La journaliste Valentina Alazraki, Rencontre sur la protection des mineurs, 23 février 2019 © Vatican Media

La journaliste Valentina Alazraki, Rencontre sur la protection des mineurs, 23 février 2019 © Vatican Media

Protection des mineurs : prenez l’initiative de la communication, lance la journaliste Valentina Alazraki aux évêques

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Trois conseils pratiques pour vivre la transparence (Texte intégral)

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« Prenez l’initiative » dans la communication, lance la journaliste mexicaine Valentina Alazraki aux présidents des Conférences épiscopales du monde réunis au Vatican sur le thème de la protection des mineurs, ce 23 février 2019. Elle encourage l’Eglise à être « la première à donner l’information » car le manque de transparence est « une nouvelle violence envers les victimes ».
Au fil d’une intervention musclée, au troisième jour de la rencontre, la journaliste a averti : « Plus vous couvrirez, plus vous ferez comme les autruches, que moins vous informerez les mass media et, donc, les fidèles et l’opinion publique, plus le scandale sera grand… Communiquer est un devoir fondamental, car, si vous ne le faites pas, vous devenez automatiquement complices de ceux qui commettent des abus. »
« L’Eglise n’a qu’une voie, a insisté Valentina Alazraki : celle de miser sur le fait de rendre compte et sur la transparence, qui vont de pair. » Et de préconiser : « Racontez les choses quand vous les savez. » Elle a formulé trois conseils pratiques pour vivre la transparence : mettre les victimes au premier plan ; se laisser conseiller ; professionnaliser la communication.
« Si vous êtes contre ceux qui commettent les abus ou qui les couvrent, alors nous sommes du même côté… Mais si vous ne vous décidez pas de manière radicale à être du côté des enfants, des mères, des familles, de la société civile, vous avez raison d’avoir peur de nous, car nous les journalistes, qui voulons le bien commun, serons vos pires ennemis », a mis en garde la journaliste, qui a conclu en souhaitant : « J’espère qu’après cette rencontre, vous rentrerez chez vous et que vous ne nous éviterez pas, mais que vous nous chercherez. Que vous pourrez revenir dans vos diocèses en pensant que c’est pas nous qui sommes les loups féroces, mais, au contraire, que nous pouvons unir nos forces contre les vrais loups. »
Intervention de Valentina Alazraki
Introduction
Je voudrais avant tout me présenter. Je suis correspondante à Rome et au Vatican de Televisa, la télévision mexicaine. J’ai suivi la fin du pontificat du Pape Saint Paul VI, les trente trois jours du pontificat de Jean-Paul Ier, tout le pontificat de Saint Jean-Paul II, du Pape Benoît XVI et à présent du Pape François. Avec ces trois derniers Papes, j’ai effectué 150 voyages.
J’ai été invitée à vous parler de la communication et, en particulier, de comment une communication transparente est indispensable pour combattre les abus sexuels sur les mineurs de la part d’hommes d’Eglise.
A première vue, il n’y a pas grand chose de commun entre vous, évêques et cardinaux, et moi, catholique laïque, sans responsabilité dans l’Eglise, et en plus journaliste. Nous partageons pourtant quelque chose de très fort: nous avons tous une mère, nous sommes ici parce qu’une femme nous a engendrés. Par rapport à vous, j’ai peut-être un privilège de plus: je suis avant tout une mère.
Je ne me sens donc pas seulement la représentante des journalistes, mais aussi des mères, des familles, de la société civile. Je désire partager avec vous mes expériences et mon vécu et – si vous me le permettez – ajouter certains conseils pratiques.
Mon point de départ, la maternité
J’aimerais précisément partir de la maternité pour développer le thème que vous m’avez confié, c’est-à-dire: comment l’Eglise devrait communiquer sur ce thème des abus.
Je doute que quelqu’un dans cette salle ne pense pas que l’Eglise est, avant tout, une mère. Beaucoup d’entre nous ici présents avons ou avons eu un frère ou une sœur. Nous nous rappelons que nos mères, bien que nous aimant tous de la même manière, se consacraient en particulier aux enfants les plus fragiles, les plus faibles, à ceux qui ne savaient peut-être pas avancer sur leurs propres jambes dans la vie et avaient besoin d’un peu de soutien.
