Messe à Nagasaki, Japon © Vatican Media

Messe à Nagasaki, Japon © Vatican Media

"Nagasaki porte dans son âme une blessure difficile à guérir" (homélie complète)

Première messe du pape François au Japon

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« Elevons nos voix ici dans une prière unanime, pour tous ceux qui souffrent aujourd’hui »: le pape François parle en ce termes aux chrétiens du Japon et spécialement de Nagasaki, épicentre de la persécution, qui a duré 260 ans, à l’occasion de sa première messe au Japon, ce 24 novembre 2019 – fête du Christ Roi de l’univers – , à 82 ans, alors que c’était pour lui un rêve de jeunesse que de se rendre au Japon, en missionnaire, comme il l’a confié aux évêques.
« Nagasaki, a reconnu le pape, porte dans son âme une blessure difficile à guérir, signe de la souffrance inexplicable de tant d’innocents ; des victimes provoquées par les guerres d’hier, mais qui continuent de souffrir aujourd’hui, dans cette troisième guerre mondiale par morceaux. Elevons nos voix ici dans une prière unanime, pour tous ceux qui souffrent aujourd’hui dans leur chair ce péché criant vers le ciel, et pour que soient de plus en plus nombreux ceux qui, comme le bon larron, ne peuvent se taire ni se moquer, mais par leur voix, annoncent un règne de vérité et de justice, de sainteté et de grâce, d’amour et de paix ».
Dans cette ville, martyrisée par les persécutions et par la bombe atomique, le pape a invité les chrétiens à être des « vivants »: « Nous croyons au Dieu des Vivants. Le Christ est vivant et agit au milieu de nous, en nous conduisant tous vers la plénitude de la vie. Il vit et il nous veut aussi vivants, il est notre espérance (cf. Christus vivit, 1). Nous l’implorons chaque jour : que vienne ton Règne, Seigneur. »
Il a encouragé à ne pas faiblir ans la lutte contre le mal: « Si notre mission de disciples missionnaires est celle d’être des témoins et des messagers de ce qui viendra, nous ne pouvons pas nous résigner face au mal et aux maux, mais elle nous pousse à être le levain de son Règne partout où nous sommes : en famille, au travail, dans la société ; à être une petite ouverture par laquelle l’Esprit continue de souffler l’espérance entre les peuples ».
Le pape a insisté sur le sacrement du frère, du plus pauvre: malades, personnes avec handicap, anciens et personnes abandonnées, réfugiés et travailleurs étrangers: « chacun d’eux est un sacrement vivant du Christ, notre Roi ».
Et il a exhorté les baptisés à être « levain de son Règne partout où nous sommes : en famille, au travail, dans la société ; à être une petite ouverture par laquelle l’Esprit continue de souffler l’espérance entre les peuples ».
Voici la traduction officielle de l’homélie du pape François, prononcée en espagnol. La messe a été égayée par la fin de la pluie et même un léger rayon de soleil.
AB
Homélie du pape François

« Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » (Lc 23, 42). En ce dernier dimanche de l’année liturgique, nous unissons nos voix à celle du malfaiteur qui, crucifié à côté de Jésus, l’a reconnu et l’a proclamé roi. Là, en ce moment moins triomphal et glorieux, au milieu des cris de moquerie et d’humiliation, le bandit a été capable d’élever la voix et de faire sa profession de foi. Ce sont les dernières paroles que Jésus entend et en retour, voici les dernières paroles que Jésus lui adresse avant de s’abandonner à son Père : « Je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23, 43). Le passé tortueux du larron semble, pour un instant, recevoir un sens nouveau : accompagner de près la passion du Seigneur ; et en cet instant, il ne fait que corroborer la vie du Seigneur : offrir toujours et partout le salut. Le calvaire, lieu de désarroi et d’injustice, où l’impuissance et l’incompréhension se rencontrent, accompagnées de murmures et de chuchotements indifférents justifiant les moqueurs successifs au pied de l’innocent, devient grâce à l’attitude du bon larron une parole d’espérance pour l’humanité tout entière. Les moqueries et les cris disant ‘‘sauve-toi toi-même’’ à l’endroit de l’innocent souffrant ne seront pas la dernière parole ; au contraire, ils suscitent la voix de ceux qui se laissent toucher le cœur et qui choisissent la compassion comme la manière appropriée de construire l’histoire.
Aujourd’hui, nous voulons renouveler notre foi et notre engagement ; nous connaissons bien l’histoire de nos échecs, de nos péchés et de nos limites, tout comme le bon larron, mais nous ne voulons pas que ce soit cela qui détermine ou définisse notre présent et notre avenir. Nous savons qu’elles ne sont pas rares, les fois où nous pouvons baigner dans l’atmosphère commode du cri facile et indifférent du ‘‘sauve-toi toi-même’’ et oublier ce que signifie se charger de la souffrance de beaucoup d’innocents. Ce pays a connu comme peu, le niveau de destruction dont l’être humain est capable. C’est pourquoi comme le bon larron, nous voulons vivre cet instant où nous pouvons élever nos voix afin de professer notre foi en défendant et en servant le Seigneur, l’innocent souffrant. Nous voulons l’accompagner dans sa passion, le soutenir dans sa solitude et dans son abandon, et écouter une fois encore que le salut est la parole que le Père veut offrir à nous tous: « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ».
Ce salut et cette certitude, saint Paul Miki et ses compagnons en ont courageusement témoigné par leur vie, tout comme les milliers de martyrs qui caractérisent votre patrimoine spirituel. Nous voulons cheminer sur leurs traces, nous voulons suivre leurs pas pour proclamer avec courage que l’amour donné, offert et célébré par le Christ en croix, est capable de vaincre toutes sortes de haine, d’égoïsme, de moquerie ou d’évasion ; il est capable de vaincre tout pessimisme stérile ou tout bien-être aux allures d’une évasion dans la drogue, qui finissent par paralyser quelque bonne action ou quelque choix. Le Concile Vatican II nous le rappelait : ils s’éloignent de la vérité ceux qui, sachant que nous n’avons point ici-bas de cité permanente, mais que nous marchons vers la cité future croient que, pour cela, nous pouvons négliger nos tâches humaines, sans s’apercevoir que la foi même que nous professons nous fait l’obligation de les affronter de telle manière qu’elles rendent compte et témoignent de la noblesse de notre vocation (cf. Gaudium et spes, 43).
Nous croyons au Dieu des Vivants. Le Christ est vivant et agit au milieu de nous, en nous conduisant tous vers la plénitude de la vie. Il vit et il nous veut aussi vivants. Le Christ est notre espérance (cf. Christus vivit, 1). Nous l’implorons chaque jour : que vienne ton Règne, Seigneur. Et ce faisant, nous voulons aussi que notre vie et nos actions deviennent une louange. Si notre mission de disciples missionnaires est celle d’être des témoins et des messagers de ce qui viendra, nous ne pouvons pas nous résigner face au mal et aux maux, mais elle nous pousse à être le levain de son Règne où que nous soyons : en famille, au travail, dans la société ; elle nous pousse à être une petite ouverture par laquelle l’Esprit continue de souffler l’espérance entre les peuples. Le Règne des cieux est notre fin commune, une fin qui ne peut être seulement pour demain, mais que nous implorons et commençons à vivre dès aujourd’hui, dans l’indifférence qui, tant de fois, entoure et fait taire nos malades et les personnes avec handicap, nos anciens et les personnes abandonnées, les réfugiés et les travailleurs étrangers ; chacun d’eux est un sacrement vivant du Christ, notre Roi (cf. Mt 25, 31-46), car « si nous sommes vraiment repartis de la contemplation du Christ, nous devrons savoir le découvrir surtout dans le visage de ceux auxquels il a voulu lui-même s’identifier » (S. JEAN-PAUL II, Novo millennio ineunte, n. 49).
Ce jour-là, au Calvaire beaucoup de voix se taisaient, tant d’autres se moquaient, seule celle du larron a été capable de s’élever et de défendre l’innocent souffrant ; somme toute, une courageuse profession de foi ! C’est à chacun de nous de prendre la décision de se taire, de se moquer ou de prophétiser. Chers frères, Nagasaki porte dans son âme une blessure difficile à guérir, signe de la souffrance inexplicable de tant d’innocents ; des victimes provoquées par les guerres d’hier, mais qui continuent de souffrir aujourd’hui, dans cette troisième guerre mondiale par morceaux. Elevons nos voix ici dans une prière unanime, pour tous ceux qui souffrent aujourd’hui dans leur chair ce péché criant vers le ciel, et pour que soient de plus en plus nombreux ceux qui, comme le bon larron, ne peuvent se taire ni se moquer, mais par leur voix, annoncent un règne de vérité et de justice, de sainteté et de grâce, d’amour et de paix (cf. Missel Romain, Préface de la Solennité de Jésus Christ, Roi de l’Univers).

Copyright – Librairie éditrice du Vatican
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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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