« À chacun de nous, pécheurs pardonnés, le Rédempteur dit aussi : « Va, et désormais ne pèche plus ». Ce « commandement d’amour » n’est pas seulement une invitation à ne plus pécher, mais c’est aussi une demande de se mettre en chemin sur les routes du monde pour être témoins de la miséricorde », explique Mgr Follo.
Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, propose ce commentaire des lectures de la messe de dimanche prochain, 13 mars, cinquième dimanche de carême (Isaïe 43, 16–21; Psaume 125; Philippiens 3, 8–14; Jean 8, 1 – 11).
Mgr Follo propose une lecture patristique de saint Ambroise de Milan.
Rencontre avec le pardon
1 – La miséricorde juste
Aussi l’Évangile de ce dimanche nous présente à nouveau la rencontre entre la miséricorde et la misère (cf. saint Augustin).
La semaine dernière, cette rencontre nous a été rappelée à travers la parabole du fils prodigue, appelée aussi « du Père miséricordieux ».
Aujourd’hui, la lecture de l’Évangile nous présente Jésus qui sauve une femme adultère de la condamnation à mort, en lui pardonnant (Jn 8,1-11). Une fois encore, la liturgie nous propose le fait consolant de la miséricorde de Dieu qui rencontre une misère, en sauvant une pauvre femme que ses coreligionnaires veulent lapider pour respecter la loi de Dieu. Pour être plus précis, certains scribes et pharisiens amènent à Jésus une femme adultère non par amour de la justice, mais pour lui tendre un piège. En effet, « pour pouvoir l’accuser » (Jn 8,6), ces scribes et pharisiens amènent au Messie une femme surprise en délit d’adultère, feignant de lui confier le jugement selon la loi de Moïse.
En réalité, c’est justement le Christ qu’ils veulent accuser, montrant que son enseignement sur l’amour miséricordieux de Dieu est opposé à la loi mosaïque, qui punit le péché d’adultère par la lapidation. Jésus, « plein de grâce et de vérité » (Jn 1,14), sauve la pécheresse et démasque les hypocrites en disant : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre » (Jn 8,7).
À cet égard, j’attire l’attention sur le fait qui semble un détail de peu d’intérêt, mais qui me paraît important. Pendant que les accusateurs parlaient, Jésus ne leur répond pas tout de suite, mais il s’incline pour écrire du doigt par terre. Comme pour dire que les paroles de ces scribes et pharisiens sont semblables à de la poussière emportée par le vent, et pour montrer que c’est lui le législateur divin : « En effet, Dieu a écrit la loi de son doigt sur les tables de pierre » (cf. saint Augustin, Comm. Evang. de Jean, 33,5). Jésus est donc le législateur de la loi de la liberté du péché. Il est la justice qui se réalise complètement dans la miséricorde. Avec la femme adultère aussi, Jésus proclame la justice avec force, mais en même temps il soigne les blessures spirituelles de cette femme par sa miséricorde qui rachète, guérit, ennoblit et élève.
Justice et miséricorde sont deux réalités différentes seulement pour nous, les hommes, qui distinguons un acte de justice d’un acte d’amour miséricordieux (cf. Benoît XVI). Pour Dieu, il n’en est pas ainsi : en lui, justice et miséricorde ne sont pas opposées. La miséricorde est la justice qui recrée la personne. En effet, s’il est vrai que la correction, et même la punition comme instrument pour corriger, peut être providentielle (et en ce sens, la Bible parle souvent de Dieu qui corrige l’homme), elle ne l’est que si cette mesure est suggérée par l’amour de miséricorde.
« En réalité, seule la justice de Dieu peut nous sauver et la justice de Dieu s’est révélée dans la Croix. La croix est le jugement de Dieu sur nous tous et sur ce monde. Et si la Croix est l’acte suprême par lequel la justice de Dieu se révèle, la miséricorde doit être la justice des hommes : « Dieu nous juge, dit le pape François, en donnant sa vie pour nous ! Voilà l’acte suprême de justice qui a vaincu une fois pour toutes le prince de ce monde. Et cet acte suprême de justice est précisément aussi l’acte suprême de miséricorde » (Pape François).
2 – Le Christ juge la femme adultère en lui pardonnant.
À l’affirmation de Jésus : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre », les accusateurs de la femme adultère réagirent en s’en allant et en laissant cette femme devant le Christ, seul. Il n’y a plus cette agitation de ceux qui voulaient condamner une personne et tendre un piège à celui qui était venu non pour condamner mais pour sauver le monde. Dans ce silence qui est tombé sur la place du Temple, Jésus célèbre le pardon comme libération de la condamnation à mort : un pardon qui génère une vie nouvelle, orientée vers le bien.