Pour une mère, il n’y a pas d’enfants de première ou de deuxième classe: il y a des enfants plus forts et des enfants plus vulnérables.
Pour l’Eglise non plus, il n’y a pas d’enfants de première ou de deuxième classe. Ses enfants apparemment les plus importants, comme vous l’êtes, évêques et cardinaux (je n’ose pas nommer le Pape), ne le sont pas plus que tout autre petit garçon ou petite fille qui a vécu la tragédie d’être victime d’abus de la part d’un prêtre.
Quelle est la mission de l’Eglise? Prêcher l’Evangile, mais pour le faire elle a besoin d’une guide morale; la cohérence entre ce qu’elle prêche et ce qu’elle vit représente la base pour être une institution crédible, digne de confiance et de respect.
Face à des conduites criminelles comme les abus sur les mineurs, pensez-vous donc qu’une institution comme l’Eglise, pour être fidèle à elle-même, a une autre voie si ce n’est celle de dénoncer ce crime? Qu’elle a une autre voie, si ce n’est celle d’être du côté des victimes et non du bourreau? Qui est l’enfant le plus faible, le plus vulnérable? Le prêtre qui a commis un abus, l’évêque qui a commis un abus et l’a couvert, ou la victime?
Soyez certains que pour les journalistes, les mères, les familles et toute la société, les abus sur les mineurs sont l’un des principaux motifs d’angoisse. Nous sommes préoccupés par l’abus sur les mineurs, la destruction de leur vie, de celles de leurs proches. Nous considérons ces abus comme l’un des crimes les plus abominables.
Demandez-vous: êtes-vous les ennemis de ceux qui commettent les abus ou les couvrent autant que nous le sommes nous-mêmes?
Nous avons choisi de quel côté être. Vous, l’avez-vous vraiment fait, ou seulement en paroles?
Alliés ou ennemi
Si vous êtes contre ceux qui commettent les abus ou qui les couvrent, alors nous sommes du même côté. Nous pouvons être alliés, pas ennemis. Nous vous aiderons à trouver les brebis galeuses et à vaincre les résistances pour les éloigner de celles qui sont saines.
Mais si vous ne vous décidez pas de manière radicale à être du côté des enfants, des mères, des familles, de la société civile, vous avez raison d’avoir peur de nous, car nous les journalistes, qui voulons le bien commun, serons vos pires ennemis.
Je m’occupe du Vatican depuis presque 45 ans. Cinq pontificats différents, très importants pour la vie de l’Eglise et du monde, avec des lumières et des ombres. Au cours de ces quatre décennies, j’ai vraiment vu de tout.
Combien de fois ai-je dû entendre que le scandale des abus est «la faute de la presse, que c’est un complot de certains mass media pour discréditer l’Eglise, que derrière il y a des pouvoirs occultes, pour mettre fin à cette institution»!
Nous journalistes, nous savons qu’il y a des informateurs plus rigoureux que d’autres, et qu’il y a des mass media plus ou moins dépendants d’intérêts politiques, idéologiques ou économiques. Mais je crois qu’on ne peut culpabiliser en aucun cas les mass media pour avoir révélé des abus ou informé à leur propos.
Les abus contre les mineurs ne sont ni des médisances ni des bavardages, ce sont des crimes. Je me souviens des paroles du Pape Benoît XVI, au cours du vol pour Lisbonne, quand il nous a dit que la plus grande persécution contre l’Eglise ne vient pas d’ennemis extérieurs, mais naît du péché dans son sein.
Je voudrais que vous sortiez de cette salle avec la conviction que nous, journalistes, ne sommes ni ceux qui abusent ni ceux qui dissimulent. Notre mission est d’exercer et de défendre un droit, qui est le droit à une information basée sur la vérité pour obtenir la justice.
