La prostitution, c’est « torturer une femme », il faut avoir le courage de « dire les vérités crues », une religieuse ne peut être « une tomate sous serre »… le pape François a répondu dans un style direct aux questions des 300 jeunes réunis à Rome du 19 au 24 mars, pour la réunion de préparation au synode d’octobre 2018.
Dans une salle du Collège pontifical Maria Mater Ecclesia, le pape a passé la matinée avec des jeunes représentants du monde entier. L’événement était aussi suivi sur un groupe Facebook par plus de 15 000 jeunes.
Après des interventions sur la situation des cinq continents, le pape a entamé un dialogue avec les jeunes, répondant à cinq questions. Blessing Okoedion, du Nigeria, victime de la traite en Italie, a témoigné de la force de la foi qui l’a aidée à « sortir de cet enfer ». Mais comment aider les jeunes à prendre conscience de ces « crimes contre l’humanité » commis pour le « plaisir égoïste de l’homme » ? a-t-elle interrogé.
Ce n’est pas faire l’amour, c’est torturer une femme
En réponse, le pape a dénoncé l’horreur vécue par des femmes qu’il a rencontrées en 2017 en visitant une maison de l’association Papa Giovanni XXIII. Ce crime « naît d’une mentalité malade selon laquelle la femme doit être exploitée » : c’est dans « l’imaginaire collectif » et aucun féminisme n’est encore parvenu à le déraciner, a-t-il déploré.
« C’est une des luttes que je vous demande, à vous les jeunes », a-t-il ajouté : la dignité de la femme, « qui est plus que simplement faire ceci ou faire cela… la femme, à la création, a émerveillé l’homme, par sa beauté ».
La prostitution, a aussi insisté le pape, « ce n’est pas faire l’amour, c’est torturer une femme, ne confondons pas les termes ». Et celui qui fait cela « est un criminel », a-t-il lancé en déclenchant les applaudissements.
« Je veux saisir cette opportunité, a poursuivi le pape… pour demander pardon à vous et à la société, pour tous les catholiques qui commettent cet acte criminel. »
Il faut avoir le courage de dire les vérités crues
Maxime, Français étudiant en droit à Paris, non-baptisé, non-catholique, a exposé au pape ses doutes sur le sens de la vie, sa volonté d’avancer sans toutefois savoir où commencer : « Saint-Père, quel chemin devons-nous prendre ? » a-t-il interrogé.
« Tu as dit ‘je ne sais pas par où commencer’… mais par cette question, tu as déjà commencé en laissant monter les questions sans les anesthésier », a souligné le pape en retour. Et de prévenir contre « une façon éduquée d’anesthésier les questions ». Il faut « avoir le courage de dire les vérités crues, comme elles sont, et de poser les questions crues, comme elles sont, sans anesthésie ».
Au sein de nombreuses communautés ecclésiales, « il manque la capacité de discernement », a noté le pape avant d’encourager les éducateurs : « Ne t’effraie pas, accompagne, écoute, aide à discerner ». Si un jeune ne trouve pas ce chemin de discernement, « il se fermera mal, en portant en lui une tumeur… qui tôt ou tard enlèvera (sa) liberté ». D’où la nécessité de « tout ouvrir, ne pas maquiller, ne pas camoufler les sentiments, les pensées ».
Après le témoignage de Maria, jeune argentine, qui a demandé au pape sa vision sur l’éducation, ce dernier a évoqué les trois langages nécessaires à une éducation intégrale : le langage de la tête, « apprendre à bien penser » ; le langage du cœur, « apprendre à sentir bien » ; et le langage des mains, « apprendre à faire ».
Il a mis en garde contre « l’aliénation » que peut induire le monde virtuel, sans toutefois le « diaboliser » car « c’est une richesse ». Mais il faut savoir bien l’utiliser, et rester « dans le concret, les pieds sur terre » pas s’en rendre « esclave ».
Avec les jeunes, il ne faut jamais s’effrayer
Yulian, séminariste ukrainien, a demandé au pape des conseils pour différencier ce qui est « précieux » de ce qui est « faux » dans la culture actuelle.
« Un prêtre qui n’est pas témoin du Christ fait tant de mal, tant de mal », a déploré le pape. Mais « on ne peut pas être témoin tout seul », il faut « la communauté » : si cette dernière n’accompagne pas le prêtre dans ce témoignage, elle l’isole, le laisse seul, le rend « fonctionnaire » et il se fera « manger tout cru ».
Le pape François a une nouvelle fois fustigé la « très grave maladie » qu’est le cléricalisme, « quand une communauté cherche un prêtre et ne trouve pas un père, un frère, mais un docteur, un professeur, un prince ». Il a aussi mis en garde contre des attitudes de prêtres qui font du mal : le « spiritualisme exagéré » ou les prêtres « rigides », ou encore « mondains ».
« On ne peut pas parler de tout avec tous », a-t-il averti. Et de conseiller : « Cherche quelqu’un en qui tu as confiance, un sage qui ne s’effraie de rien, qui sait écouter et dire le mot juste au bon moment… qui se laisse interpeller par ton inquiétude ». « Avec les jeunes, a-t-il lancé aux accompagnateurs, il ne faut jamais s’effrayer », car « même derrière ce qui est moins bon, on peut toujours trouver un élément qui conduise à quelque vérité ».
Les religieuses ne doivent pas être comme des tomates sous serre
Enfin, répondant à Sœur Teresina, originaire de Chine, le pape François a invité à protéger le développement des religieuses, mais « dans le dialogue, pas comme des tomates sous serre en hiver », sinon « elles n’auront pas de saveur ».
La vraie formation religieuse dans la vie consacrée doit avoir « quatre piliers », a-t-il précisé : vie spirituelle, vie intellectuelle, vie communautaire et vie apostolique.
Il a particulièrement prévenu contre le risque d’une immaturité affective, à cause de laquelle la religieuse est « une religieuse malade ». Se protéger du monde, a-t-il dit, ne doit pas signifier « castrer la personne », car la vraie protection se fait dans la croissance : « une mère qui surprotège son enfant l’anéantit ».
La matinée s’est conclue par une « photo de groupe » avec le pape siégeant au milieu des 300 jeunes.
Réunion pré-synodale avec les jeunes © Vatican Media
Jeunes : le courage de "dire les vérités crues"
Dialogue avec le pape à l’ouverture de la réunion pré-synodale