Le pape François rappelle que « l’important est de ne pas se laisser submerger par une idéologie », citant les exemples du p. Rutilio Grande, le jésuite salvadorien assassiné en 1977, et de Mgr Oscar Romero, archevêque de San Salvador, dont les noms étaient longtemps liés aux luttes sociales menées par les marxistes.
C’est en réaffirmant leur martyre que le pape François a commencé sa conversation avec une trentaine de jésuites originaires de toute l’Amérique centrale, dont 18 novices, le 26 janvier 2019, dans une salle de la nonciature apostolique du Panama, indique Vatican News en italien de ce 14 février. Dans son dernier numéro, la revue jésuite Civiltà Cattolica présente le texte intégral de la conversation qui a eu lieu à l’occasion des JMJ de Panama et qui comporte une douzaine de questions et de réponses.
Mgr Romero et le p. Rutilio Grande, a expliqué le pape, sont deux hommes qui ont vécu avec « la dimension de la prophétie », du « témoignage ». « J’aime beaucoup Rutilio », a confié le pape en ajoutant qu’il avait dans sa chambre un cadre avec « un morceau de toile ensanglantée de Romero et les notes d’une catéchèse de Rutilio ».
« Aujourd’hui, a plaisanté le pape, nous, les vieillards, on rigole autant qu’on s’inquiétait à l’égard de la théologie de la libération », mais il s’agissait d’une période de confusion, où l’idée dominante « était que canoniser Mgr Romero était impossible parce que l’homme n’était même pas chrétien, il était marxiste ! »
Servir : « le charisme le plus pur de la Compagnie »
Une grande partie de la conversation du pape avec ses confrères a touché à des aspects de la vie de la Compagnie. En s’adressant aux futurs jésuites, le pape a encouragé à développer « la clarté de la conscience », car « les sournois n’ont pas de place » parmi les fils de Saint-Ignace. Et cela est particulièrement vrai pour les formateurs, des hommes qui doivent savoir « discerner » et « ne pas avoir peur ». Sinon, a affirmé le pape, « le lien de fraternité est brisé ».
Le pape François a consacré des paroles intenses à la vocation des « frères », c’est-à-dire des non-prêtres de la Compagnie de Jésus, dont beaucoup, a-t-il dit, ont été des « chênes », prêts à servir, mais aussi à conseiller les supérieurs avec lucidité et sincérité. « Le frère, a affirmé le pape, est celui qui a le charisme le plus pur de la Compagnie : servir. Servir. Servir.»
Et aux prêtres jésuites, le pape a recommandé de « mettre sa vie en jeu », d’ « être disponible à tout ce que » Dieu veut. Bien que cela ne change pas l’attitude à maintenir vis-à-vis de la politique, a précisé le pape : « Placez-vous au-dessus des partis. Mais pas comme celui qui s’en lave les mains, plutôt comme quelqu’un qui accompagne les partis » à la lumière de la doctrine sociale de l’Église.
En répondant à une question sur le rapport entre inculturation et identité, le pape a raconté une anecdote sur un jeune diplômé rentré après des années d’étude dans la réalité de son foyer, chez ses parents paysans. Un jeune homme confus, obligé de demander à son père le nom des outils agricoles et frappé au visage avec un râteau maladroitement manipulé. Le pape a rappelé qu’il faut inculturer sans jamais devenir « snob ». Cela concerne surtout les religieux quand ils pensent que la consécration les a fait passer à une catégorie « plus cultivée ». Par conséquent, a dit le pape en plaisantant, « ceux qui oublient leur culture ont vraiment besoin d’un râteau dans le visage ».
Retrouver ses racines
Un jésuite a demandé au pape de réfléchir à la « culture de la rencontre », un des points culminants du message adressé aux jeunes de la JMJ. Le pape a cité le dernier livre du philosophe polonais Zygmunt Bauman (1925-2017), qui, dans la version italienne, porte le titre « Nati liquidi », un regard sur les générations post-quatre-vingts.
Le pape préfère d’ailleurs le titre allemand « Sans racines » (Die Entwurzelten), car, a-t-il affirmé, « la crise actuelle de la rencontre » est une « crise de racines », c’est-à-dire de jeunes plongés dans une culture « gazeuse », « sans tronc », qui n’ont aucune aide, même de la part de leurs parents « parce qu’il s’agit de personnes déchirées, souvent en concurrence avec leurs enfants ».
La génération liquide, a dit le pape, sont les enfants du « monde virtuel qui aide à créer des contacts, mais pas des ‘rencontres’ », qui crée une satisfaction « artificielle » détachée de la « dimension concrète».
Pour le pape, « ce sont les grands-parents qui donnent les racines » aux jeunes, un concept répété à maintes reprises. Ce n’est pas une « idée romantique », a-t-il assuré, son efficacité a été testée dans de nombreuses circonstances, lorsque les jeunes en contact avec des personnes âgées au bout d’un moment ont été capturés par leurs histoires, par « les rêves des vieillards qui se réveillent en eux ».
Jésuites d'Amérique centrale © laciviltacattolica.it / Francesco Sforza
"Non à l'idéologie": rencontre avec les jésuites d'Amérique centrale
Dans la « Civiltà Cattolica »