Nous, journalistes, nous savons que les abus ne sont pas circonscrits à l’Eglise catholique, mais vous devez comprendre qu’avec vous nous devons être plus rigoureux qu’avec les autres, en vertu de votre rôle moral. Voler, par exemple, est quelque chose de mal, mais si celui qui vole est un policier cela nous semble plus grave, parce que c’est le contraire de ce qu’il devrait faire, c’est-à-dire protéger la communauté contre les voleurs. Si des médecins ou des infirmières empoisonnent leurs patients au lieu de les soigner, le fait attire davantage notre attention, parce qu’il va contre leur éthique, leur code déontologique.
Le manque de communication, un autre abus
Comme journaliste, comme femme et mère, je voudrais vous dire que nous pensons qu’abuser d’un mineur est aussi ignoble que couvrir l’abus. Et vous savez mieux que moi que les abus ont été couverts de manière systématique, du bas vers le haut.
Je crois que vous devriez prendre conscience que plus vous couvrirez, plus vous ferez comme les autruches, que moins vous informerez les mass media et, donc, les fidèles et l’opinion publique, plus le scandale sera grand. Si quelqu’un a un cancer, il ne se soignera pas en le cachant à sa famille ou à ses amis, ce ne sera pas le silence qui le fera guérir, ce seront les soins les plus appropriés qui éviteront à la fin les métastases et qui conduiront à la guérison.
Communiquer est un devoir fondamental, car, si vous ne le faites pas, vous devenez automatiquement complices de ceux qui commettent des abus. En ne fournissant pas les informations qui pourraient éviter que ces personnes commettent d’autres abus, vous ne donnez pas aux enfants, aux jeunes, à leurs familles les instruments pour se défendre contre de nouveaux crimes.
Les fidèles ne pardonnent pas le manque de transparence, car c’est une nouvelle violence envers les victimes. Qui n’informe pas, encourage un climat de soupçon et de méfiance et provoque la colère et la haine envers l’institution.
Je l’ai vu de mes yeux au cours du voyage du Pape François au Chili en 2018. Il n’y avait pas d’indifférence: il y avait de l’indignation et de la colère pour la couverture systématique, pour le silence, pour la tromperie faite aux fidèles et la douleur des victimes qui pendant des décennies n’ont pas été écoutées, n’ont pas été crues.
Les victimes ont avant tout le droit de savoir ce qui s’est passé, ce que vous avez fait pour éloigner et punir ceux qui ont commis des abus. Même si le coupable peut être mort, la douleur de la victime ne disparaît pas. On ne peut pas punir le coupable, mais au moins on peut consoler la victime, qui a peut-être vécu de nombreuses années avec cette blessure cachée. En outre, d’autres victimes qui restent en silence oseront se manifester, et vous favoriserez leur guérison et leur consolation.
Prenez l’initiative
En espagnol, nous disons que celui qui frappe le premier frappe trois fois. Il ne s’agit évidemment pas de frapper, mais d’informer.
Je pense qu’il serait beaucoup plus sain, plus positif et plus utile si l’Eglise était la première à donner l’information, de manière proactive et non réactive, comme cela se produit normalement. Vous ne devriez pas attendre, pour répondre à des questions légitimes de la presse (c’est-à-dire des gens, de vos fidèles), qu’une enquête journalistique découvre le cas.
A l’époque où nous vivons, il est très difficile de cacher un secret. Avec le règne des réseaux sociaux, la facilité de mettre des photos en ligne, des audios et des vidéos, et les changements sociaux et culturels rapides, l’Eglise n’a qu’une voie: celle de miser sur le fait de rendre compte et sur la transparence, qui vont de pair.
Racontez les choses quand vous les savez. Assurément, cela ne sera pas agréable, mais c’est l’unique voie, si vous voulez que nous puissions vous croire quand vous dites que «dorénavant les dissimulations ne seront plus tolérés». La première à bénéficier de la transparence est l’institution, car elle se focalise sur le coupable.
Apprendre des erreurs du passé
Je suis Mexicaine et je ne peux pas ne pas mentionner le cas peut-être le plus terrible qui a eu lieu au sein de l’Eglise, celui de Marcial Maciel, le fondateur mexicain de la Légion du Christ. J’ai été témoin de ce triste cas, du début à la fin. Au-delà du jugement moral sur les crimes commis par cet homme, qui pour certains a été un esprit malade et pour d’autres un génie du mal, je vous assure qu’à la base de ce scandale, qui a fait tant de mal à des milliers de personnes, jusqu’à entacher la mémoire de qui à présent est saint, il y a eu une communication malade.
