Présentation des "Escritos" du p. Fiorito, le p. Spadaro et le pape François © Vatican Media

Présentation des "Escritos" du p. Fiorito © Vatican Media

L’hommage du pape à son Maître jésuite, le p. Fiorito (traduction, 3)

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Un « maître du dialogue, d’abord par son écoute »

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« Fiorito était maître du dialogue, en premier lieu par son écoute » : c’est ainsi que le pape François révèle ce qui l’a marqué chez son ancien Maître, le p. Fiorito, permettant sans doute de comprendre sa propre conception du dialogue.  Et il ajoute : « Il écoutait en mettant son coeur à disposition, afin que l’autre puisse sentir, dans la paix qu’avait le Maître, ce qui inquiétait son propre coeur ». Une paix active, explique-t-il plus loin, qui consiste à repousser « les tentations contre la paix pour aider l’autre à pacifier ses propres tentations ».

Le pape François a tenu à présenter les 5 volumes des « Écrits » (Escritos) du p. Miguel Ángel Fiorito s.j. (1916-2005), dans la Salle de la Congrégation générale de la compagnie de Jésus, vendredi 13 décembre 2019, à l’occasion du 50e anniversaire de son ordination sacerdotale.

Les textes sont publiés, pour cet anniversaire, en 5 volumes par la « Civiltà Cattolica » sous la direction du p. José Luis Narvaja, jésuite, ancien étudiant du p. Fiorito, et neveu du pape François.

Le pape donne également une autre clé de lecture de son pontificat en disant de celui dont il est le disciple : « Il a « désidéologisé » en réveillant la passion de bien dialoguer avec soi-même, avec les autres et avec le Seigneur. Et de “ne pas dialoguer” avec la tentation, ne pas dialoguer avec l’esprit mauvais, avec le Malin. Cela est resté profondément imprimé en moi : avec le diable, on ne dialogue pas. Jésus n’a jamais dialogué avec le diable. Il lui a répondu avec trois versets de la Bible et ensuite il l’a chassé. Jamais. Avec le diable, on ne dialogue pas ».

La première partie du discours se trouve ici et la seconde ici.

Voici notre traduction de la présentation du pape François (IIIe partie).

HG

« Miguel Ángel Fiorito, maître du dialogue », par le pape François.

Maître du dialogue

Je commente librement certaines choses que me suggère le titre de « Maître du dialogue ». Dans la Compagnie, le nom de « maître » est particulier, nous le réservons au Maître des novices et à l’Instructeur de troisième probation. Le Père général l’avait nommé justement Instructeur de troisième probation, tâche qu’il a assumée pendant de nombreuses années. Il n’a jamais été Maître des novices mais lorsque j’étais Provincial, je l’ai envoyé vivre au noviciat ; c’était un bon conseiller pour le Maître et une référence pour les novices.

Être maître, exercer le munus docendi, ne consiste pas seulement à transmettre le contenu des enseignements du Seigneur, dans leur pureté et leur intégrité, mais à faire en sorte que ces enseignements, inculqués dans l’Esprit même avec lequel on les reçoit, « fassent des disciples », c’est-à-dire transforment ceux qui les écoutent en adeptes, en disciples missionnaires, libres, non pas en prosélytes, passionnés de recevoir, pratiquer et sortir pour annoncer les enseignements de l’unique Maître comme il nous l’a ordonné : aux hommes et aux femmes de tous les peuples.

Le véritable maître, au sens évangélique, est toujours un disciple, il n’a jamais fini de l’être. Dans Luc, à propos des aveugles qui veulent guider d’autres aveugles, donnant ainsi une image de l’ « anti-maître », le Seigneur dit : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. » (Lc 6,40).

J’aime lire ainsi ce passage : ne pas se mettre au-dessus du maître ne signifie pas seulement ne pas se mettre au-dessus de Jésus – notre unique Maître – mais ne pas non plus se mettre au-dessus de nos maîtres humains. Le bon disciple honore son maître, même quand il nous arrive, en tant que disciples, de le surpasser dans quelque enseignement, ou plutôt précisément en cela : le progrès dans la connaissance est en effet possible parce que le bon maître a semé la semence, avec son style personnel, comptant justement sur le fait que cette semence vivra, grandira et le dépassera. Et quand nous discernons bien ce que dit l’Esprit en appliquant l’Évangile au moment opportun et de la manière opportune pour le salut de quelqu’un, nous sommes « comme le maître ». Le Seigneur rapproche cette affirmation de ce type d’enseignement qui n’est pas seulement fait de paroles, mais d’oeuvres de miséricorde. C’est au moment du lavement des pieds que le Maître l’a dit : si, sachant ces choses, nous agissons comme lui, nous serons comme lui (cf. Jn 13,14-15).

À propos de la miséricorde, les Écrits de Fiorito distillent la miséricorde spirituelle : des enseignements pour ceux qui ne savent pas, de bons conseils pour ceux qui en ont besoin, une correction pour ceux qui se trompent, la consolation pour ceux qui sont tristes et une aide pour conserver la patience dans la désolation « sans jamais faire de changements », comme le dit saint Ignace. Toutes ces grâces se superposent et se synthétisent dans la grande oeuvre de miséricorde spirituelle qu’est le discernement. Il nous guérit de la maladie la plus triste et digne de compassion : la cécité spirituelle, qui nous empêche de reconnaître le temps de Dieu, le temps de sa visite.

Quelques caractéristiques particulières du Maître Fiorito

Je décrirais une caractéristique très évidente de Fiorito par cette expression : dans l’accompagnement spirituel, quand tu lui racontais tes affaires, il « se tenait en dehors ». Il te reflétait ce qui t’arrivait et puis il te donnait la liberté, sans exhorter ni donner de jugements. Il te respectait. Il croyait dans la liberté.

Quand je dis qu’ « il se tenait en dehors », je ne veux pas dire qu’il ne s’intéressait pas ou qu’il ne se laissait pas émouvoir par tes histoires, mais qu’il restait en dehors, en premier lieu, pour réussir à bien écouter. Fiorito était un maître en dialogue, en premier lieu par son écoute. Se tenir à l’extérieur du problème était sa façon de faire de la place à l’écoute, afin que l’on puisse dire tout ce que l’on avait en soi, sans interruptions, sans questions… Il te laissait parler. Et il ne regardait pas sa montre.

Il écoutait en mettant son coeur à disposition, afin que l’autre puisse sentir, dans la paix qu’avait le Maître, ce qui inquiétait son propre coeur. Et ainsi, tu avais envie d’ « aller parler avec Fiorito », comme nous disions, d’ « aller lui raconter » chaque fois que tu sentais le combat spirituel en toi, des mouvements opposés des esprits à propos d’une décision que tu devais affronter. Nous savions qu’il se passionnait pour écouter ces choses comme se passionnent, ou même plus, les personnes normales à écouter les dernières nouvelles. Au Colegio Maximo, aller parler avec Fiorito était une phrase récurrente. Nous la disions à nos supérieurs, nous nous la disions entre nous et nous le recommandions à ceux qui étaient en formation.

Sa manière de « se tenir en dehors » n’était pas seulement une question d’écoute, mais aussi une attitude de maîtrise de soi par rapport aux conflits, une façon de prendre ses distances pour ne pas s’y laisser impliquer, comme cela se produit souvent, avec pour résultat que celui qui devrait écouter et aider devient au contraire partie prenante du problème, prenant position ou mélangeant ses propres sentiments et perdant toute objectivité.

En ce sens, sans prétentions théoriques, mais de manière pratique, Fiorito a été le grand « désidéologisateur » de la Province à une époque très « idéologisée ».

Il a « désidéologisé » en réveillant la passion de bien dialoguer avec soi-même, avec les autres et avec le Seigneur. Et de « ne pas dialoguer » avec la tentation, ne pas dialoguer avec l’esprit mauvais, avec le Malin. Cela est resté profondément imprimé en moi : avec le diable, on ne dialogue pas. Jésus n’a jamais dialogué avec le diable. Il lui a répondu par trois versets de la Bible et ensuite il l’a chassé. Jamais. Avec le diable, on ne dialogue pas.

L’idéologie est toujours un monologue avec une seule idée et Fiorito aidait son interlocuteur à distinguer au fond de lui les voix du bien et du mal de sa propre voix, et cela ouvrait l’esprit parce que cela ouvrait le coeur à Dieu et aux autres.

Dans le dialogue avec les autres, il avait entre autre l’habilité de « pêcher » et de faire voir à l’autre la tentation de l’esprit mauvais dans un mot ou dans un geste, de ceux qui se faufilent au milieu d’un discours très raisonnable et en apparence bien-intentionné. Fiorito t’interrogeait sur « cette expression que tu as employée » (qui dénotait en général du mépris pour les autres) et il te disait : « Tu es tenté ! » et, montrant l’évidence, il riait franchement et sans se scandaliser. Il exhibait devant toi l’objectivité de l’expression que tu avais toi-même employée, sans te juger.

On peut dire que le Maître cultivait le dialogue communautaire dans sa conversation personnelle avec chacun. Il n’était pas très enclin à intervenir en public. Dans les réunions communautaires auxquelles il participait, il se consacrait à prendre des notes, écoutant en silence. Et puis « il répondait » – et nous étions tous dans l’expectative – avec le thème du nouveau Boletín de espiritualidad ou sur un feuillet d’ « Étude, prière et action ». D’une certaine manière, cela se savait et se transmettait, et on allait lire dans le Boletín « ce qu’en pensait le Maître » sur les thèmes qui nous préoccupaient ou qui étaient en vogue, en lisant « entre les lignes ».

Par ailleurs, le Boletín n’était pas nécessairement lié aux circonstances. Il y a des écrits, comme l’article de Fiorito sur l’Académie de Platon, dont Narvaja s’est inspiré pour son analyse, qui sont aujourd’hui actuels et permettent de « lire » toute notre époque du point de vue de la relation entre le maître et les disciples selon l’esprit de l’École.

Fiorito se préoccupait qu’il y ait un bon esprit dans la Province et dans la communauté. S’il y avait un bon esprit, alors non seulement « il laissait aller » mais il écrivait quelque chose qui « invitait à aller au-delà ». Il ouvrait des horizons.

En outre, cette façon de « se tenir en dehors » peut se décrire aussi en montrant comment on y parvient : « en gardant la paix » afin que ce soit le Seigneur lui-même qui « fasse bouger » l’autre, qui le fasse bouger dans le bon sens, et aussi le pacifie en agissant bien.

Il s’agit de garder la paix activement, en repoussant les tentations contre la paix pour aider l’autre à pacifier ses propres tentations : celle liée à sa faute et à son remords au sujet du passé, celle de son angoisse vis-à-vis de l’avenir (ce qui pourrait arriver) et celles liées à l’inquiétude et aux distractions du présent. Fiorito te pacifiait sans se soucier des circonstances immédiates. D’abord, il te pacifiait par son silence, parce que rien ne l’effrayait, par son écoute ample, jusqu’à ce que tu aies dit ce que tu avais au fond de l’âme et il décidait ce que lui inspirait le bon esprit. Alors le Maître te confirmait, parfois avec un simple: « C’est bien ». Il te laissait libre.

À celui qui donne les Exercices et qui doit en guider un autre, Ignace conseille de « ne pas s’approcher ni pencher d’un côté ou de l’autre, mais de rester en équilibre comme le poids sur le bras d’une balance, et de laisser le Créateur agir directement avec la créature, et la créature avec son Créateur et Seigneur » (EX 15). Bien qu’en dehors des Exercices, il soit permis de « faire bouger l’autre », Fiorito privilégiait l’attitude qui consiste à ne pas pencher pour un parti ou pour l’autre, afin que « ce soit le Créateur et Seigneur lui-même qui communique à la personne, en l’embrassant de son amour et pour sa louange, et la disposant à la voie dans laquelle elle pourra mieux le servir dans l’avenir ». Grâce à cette attitude de « se maintenir en dehors », il était pour tous une référence, sans la moindre ombre de partialité. Et certes, au moment opportun, lorsque celui qui faisait les Exercices avec lui en avait besoin – parce qu’il était bloqué par quelque tentation ou parce qu’au contraire il se trouvait dans une bonne disposition pour faire son « élection » – le Maître intervenait avec force et détermination pour dire ce qu’il pensait et ensuite, de nouveau, « il se tenait en dehors », laissant Dieu agir dans celui qui suivait les Exercices.

(À suivre).

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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