Mgr Paul Richard Gallagher

WIKIMEDIA COMMONS - Bundesministerium für Europa

« Construire des sociétés inclusives », 4 thèses de Mgr Gallagher (2/4)

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Mgr Gallagher évoque « la dimension religieuse du dialogue interculturel », à travers quatre « thèses » dont la deuxième est que « les religions sont appelées à offrir une contribution spécifique au progrès d’une culture des droits humains ».
 

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« « Construire des sociétés inclusives » et les construire « ensemble », comme le stipule le titre de la rencontre de Sarajevo, est une tâche ardue mais à laquelle nous ne pouvons pas échapper », explique Mgr Paul Gallagher dans ce deuxième volet de son intervention au séminaire organisé par la Mission permanente du Saint-Siège au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, lundi 8 juin 2015.

Le séminaire avait pour thème : « Construire ensemble des sociétés inclusives : Contributions à la Rencontre de Sarajevo sur la dimension religieuse du dialogue interculturel ». Il était organisé en préparation à l’édition 2015 de la rencontre prévue à Sarajevo les 8 et 9 septembre prochains.

« Même dans un dialogue centré sur les questions de droits humains, nous devons éviter la tentation d’exclure arbitrairement des cultures ou des visions du monde qui sont religieuses, ou de les accuser de ne pas respecter des standards définis ou de réduire la compréhension de la personne humaine au plus petit dénominateur commun », précise Mgr Gallagher. 

Il fait observer que « céder à cette tentation serait échouer à incorporer la dimension religieuse dans les thèmes importants en débat ».

« Un pluralisme qui n’inclut pas les défis offerts par les religions du monde à des perspectives laïques ne sera jamais un pluralisme authentique et court au contraire le risque de tomber dans une pensée unique et uniforme, ennemie de la liberté », averti le secrétaire du Vatican pour les Relations avec les Etats.

Voici notre traduction du second volet de cette intervention faite en anglais.

Deuxième thèse : Les religions sont appelées à offrir une contribution spécifique au progrès d’une culture des droits humains

La codification des droits humains a été conçue en Europe comme l’affirmation de la dignité de chaque personne humaine individuelle, indépendamment de ses idées, ses convictions religieuses ou ses traditions. À partir de cette origine, l’affirmation des droits de l’homme était basée sur des principes considérés comme évident et commun à tous les êtres humains. Il devrait suffire de rappeler l’article 1 de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789, qui déclare que « les hommes sont nés et restent libres et égaux en droits » et affirme par conséquent la liberté de pensée et de religion et l’égalité de tous devant la loi. De tels principes gardent leur signification jusqu’à présent et sont encore le fondement d’une culture des droits humains.

Nous ne devrions toutefois pas sous-estimer les défis présentés par le contexte contemporain de la multipolarité. Si les principes fondamentaux reconnus internationalement demeurent un heureux point de référence commun, leur application aux nombreuses circonstances de la vie personnelle et sociale est de plus en plus exposée à des interprétations conflictuelles qui reflètent les différentes perspectives philosophiques et religieuses et interprétations humanistes qui coexistent dans notre société. Je pense bien sûr aux différentes conceptions du mariage et de la famille, mais aussi à la défense de la vie humaine dans les situations d’extrême fragilité, à la compréhension de la responsabilité sociale et aux défis posés par l’immigration.

Les organismes auxquels il est fait appel dans les situations spécifiques pour juger en matière de droits humains – la Cour européenne des droits de l’homme, en premier lieu – se trouvent quotidiennement confrontés à une tâche ardue, comme lorsque des problèmes sont soulevés sur la compréhension commune de valeurs, ou bien sûr sur une compréhension partagée des droits. De ce point de vue, si la tâche propre aux juges est essentielle, il est tout aussi important d’accorder un soin à la construction et au maintien d’une culture commune robuste des droits humains, dont personne ne devrait se sentir exclu. Une telle culture commune aujourd’hui est difficile, mais nécessaire. Une compréhension religieuse de la personne humaine peut et doit apporter une contribution spécifique à cette culture partagée, en dialogue avec des philosophies de l’homme qui tendent à exclure toute référence à la transcendance.