Il ne faut pas oublier que dans la Légion, il y avait un quatrième vœux, selon lequel un légionnaire qui voyait quelque chose dont il n’était pas convaincu chez un supérieur, ne pouvait ni le critiquer, ni encore moins le commenter. Sans cette censure, sans cette dissimulation totale, s’il y avait eu la transparence, Marciel Maciel n’aurait pas pu abuser pendant des décennies de séminaristes et avoir trois ou quatre vies, des femmes et des enfants, qui sont arrivés à l’accuser d’avoir abusé de sa propre progéniture.
C’est pour moi le cas le plus emblématique d’une communication malade, corrompue, dont on peut et l’on doit tirer plusieurs leçons.
Le Pape François a dit à la Curie que, à d’autres époques, en traitant ces thèmes, il y a eu de l’ignorance, un manque de préparation et de l’incrédulité. J’ose
dire qu’il y a également eu de la corruption. Derrière le silence, le manque d’une communication saine, transparente, très souvent il n’y a pas seulement la peur du scandale, la préoccupation pour le bon renom de l’institut, mais également de l’argent, des chèques, des dons, des permis pour construire des écoles et des universités dans des lieux où l’on ne pouvait peut-être pas construire. Je parle de ce que j’ai vu et sur quoi j’ai enquêté à fond.
Le Pape François nous rappelle toujours que le diable entre par les poches et il a pleinement raison. La transparence vous aidera à lutter contre la corruption économique.
Dans le processus d’information interne, du bas vers le haut, nous avons su également par divers nonces, et je peux en témoigner, qu’il y a eu des cas de dissimulation, des obstacles pour accéder au Pape de l’époque, une sous-évaluation de la gravité des informations ou leur discrédit, comme si elles étaient le fruit d’obsessions ou de l’imagination.
La transparence vous aidera également à lutter contre la corruption au sein du gouvernement.
C’est grâce à certaines victimes courageuses, à certains journalistes courageux et, je pense devoir le dire, à un Pape courageux comme Benoît XVI, que ce scandale a été rendu public et la tumeur extirpée.
Il est très important d’apprendre la leçon et de ne pas commettre à nouveau la même erreur. La transparence vous aidera à être cohérents avec le message de l’Evangile et à mettre en pratique le principe selon lequel, dans l’Eglise, il ne devrait pas y avoir de personnes intouchables: nous sommes tous responsables
devant Dieu et devant les autres.
Evitez le secret, embrassez la transparence
Le secret, entendu comme tendance excessive à la confidentialité, est étroitement lié à l’abus de pouvoir: il est comme un réseau de sécurité de celui qui abuse du pouvoir. Aujourd’hui, nos sociétés ont adopté la transparence comme règle générale, et le public considère que le seul motif pour ne pas être transparents est le désir de cacher quelque chose de négatif ou de corrompu.
Ma sensation est qu’au sein de l’Eglise il y a encore beaucoup de résistance à reconnaître que le problème des abus existe et qu’il faut l’affronter avec tous les instruments possibles. D’aucuns croient que cela n’arrive que dans certains pays, je crois pour ma part que nous pourrions parler d’une situation généralisée, dans certains lieux davantage que dans d’autres, qu’il faut de toute façons affronter et résoudre.
Celui qui cache quelque chose n’est pas nécessairement corrompu, mais tous les corrompus cachent quelque chose. Tous ceux qui gardent un secret n’accomplissent pas un abus de pouvoir, mais tous les abus de pouvoir sont généralement dissimulés.
