Mgr Jacques Perrier

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Prière Eucharistique III : « Et maintenant, nous te supplions… » (2/2)

La supplication de l’Eglise pour le monde entier est au cœur de cette 35e chronique sur les prières eucharistiques : Mgr Jacques Perrier, évêque émérite de Tarbes-Lourdes, poursuit sa lecture théologique et spirituelle de la Prière eucharistique III. Le premier volet a été publié vendredi dernier, 21 août.

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« Et maintenant, nous te supplions… » (2/2)

La prière d’intercession fait alterner l’universel et le particulier : elle vise « le monde entier », « l’ensemble des évêques », les prêtres et les diacres de partout (universo clero) ; mais elle nomme le pape actuel et l’évêque du diocèse où l’Eucharistie est célébrée. Notons au passage que, si le prêtre appartient à un autre diocèse, il nommera l’évêque du lieu et non celui de son diocèse personnel : le prêtre ne célèbre pas en son nom propre mais, d’abord, pour les fidèles présents. 

Tout le peuple des rachetés

Cette expression rappelle une des préfaces du dimanche : « Nous portons désormais ces noms glorieux : nation sainte, peuple racheté, race choisie, sacerdoce royal. » En arrière-fond se trouve la Première Epître de Pierre (2, 9) : « Vous êtes la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis. » Tous ces titres viennent de l’Ancien Testament où ils sont appliqués à Israël. Quand Paul prend congé des anciens d’Ephèse, il leur recommande de prendre soin de « l’Eglise de Dieu qu’il s’est acquise par le sang de son propre Fils » (Actes 20, 28). Ce « peuple » unique, c’est donc l’Israël nouveau, unifié par la Trinité Sainte, selon la parole de saint Cyprien reprise par le concile Vatican II.

Mais au lieu de traduire « tout le peuple des rachetés », il serait grammaticalement aussi logique de lire : « chaque peuple que tu as racheté ». Nous l’avions vu au début de la Prière : là où le français dit « toute la création », le texte originel dit « chaque créature ». Quand il chante le Créateur, le livre de la Genèse se plaît à souligner les différences : l’expression « selon son espèce » revient à dix reprises. Non seulement, le Créateur dénombre les étoiles, mais il les appelle « chacune par son nom » (Psaume 146-147, 4).

Le Seigneur tient un « livre des peuples » (Psaume 86-87) : chaque homme est né dans l’un ou l’autre de ces peuples, même si c’est en Sion que tous renaissent. Le miracle de la Pentecôte n’est pas l’instauration d’une langue unique mais le fait que chacun entende proclamer, « dans sa langue », les merveilles de Dieu. On sait le respect dont le saint pape Jean-Paul II entourait la diversité des cultures.

Dans les visions de l’Apocalypse, la Jérusalem céleste est peuplée d’hommes venant de « toute race, langue, peuple et nation ». La Cité sainte n’est pas un camp de concentration, où l’homme est réduit à un matricule.

La famille

De nouveau, la vision se focalise sur l’assemblée : ceux qui « se tiennent » là, « debout » comme la Vierge au pied de la Croix, ont répondu à une « volonté » de Dieu. « L’Eglise », avant d’être une communauté de croyants, est une « convocation », un « appel » de Dieu. De même pour la communauté, grande ou petite, qui se tient près de l’autel.

Cette communauté est appelée « famille ». Les évangiles nous renseignent sur les relations difficiles entre Jésus et sa famille de Nazareth : « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? » Jésus ne récuse pas ces termes mais la filiation ne s’établira plus selon la chair et le sang, mais selon l’Esprit Saint. A sa mère, il donne pour fils le disciple bien-aimé. Ses frères et ses sœurs, ce sont ceux qui font la volonté de son Père. « Frères » est l’expression la plus usuelle pour désigner les disciples dans les premiers temps de l’Eglise. Nous sommes de la « maison » de Dieu (Ephésiens 2, 19).

Parmi tous les symboles évocateurs de l’Eglise, la famille est privilégiée par les Africains qui ont un sens de la famille beaucoup plus étendu que les Occidentaux d’aujourd’hui. Les papes n’hésitent pas, non plus, à parler de la « famille humaine ». « Qu’as-tu fait de ton frère ? » : la question que Dieu pose à Caïn s’adresse à tout homme dans son rapport à tout autre homme, puisqu’ils sont « frères ». 

Mais ici, il s’agit bien des frères et sœurs rassemblés en ce lieu, à cette heure, pour offrir le sacrifice de toute l’Eglise. Le « premier-né d’une multitude de frères » (Romains 8, 29) est aussi celui qui a promis d’être présent, là où deux ou trois sont réunis en son nom (Matthieu 18, 20).

Les enfants dispersés

Ce passage de la Prière III peut, évidemment, inclure la recherche de l’unité entre les chrétiens. Mais ce n’est, sans doute pas, sa visée première, qui est universaliste. 

Les mots sont une citation presque littérale de saint Jean. Caïphe voyait dans la condamnation de Jésus le moyen, pour le peuple d’Israël, d’échapper à un risque d’anéantissement par Rome. L’évangéliste commente : « Etant grand-prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation – et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jean 11, 51-52).

L’image est chère à saint Jean : le loup disperse les brebis, alors que le Bon Pasteur les rassemble (Jean 10). Cette symbolique vient d’Ezéchiel. Quand Jérusalem a été prise par les Babyloniens, la population a été emmenée en exil et dispersée. Le prophète annonce qu’un jour viendra (ce sera le retour d’Exil) où Dieu « retirera ses brebis de tous les lieux où elles furent dispersées, au jour de nuées et de ténèbres » (Ezéchiel 34, 12). De là vient la sinistre dénomination « Nacht und Nebel », « Nuit et Brouillard ».

Le rassemblement n’est pas une fin en soi : au goulag, les hommes étaient bien rassemblés. La Prière III précise : « ramène à toi ». Le texte original est même plus fort : « unis à toi », le terme étant celui qui désigne l’union des « conjoints ». C’est dans le Christ que nous sommes rassemblés. C’est en lui que notre vie trouve son unité : « Qui n’amasse pas avec moi, dissipe », disperse (Luc 11, 23).

La Prière eucharistique s’adresse tout entière au Père. Elle proclame ce qu’il fait et formule ce que l’Eglise lui demande. Mais elle ne dit pas grand-chose sur lui. Exception : il est ici qualifié de clemens, « très aimant », dit le français. C’est cette clémence que la Prière va maintenant invoquer pour les défunts.

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Jacques Perrier

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