Promouvoir la réconciliation après un conflit, « ce n’est pas simplement effacer l’ardoise et cela ne peut jamais être considéré comme une excuse pour l’impunité ; les coupables doivent être tenus pour responsables et ceux dont la vie a été si durement touchée doivent recevoir une forme de réparation », a affirme Mgr Auza. Il a encouragé à recourir à « des mécanismes tels que la justice transitionnelle afin de jeter les bases sur lesquelles l’État de droit pourrait être rétabli et pour que tous puissent jouir des droits de l’homme universels ».
Mgr Bernardito Auza, nonce apostolique et observateur permanent du Saint-Siège, a délivré un discours lors du débat public du Conseil de sécurité sur « La consolidation de la paix et le maintien de la paix : Le rôle de la réconciliation dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales », à New York, le 19 novembre 2019. Le discours a été prononcé par Mgr David Charters.
« Une réconciliation véritable, a précisé le représentant du Saint-Siège, ne minimise en rien les souffrances, mais elle doit plutôt y faire face ; elle examine ce qui a conduit à la dispute et au conflit en premier lieu et utilise les moyens appropriés pour trouver un chemin vers une paix durable, ce qui n’est bien sûr pas possible sans justice ». Il a aussi souligné que « les communautés religieuses et les chefs religieux ont un rôle indispensable à jouer » au niveau local et communautaire, « un rôle qui ne peut jamais permettre l’ambivalence ni la manipulation politique ».
Voici notre traduction du discours de Mgr Auza.
HG
Discours de Mgr Bernardito Auza
Madame la Présidente,
Le Saint-Siège tient à remercier le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord d’avoir organisé ce débat public sur le rôle de la réconciliation dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Ce thème est à la fois crucial pour la paix et la stabilité des générations présentes et futures et central pour la mission de l’Église catholique qui, tout au long de son histoire, a toujours cherché à être un signe et un instrument d’unité entre les peuples.
Madame la Présidente,
Un puissant exemple de réconciliation a vu le jour après l’éclatement de la violence en République centrafricaine et après que diverses parties prenantes ont cherché à amplifier, voire à manipuler le caractère religieux du conflit afin d’aggraver les divisions artificielles au sein de la population. Trois hommes se sont levés et ont dit non : l’archevêque catholique de Bangui, un pasteur évangélique de la ville et un imam. Ils ont courageusement mis en place une plate-forme interreligieuse au niveau national, dont l’expérience s’est répétée au niveau des communautés locales à travers le pays. Malgré les inévitables problèmes et difficultés rencontrés en cours de route, la vision initiale et inspirée de ces trois chefs religieux demeure.
En outre, la visite de Sa Sainteté le pape François dans ce pays divisé et appauvri, en novembre 2015, a montré que ces efforts sont la seule voie à suivre. Il était et reste inconcevable pour les croyants et les membres des grandes religions de faire un « usage injuste des armes » (1) pour qu’un groupe domine les autres. Les leaders religieux doivent se tenir les coudes et montrer à ceux dont ils ont la charge pastorale que la diversité, qu’elle soit ethnique ou religieuse, ne doit pas être un obstacle à l’unité d’une nation et que les divisions peuvent être surmontées lorsque nous nous engageons dans la fraternité. L’invitation du Pape à l’Imam de la mosquée centrale, dans le troisième arrondissement de Bangui, de l’accompagner pour saluer les gens ensemble depuis la « papamobile » a été un signe fort et a eu un impact incroyablement positif, car elle a incité les gens des deux côtés du conflit à repenser, à mettre de côté leurs préjugés et à aller vers l’autre avec une confiance renouvelée.
Madame la Présidente,
La réconciliation, bien sûr, implique des différences ; elle reconnaît les divisions et cherche à surmonter les difficultés qui conduisent trop souvent à la mort de personnes, à la violence et à d’autres atteintes à leur dignité humaine. Il faut de la magnanimité pour voir la situation dans son ensemble, rechercher le bien commun et investir dans un avenir plus juste, plus humain et plus prospère. Cependant, une réconciliation véritable ne minimise en rien les souffrances, mais elle doit plutôt y faire face ; elle examine ce qui a conduit à la dispute et au conflit en premier lieu et utilise les moyens appropriés pour trouver un chemin vers une paix durable, ce qui n’est bien sûr pas possible sans justice.
Promouvoir la réconciliation, ce n’est pas simplement effacer l’ardoise et cela ne peut jamais être considéré comme une excuse pour l’impunité ; les coupables doivent être tenus pour responsables et ceux dont la vie a été si durement touchée doivent recevoir une forme de réparation. À cet égard, les sociétés fracturées devraient recourir à des mécanismes tels que la justice transitionnelle afin de jeter les bases sur lesquelles l’État de droit pourrait être rétabli et pour que tous puissent jouir des droits de l’homme universels. Pour que la paix puisse réellement s’épanouir, il est essentiel de garantir que les initiatives sont également mises en œuvre au niveau local et communautaire et qu’elles s’y développent : c’est là que les communautés religieuses et les chefs religieux ont un rôle indispensable à jouer, un rôle qui ne peut jamais permettre l’ambivalence ni la manipulation politique. A cet égard, il importe également de permettre à tous les acteurs concernés, y compris les membres de la société civile, d’être formés, afin de former à leur tour, à la culture de la paix.
Madame la Présidente,
Lorsque le pape François s’est agenouillé pour embrasser les pieds des dirigeants du Sud-Soudan lors d’une retraite tenue au Vatican en avril dernier, ce geste fort traduisait ce qu’il n’a cessé de demander, à savoir que « tous ceux qui participent au processus politique national cherchent ce qui unit et surmontent les divisions, dans un esprit de véritable fraternité » (2). Il pourrait en aller de même dans tant de lieux où règne une tension telle que les acteurs clés et les responsables pourraient s’engager sincèrement « pour un dialogue ouvert à tous dans la recherche du bien commun ». (3)
Le Saint-Siège estime que la signature, en février dernier à Abou Dhabi, du Document sur la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la cohabitation, par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, qui voulait être un encouragement au dialogue interreligieux, est un exemple du rôle important que peuvent jouer les chefs religieux pour rapprocher les peuples et, en même temps, c’est un appel supplémentaire, surtout lorsque les conflits se poursuivent, à réunir les parties dans un esprit de dialogue et d’entente car « rien n’est perdu avec et tout peut être perdu avec la guerre ».
Je vous remercie, Madame la Présidente.
- Pape François, homélie dans la cathédrale de Bangui, 29 novembre 2015.
- Pape François, paroles après l’Angélus du dimanche 10 novembre 2019.
- Ibid.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat