La Prière Eucharistique (12)
« … afin qu’il t’offre, partout dans le monde, une offrande pure »
Après avoir nommé le Christ et l’Esprit Saint, la Prière III continue : « et tu ne cesses de rassembler ton peuple, afin qu’il te présente partout dans le monde une offrande pure. »
Le texte latin dit : « du lever au coucher du soleil », a solis ortu usque ad occasum. La terre étant considérée comme plate, le lever et le coucher du soleil ne désignent pas seulement l’aube et le crépuscule, mais toute la surface de la terre que le soleil éclaire, de la direction d’où on le voit surgir jusqu’à celle où il disparaît. Comme dit le psaume :
Le Dieu des dieux, le Seigneur, parle et convoque la terre
Du soleil levant jusqu’au soleil couchant
Psaume 50-51, 2
Dans le premier paragraphe de la Prière III qui suit le Sanctus, l’horizon est donc toujours aussi large : « Dieu de l’univers », « toute la création », « toutes choses » et, maintenant, « partout dans le monde ». Mais il ne s’agit plus de ce que Dieu a créé dans les cinq premiers jours (Genèse 1, 1-23), ni même « des bêtes et des bestiaux » du sixième jour. Il s’agit désormais d’un « peuple ».
C’est Dieu qui constitue le peuple
Ce peuple n’est plus seulement le peuple d’Israël : c’est un peuple qui habite partout dans le monde. Mais il a en commun avec le peuple d’Israël d’être rassemblé par Dieu et pour Dieu. En rigueur de termes, c’est ce que dit le texte de la Prière III : « Tu ne cesses de te rassembler un peuple »
Le peuple d’Israël n’existe que par l’élection de Dieu. Par lui-même, il ne présente rien de remarquable, au contraire. Dieu le constitue en libérant les Hébreux de l’esclavage qu’ils subissaient en Egypte. A ce peuple, Dieu donne un chef, Moïse, et une Loi. Il lui promet une Terre. Sur cette Terre, le peuple rendra un culte au Seigneur, à l’écart des peuples païens et de leurs divinités. Les prophètes sont envoyés pour rappeler au peuple, et au roi en premier, cette vocation. Mais les prophètes ne sont pas entendus et le peuple est dispersé. Du moins, l’appel demeure de se rassembler à Jérusalem pour les fêtes de pèlerinage. Dans l’attente du rassemblement dernier.
Le peuple qu’est l’Eglise n’a pas les mêmes caractéristiques.
Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres… Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares selon le lot échu à chacun… Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés… Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère.
Epître à Diognète, chapitre 5
Dans ces conditions, comment l’Eglise est-elle un « peuple », comment est-elle réunie ? Comme Israël, par l’élection, par l’appel. Le mot « Eglise » lui-même, d’origine grecque, vient du verbe qui signifie « appeler ».
Le Christ appelle la foule des hommes de parmi les Juifs et de parmi les Gentils (les nations païennes), pour former un tout, non selon la chair mais dans l’Esprit, et devenir le nouveau peuple de Dieu.
Vatican II, Constitution sur l’Eglise, n° 9
Il a parlé par les prophètes
Déjà les prophètes et les psaumes entrevoyaient cet élargissement. Il ne s’agirait plus de païens qui, se convertissant au judaïsme, monteraient à Jérusalem, mais de « serviteurs du Seigneur » qui, partout dans le monde, loueraient le Seigneur.
Louez, serviteur du Seigneur,
Louez le nom du seigneur !
Du lever au coucher du soleil,
Loué soit le nom du Seigneur !
Psaume 112-113, 1-3
Isaïe voit le temps où « l’Egypte avec l’Assyrie servira le Seigneur » : l’Egypte et l’Assyrie, les deux grands ennemis d’Israël, qui l’enserrent au sud et au nord. « Il y aura un autel pour le Seigneur au centre du pays d’Egypte » (Isaïe 19, 19, 25). On « proclamera sa louange dans les îles », c’est-à-dire dans des pays perdus (Isaïe 42, 12).
Les rédacteurs de la Prière III avaient, sans doute, en tête un verset de Sophonie (3, 9) :
Alors, je rendrai pures les lèvres des peuples
Pour que tous invoquent le nom du Seigneur
Et, d’un même geste, le servent.
En tout cas, ils pensaient certainement à Malachie qui, dans les Bibles, est le dernier livre avant le Nouveau Testament. Les termes sont exactement les mêmes, dans la traduction latine de la Bible et dans l’original (latin) de la Prière III :
Du levant au couchant du soleil,
Mon nom est grand parmi les nations.
En tout lieu, on brûle de l’encens pour mon nom
Et on présente une offrande pure,
Car mon nom est grand parmi les nations,
Dit le Seigneur de l’univers.
Malachie 1, 11
Trois observations pour terminer : la « pureté » est mentionnée, tant par Sophonie que par Malachie ; les prières liturgiques sont fortement bibliques ; l’Eucharistie accomplit la vision des prophètes.