Je parle de la contribution particulière donnée par des perspectives religieuses sur la personne humaine, dans la mesure où, sans celles-ci, c’est toute la culture des droits humains, même ceux des non-croyants, qui serait grandement appauvrie. Je ne peux pas prétendre parler au nom d’autres cultures religieuses ; mais je crois que la contribution spécifique de l’Église catholique à une culture commune des droits humains peut être vue de manière concrète et je me limiterai à donner quelques exemples qui ne sont en rien exhaustifs. Tout d’abord, il y a la conscience de la radicale égalité et fraternité entre toutes les personnes humaines, crées à l’image et à la ressemblance de Dieu. Deuxièmement, la reconnaissance de la valeur du plus petit d’entre nous, du pauvre et de la personne  marginalisée, de la dignité de toute vie humaine, peu importe sa faiblesse ou sa précarité, de la conception jusqu’à la mort naturelle. Troisièmement, la capacité à transmettre une identité religieuse qui est à la fois ferme et respectueuse des autres, ouverte au dialogue avec les autres religions et les autres visions du monde. Comme on le voit aisément, ce sont des valeurs universelles, et si elles ne sont pas l’exclusivité de la foi catholique, celle-ci a offert et continue d’offrir une contribution unique.

Toutes les traditions religieuses peuvent et doivent apporter leur contribution spécifique, même quand il devient important de trouver une voie pour être honnêtement en relation les uns avec les autres, en embrassant le bien qui existe dans toutes les traditions et aussi en invitant à une discussion sincère sur les limites perçues de toute tradition de pensée, qu’elle soit religieuse ou non.  Mais comment est-il possible de se rencontrer vraiment aux carrefours de la culture, comment est-il possible d’affronter le défi de la « mondialisation de la multipolarité de manière créative », de la réalisation d’une « harmonie constructive libre de toute prétention au pouvoir » dont a parlé le pape François dans son allocution au Conseil de l’Europe ?

L’Église catholique a toujours indiqué que l’instrument qui permet cette recherche commune, ce dialogue entre les cultures, est la raison humaine dont nous sommes tous dotés. Mais la raison doit aussi s’ouvrir à la totalité de l’expérience humaine. Réfléchissant sur le dialogue entre les cultures, le pape Benoît XVI disait « Dans le monde occidental domine largement l’opinion que seule la raison positiviste et les formes de philosophie qui s’y rattachent seraient universelles. Mais les cultures profondément religieuses du monde voient cette exclusion du divin de l’universalité de la raison comme un outrage à leurs convictions les plus intimes. Une raison qui reste sourde au divin et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures […] Dans ce grand Logos, dans cette amplitude de la raison, nous invitons nos interlocuteurs au dialogue des cultures » (Rencontre avec les représentants du monde des sciences, Université de Ratisbonne, 12 septembre 2006).

Le dialogue généré dans ce « grand Logos » est sain pour les religions et pour la raison elle-même. Dans le cas des religions, il en est ainsi parce qu’être engagé dans un dialogue à l’intérieur des sociétés démocratiques et ouvert à la raison argumentative est une antidote à toutes les formes de fondamentalisme. Dans le cas de la raison, c’est sain parce que l’ouverture à la transcendance, qui reste une réalité constitutive pour de nombreuses cultures et pour la vie d’une
grande proportion de l’humanité, aide la raison à éviter les formes simplistes de réductionnisme. En réalité, personne n’a de monopole sur la culture des droits humains. Nier ou effacer les différences ne sert à personne. Ce qui est important, toutefois, c’est de faire des efforts concertés pour redécouvrir ce que nous avons en commun, sans oublier que la capacité à reconnaître les différences l’un de l’autre dans un noyau partagé de valeurs humaines fondamentales est la condition pour la survie et pour un authentique progrès de toutes les sociétés.

En conclusion de cette thèse, « construire des sociétés inclusives » et les construire « ensemble », comme le stipule le titre de la rencontre de Sarajevo, est une tâche ardue mais à laquelle nous ne pouvons pas échapper. C’est pour cette raison même que dans un dialogue centré sur les questions de droits humains, nous devons éviter la tentation d’exclure arbitrairement des cultures ou des visions du monde qui sont religieuses, ou de les accuser de ne pas respecter des standards définis ou de réduire la compréhension de la personne humaine au plus petit dénominateur commun. Céder à cette tentation serait échouer à incorporer la dimension religieuse dans les thèmes importants en débat. Un pluralisme qui n’inclut pas les défis offerts par les religions du monde à des perspectives laïques ne sera jamais un pluralisme authentique et court au contraire le risque de tomber dans une pensée unique et uniforme, ennemie de la liberté.

Traduction de Zenit, Constance Roques

 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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