Le Saint-Siège appelle la communauté internationale « à garantir que les médicaments soient disponibles, financièrement abordables et physiquement accessibles à tous », « sans aucune forme de discrimination » : il s’agit de donner « la priorité à la vie et la dignité des personnes les plus vulnérables » et non au « profit » ou au « droit à la propriété intellectuelle privée ».
Mgr Silvano M. Tomasi, représentant permanent du Saint-Siège aux Nations-Unies à Genève, est intervenu au cours du Forum social du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le 18 février 2015.
L’archevêque a déploré que « les États en particulier, et la communauté internationale dans son ensemble, n’aient pas assumé leur responsabilité de rendre les médicaments et les outils de diagnostic abordables et accessibles aux populations les plus pauvres et les plus marginalisées dans les pays à faible revenu ».
« Un obstacle majeur à la fourniture de cet accès se trouve dans des applications et des interprétations restrictives du droit de la propriété intellectuelle de la part de beaucoup dans l’industrie pharmaceutique », a-t-il noté.
Il a aussi appelé à « assurer l’accès à des médicaments qui soient adaptés aux enfants : combinaisons de doses fixes, de goût et de forme acceptables, et faciles à administrer aux nourrissons et aux très jeunes enfants ».
A.K.
Discours de Mgr Tomasi
Monsieur le président,
La délégation du Saint-Siège reconnaît la responsabilité des États à garantir que les médicaments soient disponibles, financièrement abordables et physiquement accessibles à tous sur une base de non-discrimination. Elle apprécie la décision du Conseil des droits de l’homme de dédier cette session annuelle du Forum social à cette question urgente. En ce qui concerne la disponibilité des médicaments, nous prenons note en particulier que «… la recherche scientifique a multiplié les possibilités de prévention et de guérison » et « a permis la découverte de thérapies qui sont indiquées dans les soins de pathologies variées ». Cela représente « un engagement très précieux qui vise à répondre aux attentes et aux espoirs de nombreux malades à travers le monde ».
D’autre part, du point de vue de l’expérience de l’Église catholique en matière de soins aux malades dans plus de 5.000 hôpitaux et 18.000 dispensaires de toutes les régions du monde, ma délégation a attiré l’attention sur le fait que les États en particulier, et la communauté internationale dans son ensemble, n’ont pas assumé leur responsabilité de rendre les médicaments et les outils de diagnostic abordables et accessibles aux populations les plus pauvres et les plus marginalisées dans les pays à faible revenu et même dans certaines régions et parmi certains groupes de personnes dans les pays à revenu moyen ou élevé. Un obstacle majeur à la fourniture de cet accès se trouve dans des applications et des interprétations restrictives du droit de la propriété intellectuelle de la part de beaucoup dans l’industrie pharmaceutique.
L’application des instruments de la propriété intellectuelle, qui prévaut actuellement dans de nombreuses parties du monde, interfère avec le droit à la santé de deux façons. Tout d’abord, certaines sociétés pharmaceutiques revendiquent des marges bénéficiaires et des marges de recouvrement des coûts irréalistes, alors que la plupart des gouvernements et des acheteurs individuels des pays en voie de développement n’ont pas la capacité financière d’acheter ces produits à un coût aussi élevé. Ce système peut conduire à un mépris total de ceux qui ne peuvent pas payer le prix de certains produits médicaux et à un système de libre-échange déséquilibré, et constitue donc un quasi-monopole.
Le deuxième obstacle concerne la recherche et le développement (R & D) afin de développer des médicaments nouveaux et plus efficaces et d’autres produits médicaux essentiels, y compris des outils de diagnostic pour faciliter le dépistage et le traitement précoces de certaines maladies mortelles. Le système, en fait, ne fonctionne pas comme une incitation à la recherche sur des traitements soi-disant « sans marché » ou « à faible retour sur investissement », tels que ceux pour les maladies tropicales négligées, les maladies rares, ou même pour ces maladies à plus forte prévalence parmi les personnes à faible revenu, ou dans des régions économiquement défavorisées, y compris le VIH, la tuberculose, le paludisme, l’hépatite et la maladie due au virus Ebola qui, tout récemment, a fait des ravages sur les côtes d’Afrique de l’Ouest. Il est très regrettable, par conséquent, qu’en raison d’une focalisation excessive sur le profit, nous assistions, dans la majeure partie de l’industrie pharmaceutique, à une préférence pour orienter la recherche vers les problèmes de santé qui ont un plus grand potentiel de marché dans les pays industrialisés riches.
Un groupe particulièrement privé de l’accès aux médicaments est celui des enfants. Beaucoup de médicaments essentiels n’ont pas été développés dans des formulations ou des dosages appropriés pour un usage pédiatrique. Ainsi, les familles et les professionnels de la santé sont souvent contraints de s’engager dans un « jeu de devinettes » sur la meilleure façon de diviser les pilules pour adultes pour en faire usage auprès des enfants. Cette situation peut entraîner la perte tragique de la vie ou une maladie chronique continue chez les enfants vulnérables. Bien que certains progrès pour résoudre ce problème aient été réalisés au cours des dernières années, en particulier en ce qui concerne les enfants vivant avec le VIH, de nombreux autres défis doivent être relevés afin d’assurer l’accès à des médicaments qui soient adaptés aux enfants : combinaisons de doses fixes, de goût et de forme acceptables, et faciles à administrer aux nourrissons et aux très jeunes enfants.
Tout en respectant pleinement le droit à la propriété intellectuelle privée, le Saint-Siège préconise une approche créative et innovante, avec la pleine utilisation des flexibilités prévues par les instruments relatifs à la propriété intellectuelle liée au commerce, de sorte que le droit à la santé pour tous, sans aucune forme de discrimination, puisse être pleinement garanti et mis en œuvre. Nous sommes convaincus, par conséquent, que le souci de la protection du droit de la propriété intellectuelle, bien que légitime en soi, doit être vu dans la perspective plus large de la promotion du bien commun, de la construction d’une solidarité mondiale et de la priorité à la vie et la dignité des personnes les plus vulnérables dans le monde, dont beaucoup portent un fardeau inéquitable de maladies transmissibles et non transmissibles.
Traduction de Zenit, Constance Roques