Certes, la transparence a ses limites. C’est pourquoi nous ne prétendons pas être informés de chaque accusation faite à un prêtre. Nous comprenons qu’il peut et qu’il doit y avoir une enquête préalable, mais faites-la rapidement, suivez les lois du pays dans lequel vous vivez et, si cela est prévu, présentez le cas à la justice civile. Si l’accusation se révèle crédible, vous devez informer sur les procès en cours, sur ce que vous faites, vous devez dire que vous avez éloigné le coupable de sa paroisse ou de là où il exerçait, c’est vous qui devez le dire, que ce soit dans les diocèses ou au Vatican. Parfois, le bulletin de la salle de presse du Saint-Siège informe sur une renonciation sans en expliquer les raisons. Il y a des prêtres qui ont été immédiatement informer les fidèles qu’ils étaient malades et qu’ils ne partaient pas parce qu’ils avaient commis des abus. Je crois que la nouvelle de la renonciation d’un prêtre qui a commis des abus devrait être donnée avec clarté, de manière explicite.
Dans Camera Caritatis, le silence sur les thèmes traités n’est admis que s’il ne porte préjudice à personne, mais jamais quand il peut faire du mal.
Trois conseils pratiques pour vivre la transparence
Je vous ai déjà dit que je pense que la communication est indispensable pour résoudre ce problème. Permettez-moi à présent de vous suggérer trois manières de mettre en pratique la transparence au moment de communiquer à propos d’abus sexuels sur des mineurs.
1) Mettez les victimes au premier plan
Si l’Eglise veut apprendre à communiquer sur les abus, son premier point de référence doit être la victime.
Le Pape François a demandé aux participants à cette réunion de rencontrer les victimes, de les écouter et de se mettre à leur disposition, avant de venir à Rome. Je ne vous demanderai pas de lever la main pour voir qui l’a fait, mais répondez en silence.
Les victimes ne sont pas des numéros, elles ne sont pas des données de statistiques, ce sont des personnes auxquelles on a gâché la vie, la sexualité, l’affectivité, la confiance dans les autres êtres humains, peut-être même en Dieu, ainsi que la capacité d’aimer.
Et pourquoi cela est-il important? Parce qu’il est difficile d’informer et de communiquer quelque chose dont on n’a pas une connaissance directe. Dans le cas des abus cela est encore plus évident. On ne peut pas parler de ce thème si on n’a pas écouté les victimes, si on n’a pas partagé leur douleur, si on n’a pas touché du doigt les blessures que les abus ont provoqué non seulement dans leur corps, mais également dans leur esprit, dans leur cœur, dans leur foi. Si vous connaissez ces personnes, elles auront un nom, elles auront un visage, et l’expérience vécue avec elles se reflétera non seulement dans la manière dont vous affronterez le problème, mais également dans la manière dont vous le communiquerez et chercherez à le résoudre.
Le Pape nous a dit qu’il les rencontre régulièrement, à Sainte-Marthe, qu’il les considère comme l’une de ses priorités; faites-le vous aussi, je ne crois pas que
vous ayez moins de temps que le Pape. Rappelez-vous que la transparence signifie montrer ce que vous faites. Ce n’est que si vous mettez les victimes à la première place que vous serez crédible quand vous direz que vous êtes décidés à déraciner le fléau des abus.
2) Laissez-vous conseiller
Le deuxième est de vous laisser conseiller. Avant de prendre des décisions, demandez conseil à des personnes ayant du jugement qui peuvent vous aider. Parmi ces conseillers, il devrait toujours y avoir des communicateurs. Je crois que l’Eglise devrait avoir, à tous les niveaux, des experts en communication, et les écouter quand ils lui disent qu’il convient toujours davantage d’informer que de se taire ou voire même de mentir. C’est une illusion de penser qu’aujourd’hui on peut cacher un scandale. C’est comme couvrir le ciel avec un doigt. On ne peut pas, ce n’est plus acceptable ni admissible. C’est pourquoi vous devez tous comprendre que le silence coûte beaucoup plus cher qu’affronter la réalité et la rendre publique.
