Rencontre avec jeunes et personnes âgées, 23 oct. 2018 © Vatican Media

Rencontre avec jeunes et personnes âgées, 23 oct. 2018 © Vatican Media

Le pape raconte l'expérience de Jorge Mario Bergoglio

Le pape en dialogue avec des jeunes et des personnes âgées (5/6)

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Jennifer Tatiana Valencia Morales, Colombie, 20 ans. Travaille pour « Unbound » et voyage en moto dans les villages de la montagne de Colombie pour aider les personnes âgées et les jeunes. Elle a posé au pape François une question sur les « histoires de vie » comme celles recueillies, dans le livre « La Sagesse du Temps », où 250 seniors du monde entier livrent leurs parcours de vie. L’évènement a eu lieu à l’Institut Augustinianum de Rome, mardi 23 octobre 2018.

AB
Question de Jennifer Tatiana Valencia Morales

Pape François, en recueillant les histoires de ce livre, j’ai été profondément touchée par la vie des personnes âgées. Vous aurez déjà écouté beaucoup d’histoires dans votre vie. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce projet et à écouter les histoires de vie des personnes âgées présentes dans ce livre ? Dans ce livre, beaucoup d’histoires parlent de personnes âgées qui vivent dans des situations de grandes pauvretés, des gens sans importance aux yeux du monde, de la société. Personne n’irait les écouter. Après avoir écouter des histoires de vie, sentez-vous que vous êtes touché, changé ? Aimez-vous écouter les histoires de vie ? Cela vous aide-t-il dans votre métier de pape ?

Réponse du Pape François

La dernière question : « Aimez-vous écouter les histoires de vie, cela vous aide-t-il dans votre métier de pape ? » Oui, et cela me plaît aussi. J’aime cela. Pendant les audiences, le mercredi, je commence à saluer les gens, je m’arrête là où il y a des enfants et des personnes âgées. Et j’ai tant d’expériences, tant d’expériences en écoutant les personnes âgées. Je vais vous en raconter une seule, qui concerne la famille.

Une fois, il y avait un couple qui fêtait ses soixante ans de mariage, mais ils étaient jeunes, parce qu’à cette époque on se mariait jeune. Aujourd’hui, pour que son fils se marie, la maman doit arrêter de lui repasser ses chemises, sinon il ne part pas de la maison ! Mais à cette époque, on se mariait jeune. Je leur ai posé cette question : « Cela valait-il la peine de faire ce chemin ? » et eux, qui me regardaient, se sont regardés et puis ils ont recommencé à me regarder et ils avaient les larmes aux yeux et ils m’ont répondu : « Nous sommes amoureux ! » Jamais, jamais je n’aurais imaginé une réponse aussi « moderne » de la part d’un couple qui fêtait ses soixante ans de mariage. Tu rencontres toujours des choses nouvelles, des choses nouvelles qui t’aident à aller de l’avant.

Et puis, autre chose : j’ai eu une expérience de dialogue avec les personnes âgées, par hasard, quand j’étais enfant. J’aimais les écouter. Une de nos voisines aimait l’opéra et moi, j’étais adolescent, 16-17 ans, je l’accompagnais à l’opéra, oui, dans le « poulailler » où c’était moins cher… Et puis, mes deux grands-mères, je parlais beaucoup avec elles : j’étais curieux de leur vie, elles me touchaient. Une chose dont je me souviens bien des personnes âgées, c’est une femme qui venait à la maison aider maman à travailler : c’était une Sicilienne, immigrée, qui avait deux enfants : elle avait connu la guerre, la seconde guerre et elle était partie avec ses enfants : et elle racontait des histoires de guerre et j’ai beaucoup appris de la souffrance de ces gens, ce que signifie quitter son pays, au point que cette femme, je l’ai accompagnée jusqu’à sa mort, à 90 ans. Et une fois où il y a eu un moment de détachement, à cause d’un acte d’égoïsme de ma part, je l’avais perdue de vue, j’ai beaucoup souffert de ne pas la retrouver.

Cela a été une belle expérience, avec les personnes âgées, je n’en avais pas peur. J’étais toujours avec les jeunes mais… Et avec ces expériences, j’ai compris la capacité de rêver qu’on les personnes âgées, parce qu’il  a toujours un conseil : « Avance comme cela, fais cela…je te raconte cela, n’oublie pas ceci… ». Un conseil qui n’est pas impératif, mais ouvert, et avec tendresse. Et ces conseils me donnaient un peu le sens de l’histoire et de l’appartenance. Notre identité n’est pas la carte d’identité que nous avons : notre identité a des racines et, en écoutant les personnes âgées, nous trouvons nos racines, comme l’arbre, qui a ses racines pour grandir, fleurir, porter du fruit. Si tu coupes les racines de l’arbre, il ne grandira pas, il ne donnera pas de fruits, il mourra peut-être. Il y a une poésie – je l’ai dit très souvent – une poésie argentine de l’un de nos grands poètes, Bernardez, qui dit : « Ce qui est en fleurs dans l’arbre, vient de ce qu’il a sous la terre ». Mais ne pas aller aux racines pour s’y enfermer, comme un conservateur fermé, non. C’est faire – et cela, je l’ai entendu dans la Salle du Synode, un de ces sages évêques l’a dit – c’est faire comme la truffe – c’est cher la truffe! – : il naît près de la racine, il assimile tout et ensuite, regarde quel bijou, la truffe ! Et le mal que cela fait aux poches, pour en avoir une !

Prendre la sève des racines, les histoires, et cela te donne d’appartenir à un peuple. Et ensuite, cette appartenance est ce qui te donne ton identité. Si tu me dis : pourquoi y a-t-il aujourd’hui tant de jeunes « liquides » ? Dans cette liquidité culturelle qui est à la mode, dont tu ne sais pas s’ils sont « liquides » ou « gazeux »… Ce n’est pas de leur faute ! C’est la faute de ce détachement des racines de l’histoire. Mais il ne s’agit pas d’être comme eux [les personnes âgées], mais de prendre le suc, comme la truffe, et de grandir en avançant avec l’histoire. Identité, appartenance à un peuple.

Et une autre expérience que j’ai eue, déjà comme prêtre et comme évêque, c’est ce que font les jeunes quand ils vont rendre une visite dtrans une maison de retraite. À Buenos Aires, une petite expérience : [les jeunes disaient] : « On va là-bas ? Mais c’est ennuyeux avec les vieux ! ». C’était la première réaction. Et puis ils y vont, avec leur guitare, et ils commencent… et les personnes âgées commencent à se réveiller et à la fin ce sont les jeunes qui ne veulent plus partir ! Ils continuent de jouer et de jouer parce que le lien se crée.

Et enfin, la figure biblique : quand Marie et Joseph portent l’Enfant au temple, ce sont deux personnes âgées qui les reçoivent. Cet homme sage [Siméon], qui a rêvé toute sa vie de rencontrer, de voir le Libérateur, le Sauveur. Et il chante cette liturgie, il invente une liturgie de louange à Dieu. Et cette femme âgée [Annee], qui était dans le temple, avec la même espérance, et qui fait la pipelette en allant partout dire : « C’est cela, c’est cela… », elle sait transmettre ce qu’elle a découvert dans sa rencontre avec Jésus. Cette image des deux vieux. La Bible répète qu’ils sont poussés par l’Esprit. Et elle dit que les jeunes, Marie et Joseph, avec Jésus, veulent observer la Loi du Seigneur. C’est une très belle image du dialogue et de la richesse, qui est une richesse d’appartenance et d’identité. Je ne sais pas si je t’ai répondu…

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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