Jésus a pardonné à cette « accusée » délinquante comme il pardonne chacune de nos fautes, faisant refleurir dans les cœurs la gratitude et la joie. Dans le pardon, d’une part, nous connaissons qui est le Seigneur, l’Amour qui nous aime sans conditions. De l’autre, nous connaissons qui nous sommes dans le pardon : des personnes infiniment aimées de Dieu, sans conditions. Dieu se révèle dans le Rédempteur comme un amour qui pardonne et accueille sans poser de conditions.
Que révèle Dieu dans l’Évangile de ce jour, mais aussi dans toute l’Écriture ? Qu’il est miséricorde, pardon, qu’il n’a pas mis, au centre du monde, l’arbre de la mort, mais celui de la vie : la Croix.
Le fils prodigue est accueilli de nouveau dans la maison, l’adultère n’est pas lapidée, chacun de nos péchés est pardonné, mais pour tout cela, le Christ a payé parce que c’est lui qui a pris sur lui nos fautes et les a portées sur le bois de la Croix : « Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris » (1 P 2,24). C’est donc le Christ la vraie justice, c’est lui notre justice parce que c’est lui qui fait de nous des justes devant Dieu.
En pardonnant, au lieu d’ouvrir la porte de la mort, le Christ ouvre la porte de la vie, parce qu’il est lui-même la porte. Le Seigneur de la vie prononce sur la femme adultère son propre jugement et non seulement il lui dit qu’il ne la condamne pas, mais il lui demande aussi de ne plus pécher.
À chacun de nous, pécheurs pardonnés, le Rédempteur dit aussi : « Va, et désormais ne pèche plus ». Ce « commandement d’amour » n’est pas seulement une invitation à ne plus pécher, mais c’est aussi une demande de se mettre en chemin sur les routes du monde pour être témoins de la miséricorde.
Le pardon ne justifie pas la personne en la laissant dans son erreur, mais il indique un nouveau style de vie qui implique le renoncement au péché et à ses conséquences de mort pour se remettre en chemin avec et pour le Christ et apporter aux autres le pardon et l’amour reçus.
Toutes les personnes consacrées sont appelées de manière particulière à être témoins de cette miséricorde du Seigneur, en laquelle l’homme trouve son salut. Elles gardent vivante l’expérience du pardon de Dieu, parce qu’elle ont conscience d’être des personnes sauvées, d’êtres grandes quand elles se reconnaissent petites, de se sentir renouvelées et enveloppées de la sainteté de Dieu quand elles reconnaissent leur péché. C’est pourquoi, même pour l’homme d’aujourd’hui, la vie consacrée demeure une école privilégiée de la « componction du cœur », de l’humble reconnaissance de sa propre misère, mais, également, elle demeure une école de la confiance dans la miséricorde de Dieu, dans son amour qui n’abandonne jamais. En réalité, plus nous nous approchons de Dieu, plus nous sommes proches de lui, plus nous sommes utiles aux autres Les personnes consacrées expérimentent la grâce, la miséricorde et le pardon de Dieu non seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour leurs frères, étant appelées à porter dans leur cœur et leur prière les angoisses et les attentes des hommes, en particulier ceux qui sont loin de Dieu » (Benoît XVI)
En particulier, les vierges consacrées qui, par vocation, vivent et travaillent dans le monde, sont appelées à l’engagement spécifique de fidélité à « être avec le Seigneur », l’Époux qui demande tout. Dans la cérémonie de consécration, l’évêque demande à chacune d’elles (rituel de consécration N° 17 : « Voulez-vous être consacrée comme épouse de Jésus-Christ ». Et la réponse est comme celle que l’on doit donner dans les mariages : « Oui, je le veux ». Elles montrent que le Christ a été capable de les rendre profondément amoureuses et elles sont appelées à rendre compte devant la société de pourquoi cela vaut la peine de se consacrer complètement au Christ, montrant dans la paroisse et surtout sur leur lieu de travail, que leur vie est attirante et joyeuse. Par vocation et par mission, ces femmes consacrées « sont appelées à fréquenter les ‘périphéries’ et les ‘frontières’ de l’existence où se consument les drames d’une humanité perdue et blessée » (Pape François).
Dans un monde où domine l’égoïsme qui produit rivalités, inimitiés, jalousies, conflits d’intérêt et guerres, c’est-à-dire, en un mot seulement, la haine, elles proclament par leur vie la loi de l’Amour qui se diffuse et se donne avec la miséricorde. Cet amour de miséricorde, reçu du Christ-Époux, élargit leur cœur pour aimer les autres avec pureté et vérité, pardonner les offenses comme leur Époux qui pardonne en portant les péchés du monde sur la Croix, et pour servir les besoins d’autrui. Elles se sont consacrées à lui, source de l’amour pur et fidèle, un amour si grand et si beau qu’il mérite tout, ou plutôt, plus que notre tout, parce qu’une vie entière ne suffit pas pour rendre ce que le Christ est et ce qu’il a fait pour nous.
Traduction de Constance Roques
Lecture patristique: Saint Ambroise de Milan (+ 397)
Lettre 26, 11-20 (PL 16, 1044-1046)
Une femme coupable d’adultère fut amenée par les scribes et les pharisiens devant le Seigneur Jésus. Et ils formulèrent leur accusation avec perfidie, de telle sorte que, si Jésus l’absolvait, il semblerait enfreindre la Loi, mais que, s’il la condamnait, il semblerait avoir changé le motif de sa venue, car il était venu afin de pardonner le péché de tous. Ils dirent en la lui présentant: Cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu (Jn 8,4-5)?
Pendant qu’ils parlaient, Jésus, la tête baissée, écrivait avec son doigt sur le sol. Comme ils attendaient, il leva la tête et dit: Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre (Jn 8,7). Y a-t-il rien de plus divin que cette sentence: qu’il punisse le péché, celui qui est sans péché? Comment, en effet, pourrait-on tolérer qu’un homme condamne le péché d’un autre, quand il excuse son propre péché? Celui-là ne se condamne-t-il pas davantage, en condamnant chez autrui ce qu’il commet lui-même?
Jésus parla ainsi, et il écrivait sur le sol. Pourquoi? C’est comme s’il disait: Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’oeil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton oeil, tu ne la remarques pas (Lc 6,41)? Il écrivait sur le sol, du doigt dont il avait écrit la Loi (Ex 31,18). Les pécheurs seront inscrits sur la terre, et les justes dans le ciel, comme Jésus dit aux disciples: Réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux (Lc 10,20).
En entendant Jésus, les pharisiens sortaient l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés, puis ils s’assirent pour délibérer entre eux. Et Jésus resta seul avec la femme qui était debout, là au milieu. L’évangéliste a raison de dire qu’ils sortirent, ceux qui ne voulaient pas être avec le Christ. Ce qui est à l’extérieur du Temple, c’est la lettre; ce qui est au-dedans, ce sont les mystères. Car ce qu’ils recherchaient dans les enseignements divins, c’étaient les feuilles et non les fruits des arbres; ils vivaient dans l’ombre de la Loi et ne pouvaient pas voir le soleil de justice.
Quand ils furent tous partis, Jésus resta seul avec la femme debout au milieu. Jésus, qui va pardonner le péché, demeure seul, comme lui-même l’a dit: L’heure vient et même elle est venue, où vous serez dispersés chacun de son côté, et vous me laisserez seul (Jn 16,32). Car ce n’est ni un ambassadeur ni un messager qui a sauvé son peuple, mais le Seigneur en personne. Il reste seul parce qu’aucun des hommes ne peut avoir en commun avec le Christ le pouvoir de pardonner les péchés. Cela revient au Christ seul, lui qui enlève le péché du monde. Et la femme méritait d’être pardonnée, elle qui, après le départ des Juifs, demeure seule avec Jésus.
Relevant la tête, Jésus dit à la femme: Où sont-ils, ceux qui t’accusaient? Est-ce que personne ne t’a lapidée? Et elle répondit: Personne, Seigneur, Alors Jésus lui dit: Moi non plus, je ne te condamnerai pas. Va, et désormais, veille à ne plus pécher. Voilà, lecteur, les mystères divins, et la clémence du Christ. Quand la femme est accusée, le Christ baisse la tête, mais il la relève quand il n’y a plus d’accusateur, si bien qu’il veut ne condamner personne, mais pardonner à tous.
Que signifie donc: Va, et désormais veille à ne plus pécher! Cela veut dire: Puisque le Christ t’a rachetée, que la grâce te corrige, tandis qu’un châtiment aurait bien pu te frapper, mais non te corriger.
Mgr Francesco Follo
Rencontre avec le pardon, par Mgr Follo
Commentaire des lectures de la messe de dimanche, 13 mars