Je crois qu’il est indispensable que vous investissiez dans la communication dans toutes vos structures ecclésiastiques, avec des personnes hautement qualifiées et préparées à faire face aux exigences de transparence du monde actuel. La figure du porte-parole est fondamentale. Ce ne doit pas seulement être une personne très préparée, mais elle doit également pouvoir compter sur la pleine confiance de l’évêque et pouvoir le contacter directement 24 heures sur 24 heures. Ce n’est pas un travail de 9h du matin jusqu’à 5h de l’après-midi. Tout peut arriver à n’importe quel moment et à n’importe quel moment on peut avoir besoin de réagir, même si, je le répète, il vaudrait mieux que vous soyez les premiers à donner la nouvelle. Nous, journalistes, préférons parler directement avec le chef. Mais nous acceptons de parler avec un porte-parole, si nous savons qu’il a accès au chef et transmet ce qu’il pense en connaissance de cause.
3) Professionnalisez la communication
En troisième lieu, vous devez mieux communiquer.
Quel type de transparence attendent les journalistes, les mères, les familles, les fidèles, l’opinion publique, d’une institution comme l’Eglise? Je crois qu’il est fondamental que, à tous les niveaux, de la paroisse jusqu’ici, au Vatican, il y ait des structures peut-être standardisées, mais très souples et flexibles, qui offrent avec rapidité, des informations précises. Elles peuvent être incomplètes par manque d’une enquête plus approfondie, mais la réponse ne peut pas être le silence ou le no comment, car nous chercherons alors les réponses en demandant à d’autres, et ce seront donc des tiers qui informeront les gens de la manière dont ils voudront le faire.
Si vous ne disposez pas de toute l’information nécessaire, s’il y a des doutes, s’il y a déjà une enquête, il vaut mieux l’expliquer de la meilleure façon possible, afin qu’on n’ait pas la sensation que vous ne voulez pas répondre parce que vous cachez quelque chose. Il faut donner suite à l’information à chaque moment et il faut surtout réagir avec rapidité.
Si l’on n’informe pas au moment opportun, la réponse n’intéressera plus, il sera trop tard et d’autres le feront, peut-être d’une manière incorrecte.
Le risque est élevé et le prix de ce type de conduite est encore plus élevé. Le silence donne la sensation que les accusations, – qu’elles soient vraies ou fausses, vraies en partie et fausses en partie –, sont entièrement vraies et que l’on craint de donner une réponse qui puisse être immédiatement démentie.
J’ai vu de mes yeux comment la mauvaise information, ou l’information partielle, a causé des dommages immenses, a fait du mal aux victimes et à leurs familles, n’a pas permis que l’on rende justice, a fait vaciller la foi de beaucoup de personnes.
Je vous assure qu’investir dans la communication est une affaire très rentable, et ce n’est pas un investissement à court terme, c’est un investissement à long terme.
Conclusion
Je voudrais conclure cette intervention en mentionnant un thème différent de celui des abus sur les mineurs, mais important pour une femme journaliste comme moi. Nous sommes au seuil d’un autre scandale, celui des sœurs et des religieuses victimes d’abus sexuels de la part de prêtres et d’évêques. C’est ce qu’a dénoncé la revue féminine de «L’Osservatore Romano», et le Pape François, au cours du vol de retour d’Abou Dabi, a reconnu que l’on travaille depuis un moment sur le thème, qu’il est vrai qu’il faut faire plus et qu’il existe la volonté de faire plus.
Je voudrais qu’en cette occasion l’Eglise joue en attaquant et non en défense, comme cela a eu lieu dans le cas des abus sur des mineurs. Cela pourrait être une grande opportunité pour que l’Eglise prenne l’initiative et soit en première ligne dans la dénonciation de ces abus, qui ne sont pas seulement sexuels mais aussi de pouvoir.
Je prends congé en remerciant le Pape François pour avoir rendu grâce, devant la Curie, au mois de décembre dernier, pour le travail des journalistes, qui ont été honnêtes et objectifs en découvrant des prêtres prédateurs et qui ont fait entendre les voix des victimes.
J’espère qu’après cette rencontre, vous rentrerez chez vous et que vous ne nous éviterez pas, mais que vous nous chercherez. Que vous pourrez revenir dans vos diocèses en pensant que c’est pas nous qui sommes les loups féroces, mais, au contraire, que nous pouvons unir nos forces contre les vrais loups. Merci.
© Traduction du Vatican

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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