La paix est « encore fragile » au Mozambique, « comme elle est fragile dans le monde, a déclaré le pape François, et il faut la traiter comme on traite ce qui vient de naître, comme les enfants, avec beaucoup, beaucoup de tendresse, avec beaucoup de délicatesse, avec beaucoup de pardon, avec beaucoup de patience, pour la faire grandir jusqu’à ce qu’elle devienne robuste ».
C’est ce que le pape a répondu à une question d’un journaliste du Mozambique sur le processus de la paix dans son pays lors de la Conférence de presse qu’il a donnée dans l’avion Antananarivo-Rome, le 10 septembre 2019, au terme de son voyage apostolique au Mozambique, à Madagascar et à l’île Maurice (4-10 septembre).
« Nous devons travailler pour créer cette conscience que les guerres ne résolvent rien, au contraire, elles font gagner les personnes qui ne veulent pas le bien de l’humanité », a souligné le pape.
Il a aussi donné deux commentaires sur la xénophobie et l’éducation des jeunes.
La xénophobie « ce n’est pas seulement le problème de l’Afrique, a affirmé le pape François : « C’est un problème, une maladie humaine, comme la rougeole… » « Il faut combattre cela, a dit le pape : que ce soit la xénophobie d’un pays à l’égard d’un autre, ou la xénophobie interne. »
En ce qui concerne les jeunes, le pape a souligné qu’il faut « multiplier » les centres éducatifs « pour que l’éducation parvienne à tous ».
MD
Voici la réponse du pape François :
Le premier point, sur le processus de paix. Aujourd’hui, le Mozambique s’identifie avec un long processus de paix qui a eu ses hauts et ses bas, mais, à la fin, on est parvenu à cette étreinte historique. J’espère que cela continuera et je prie pour cela. J’invite tout le monde à faire cet effort afin que ce processus de paix se poursuive. Parce qu’avec la guerre, on perd tout, mais on gagne tout avec la paix, a dit un pape avant moi. Cette devise est claire, il ne faut pas l’oublier. C’est un long processus de paix parce qu’il a connu une première phase, puis c’est tombé, puis une autre phase… Et l’effort des chefs des partis adverses, pour ne pas dire ennemis, pour se rencontrer entre eux a été aussi un effort dangereux, certains ont risqué leur vie… Mais à la fin, nous y sommes arrivés. Je voudrais remercier toutes les personnes qui ont aidé dans ce processus de paix. Depuis le commencement, dans un café de Rome : il y avait quelques personnes qui parlaient, il y avait un prêtre de la Communauté de Sant’Egidio, qui sera créé cardinal le 5 octobre prochain… C’est là que cela a commencé… Et puis, avec l’aide de beaucoup, y compris de la Communauté de Sant’Egidio, ils sont parvenus à ce résultat. Nous ne devons pas faire du triomphalisme dans ce domaine. Le triomphe, c’est la paix. Nous n’avons pas le droit de faire du triomphalisme parce que la paix est encore fragile dans ton pays, comme elle est fragile dans le monde et il faut la traiter comme on traite ce qui vient de naître, comme les enfants, avec beaucoup, beaucoup de tendresse, avec beaucoup de délicatesse, avec beaucoup de pardon, avec beaucoup de patience, pour la faire grandir jusqu’à ce qu’elle devienne robuste. Mais c’est le triomphe du pays: la paix est la victoire du pays, nous devons reconnaître cela.
Et cela vaut pour tous les pays, pour tous les pays qui se détruisent avec la guerre. Les guerres détruisent, elles font tout perdre. Je m’étends un peu sur ce thème de la paix parce qu’il me tient à cœur. Quand il y a eu la célébration, il y a quelques mois, du débarquement en Normandie, oui, c’est vrai, il y avait des chefs de gouvernement qui faisaient mémoire de ce qui avait été le début de la fin d’une guerre cruelle, et aussi d’une dictature inhumaine et cruelle comme le nazisme et le fascisme… Mais 46 000 soldats sont restés sur cette plage ! Le coût de la guerre ! Je vous confesse que lorsque je suis allé à Redipuglia pour le centenaire de la Première Guerre mondiale, voir ce mémorial, j’ai pleuré. S’il vous plaît, plus jamais la guerre ! Quand je suis allé à Anzio célébrer la journée des défunts, c’est ce que je ressentais dans mon cœur… Mais nous devons travailler pour créer cette conscience que les guerres ne résolvent rien, au contraire, elles font gagner les personnes qui ne veulent pas le bien de l’humanité. Excusez-moi pour cet ajout, mais il faut que je le dise, devant un processus de paix pour lequel je prie et je ferai tout pour qu’il progresse et je vous souhaite qu’il grandisse en se fortifiant.
La question des jeunes. L’Afrique est un continent jeune, il a une jeune vie. Si nous comparons avec l’Europe, je répéterai ce que j’ai dit à Strasbourg : la mère Europe est presque devenue la « grand-mère Europe », elle a vieilli, nous vivons un hiver démographique très grave en Europe. J’ai lu – je ne sais plus dans quel pays, mais ce sont des statistiques officielles du gouvernement de ce pays – qu’en 2050, dans ce pays, il y aura plus de retraités que de personnes dans la vie active. C’est tragique. Quelle est l’origine de ce vieillissement de l’Europe ? Je pense – c’est une opinion personnelle – qu’à la racine, il y a le bien-être. S’attacher au bien-être : « Oui, mais nous allons bien, je ne fais pas d’enfants parce que je dois m’acheter une maison, faire du tourisme, ceci, cela… Je vais bien comme cela, un enfant c’est un risque, on ne sait jamais.. ». Bien-être et tranquillité, mais un bien-être qui te fait vieillir. L’Afrique, elle, est pleine de vie. En Afrique, j’ai trouvé un geste que j’avais vu aux Philippines et à Carthagène, en Colombie. Les gens qui tiennent leurs enfants à bout de bras, pour te faire voir leurs enfants : « C’est mon trésor, c’est ma victoire ». La fierté. C’est le trésor des pauvres, l’enfant. Mais c’est le trésor d’une patrie, d’un pays. Le même geste, je l’ai vue en Europe orientale, à Iasci, surtout cette grand-mère qui faisait voir son enfant : « C’est mon triomphe… ». Vous avez le défi d’éduquer ces jeunes et de faire des lois pour ces jeunes. En ce moment, l’éducation est prioritaire dans ton pays. Il est prioritaire de le faire grandir avec des lois sur l’éducation. Le premier ministre de l’Île Maurice m’en a parlé et il disait que le défi qu’il avait à l’esprit était de développer le système éducatif gratuit pour tous. La gratuité du système éducatif : c’est important, parce qu’il y a des centres d’éducation de haut niveau, mais ils sont payants. Des centres éducatifs, il y en a dans tous les pays, mais il faut les multiplier, pour que l’éducation parvienne à tous. Les lois sur l’éducation. Santé et éducation sont des éléments-clés en ce moment dans ces pays.
Le troisième point : la xénophobie. J’ai lu dans les journaux des choses sur ce problème de la xénophobie, mais ce n’est pas seulement le problème de l’Afrique. C’est un problème, une maladie humaine, comme la rougeole… C’est une maladie qui vient, entre dans un pays, dans un continent… Et nous mettons des murs ; et les murs laissent seuls ceux qui les construisent. Oui, ils laissent beaucoup de personnes au-dehors, mais ceux qui restent à l’intérieur des murs demeureront seuls et, à la fin de l’histoire, ils seront vaincus par des invasions puissantes. La xénophobie est une maladie, une maladie qui se donne des justifications : la pureté de la race, par exemple, pour mentionner une xénophobie du siècle dernier. Et les xénophobies surfent parfois sur les fameux populismes politiques. La semaine dernière, ou celle d’avant, j’ai dit que parfois, j’entends des discours qui ressemblent à ceux de Hitler en 1934. On voit qu’il y a un refrain en Europe… Mais vous aussi, en Afrique, vous avez un autre problème culturel que vous devez résoudre. Je me souviens que j’en ai parlé au Kenya : le tribalisme. Il faut ici un travail d’éducation, de rapprochement entre les différentes tribus pour faire une nation. Nous avons commémoré le 25e anniversaire de la tragédie du Ruanda récemment : c’est un effet du tribalisme. Je me souviens au Kenya, au stade, quand j’ai demandé à tout le monde de se lever en se donnant la main et de dire « non au tribalisme, non au tribalisme ! ». Nous devons dire non. Cela aussi, c’est une fermeture, et aussi une xénophobie, une xénophobie domestique, mais c’est quand même une xénophobie. Il faut combattre cela : que ce soit la xénophobie d’un pays à l’égard d’un autre, ou la xénophobie interne qui, dans le cas de certains lieux en Afrique, avec le tribalisme, nous conduisent à des tragédies comme celle du Ruanda, par exemple.
Traduction d’Hélène Ginabat
Avion Rome-Sofia, 5 mai 2019 © Vatican Media
Conférence de presse Antananarivo-Rome (1) : traiter la paix "avec beaucoup de tendresse"
« Comme on traite ce qui vient de naître »