vingt fois fils de l’enfer.
- Voulez-vous voir une maison nettoyée, ornée, mais vide? Jetez les yeux sur cet homme qui a confessé ses fautes, renoncé à ses péchés extérieurs qui le faisaient juger, et qui maintenant ne travaille que du corps aux oeuvres prescrites, parce que le coeur sec n’agit plus que par une sorte d’habitude, absolument comme la génisse d’Éphraïm, qui aime à fouler le grain. Il n’omet pas un seul iota de la loi, il n’en passe pas un point, il ne néglige pas la moindre des pratiques extérieures, mais s’il ne peut se résoudre à boire un moucheron, il avale un chameau. Au fond du coeur, il est esclave de sa propre volonté, rongé par l’avarice, avide de gloire, plein d’ambition, il cultive tous ces vices ensemble, ou, au moins, il en nourrit quelques uns : en cela l’iniquité se ment à elle-même, mais Dieu ne saurait en être la dupe. En effet, il arrive quelquefois des hommes qui se déguisent si bien, qu’ils se séduisent eux-mêmes, et ne remarquent point qu’ils ont un ver au coeur qui les ronge. Les dehors sont sauvés, et ils croient que par là tout est sauvé pour eux. Comme dit le Prophète : » Des étrangers ont dévoré toute leur force, et ils ne s’en sont pas même aperçus (Osée, VII, 9). » Ils disent : Je suis riche, je n’ai besoin de rien, tandis qu’ils sont pauvres, dans le malheur et la misère (Apoc. III, l7). En effet, à la première occasion, on voit la plaie, cachée sous l’ulcère, s’enflammer, et l’arbre coupé jusqu’à la racine, mais non point arraché, repousser toute une forêt de rejetons. Pour échapper à ce péril, il faut mettre la cognée à la racine de l’arbre, non à ses rameaux. Qu’on ne trouve donc point en nous rien que des pratiques corporelles, elles ne valent que bien peu, mais qu’on y trouve la piété qui est utile à tout, et les pratiques spirituelles.
- L’Évangéliste continue : » Une femme nommée Marthe le reçut dans sa demeure; elle avait une soeur du nom de Marie. » Elles sont soeurs, elles doivent donc habiter ensemble, l’une s’occupera des détail du ménage, l’autre sera toute entière aux paroles du Seigneur. Marthe se chargea de parer la maison, et Marie de l’emplir; en effet, elle vaque au Seigneur, pour que le Seigneur ne laisse point sa demeure vacante. Mais qui se chargera du nettoyage? Car il faut que la maison où le Sauveur est reçu, s’il s’en trouve une quelque part, soit nettoyée, ornée et qu’elle ne soit point vide. Confions donc, si vous le voulez, le soin de la nettoyer à Lazare, car son titre de frère lui permet d’y demeurer avec ses soeurs. Or je parle de ce même Lazare qui est en terre depuis quatre jours, qui déjà sent mauvais, mais que la voix puissante de Jésus-Christ ressuscite d’entre les morts. Que le Sauveur entre donc dans cette maison, qu’il en fasse souvent sa demeure, car Lazare la nettoie, Marthe l’orne, et Marie la remplit en s’adonnant à la méditation de l’esprit.
- Mais on me demandera, peut-être avec curiosité, pourquoi dans notre Évangile il n’est pas parlé de Lazare; je pense que ce n’est pas sans une raison qui a du rapport avec ce que j’ai, dit, plus haut. Le Saint-Esprit, voulant faire comprendre qu’il s’agissait d’une habitation virginale, ne fit aucune mention de la pénitence qui nécessairement ne vient qu’après le mal. Il s’en faut bien, en effet, qu’on puisse dire que cette maison ait été souillée en quoi que ce soit, et ait eu besoin que Lazare y passât le balai. Supposez qu’elle eût contracté de ses parents la faute originelle, tout au moins la piété chrétienne ne nous permet pas de croire qu’elle fût moins sanctifiée que Jérémie dans le sein maternel, et moins remplie du Saint-Esprit que saint Jean, dès le ventre de sa mère : en effet, s’il en était autrement, si elle n’avait été sainte en naissant, on ne ferait point une fête du jour où elle vint au monde (a). Enfin, quand on sait, à n’en point douter, que Marie a été purifiée par la grâce toute seule, de la faute originelle que, maintenant la grâce ne lave que dans les eaux du baptême, et que la pierre de la circoncision enlevait seule autrefois, s’il faut croire, comme il y a piété à le faire, que Marie ne commit jamais un seul péché actuel, il s’en suit nécessairement qu’elle ne connut jamais non plus le repentir. Que Lazare se trouve là où il y a des consciences qui ont besoin de se laver de leurs oeuvres de mort; qu’il se trouve parmi les blessés qui dorment dans leur sépulcre, il ne peut y avoir que Marthe et Marie dans la demeure de la Vierge (Luc. I, 56), de celle qui alla rendre ses devoirs à sa parente Élisabeth, déjà vieille et grosse de trois mois environ, de celle qui méditait en son cœur tout ce qu’elle entendait dire de son fils (Luc. I, 19).
- Il ne faut pas voir une difficulté dans ce qu’il est dit que la femme qui reçut le Seigneur s’appelle Marthe, au lieu de Marie, puisque dans notre grande Marie on retrouve en même temps l’occupation de Marthe, et le calme repos de Marie. Toute la beauté de la fille du roi est à l’intérieur, ce qui n’empêche point qu’elle ne soit, au dehors, parée de vêtements de toutes sortes, (Psal. XLIV, 10). Elle n’est point du nombre des vierges folles, c’est une vierge prudente, qui a sa lampe et de l’huile dans son vase (Matt. XXV, 12). Auriez-vous oublié la parabole de l’Évangile, qui nous représente les vierges folles exclues de la salle des noces? Leur demeure était pure; puisqu’elles étaient vierges, elle était ornée, puisque toutes, sages et folles avaient préparées leurs lampes, mais elles étaient vides, puisqu’elles avaient point d’huile dans leur vase. Or, c’est à cause de cela que l’Époux n’a voulu ni être reçu par elles dans leurs maisons, ni les recevoir elles-mêmes dans la salle de ses noces. Il n’en fut pas ainsi de la femme forte qui a écrasé la tête du serpent, car, entre autres éloges qui sont faits d’elle, il est dit : » Sa lampe ne s’éteindra point pendant la nuit (Prov., XXXI, 18). » C’est une allusion aux vierges folles qui, au milieu de la nuit, ou au moment où l’Époux arrivait, se plaignent, mais bien tard et disent : » Nos lampes se sont éteintes (Matt, XXV, 8). » La glorieuse Vierge Marie s’estdonc avancée avec sa lampe allumée, et fut, pour les anges eux-mêmes, un tel sujet d’étonnement, qu’ils s’écriaient : » Qu’elle est celle qui s’avance comme l’aurore à son lever, belle comme la lune, et éclatante comme le soleil (Cant. VI, ,9) ? » En effet, ils voyaient briller plus que les autres celle que Jésus-Christ, son fils et Notre Seigneur, avait remplie de l’huile de sa grâce, bien plus que toutes ses compagnes.
[1] Le dogme de l’Assomption fut proclamé par le Pape Pie XII, le 1er novembre 1950, Année Sainte, à travers la Constitution apostolique Munificentissimus Deus. Mais ce qu’elle vient de définir était déjà présent en la foi de l’Eglise (“sensus fidelium”), notamment en la foi populaire, depuis le 4ème siècle, quand un Père de l’Eglise, Epiphane de Salamine, chercha à répondre à la question sur la destinée finale de Marie. En effet on se posait la question de savoir si Marie, étant totalement exempte du péché – compte tenu que l’un des effets du péché originel est la mort – eût également dû être assujettie à la mort comme tous les autres êtres humains. Pour cette raison au 6ème siècle l’Evêque de Livias (près de Jéricho) affirma dans une homélie: « il était opportun que le corps qui avait porté et gardé en soi le Fils de Dieu, après avoir été sur terre, eût été accueilli glorieusement au ciel avec l’âme ».
Entre-temps l’Eglise commençait à célébrer les fêtes mariales. Et en effet la première de celles-ci fut exactement celle qui est à l’origine de la fête contemporaine de l’Assomption: le 15 août 453, à Jérusalem une église était dédiée à la mort de Marie avec le nom suggestif de « Dormition ». Ceci devait s’expliquer par le fait que Marie, au terme de sa vie, n’était pas vraiment morte, mais elle s’était comme endormie. C’est pour cela qu’en la tradition orientale la mort de Marie est appelée « dormitio » (= endormissement) ou « transitus » (=passage).
Plus tard au 7ème siècle l’Evêque Modeste de Jérusalem annonçait dans ses homélies que « Marie avait été prise par le Seigneur des Seigneurs de la Gloire », et il exaltait le trépas glorieux de la Mère de Dieu, « que le Fils avait pris dans le tombeau et appelée à soi d’une façon qui était connue seulement à lui ».