« Pour comprendre ce que signifie la traite des êtres humains, il faut rencontrer les victimes, les écouter, les regarder dans les yeux, les embrasser », déclare Sœur Valeria Gandini, missionnaire combonienne au service des femmes victimes de prostitution en Sicile.
La première Journée internationale de prière et de réflexion contre la traite des personnes, qui aura lieu le 8 février 2015, a été présentée le 3 février au Vatican, par le cardinal João Braz de Aviz, préfet de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, le cardinal Antonio Maria Vegliò, président du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, président du Conseil pontifical Justice et Paix, Sœur Carmen Sammut, MSOLA, présidente de l’Union internationale des supérieures générales (UISG) et Sœur Gabriella Bottani, SMC, coordinatrice de Talitha Kum.
Sœur Valeria Gandini a également donné son témoignage, se faisant la voix des filles prostituées, qui « ne demandent pas d’aide, vivent dans la peur et la honte en silence, un silence assourdissant ».
« Les filles qui sont dans la rue ont récemment augmenté et elles sont de plus en plus jeunes », a-t-elle dénoncé en évoquant avec émotion l’histoire de Lucy, Gala, Edith, Mercy…
Soeur Valeria leur a rendu hommage : « Une chose m’a toujours surprise chez ces sœurs, malgré leur situation de souffrance et de confusion, elles portent toujours en elle le désir de vivre, la capacité d’enfanter, de protéger et de faire grandir la vie dans des situations de non-vie, la ténacité dans la lutte et l’espérance inébranlable d’un avenir meilleur, et le sacrifice d’elles-mêmes jusqu’à mourir pourvu que leurs proches soient épargnés. »
« La traite des êtres humains blesse la dignité de toutes les personnes, défigure le visage humain d’enfants, d’hommes et de femmes victimes, et déchire des vies et des histoires de vie individuelle et familiale. La traite scandalise, elle altère la dignité humaine et le visage humain de ceux qui font de la traite une source de profit et de plaisir », a-t-elle ajouté.
A.K.
Témoignage de sœur Valeria Gandini, SMC
« La traite des personnes est un crime contre l’humanité ». Ce sont les mots du pape François.
Pour comprendre ce que signifie la traite des êtres humains, il faut rencontrer les victimes, les écouter, les regarder dans les yeux, les embrasser.
Parler avec la femme qui a subi des violences, qui se retrouve privée de sa liberté, qui est continuellement surveillée par ses patrons, violée, menacée, achetée et vendue, et forcée au silence… et partager avec elle ses sentiments, ses émotions, ses peurs, est quelque chose d’indescriptible… c’est toucher du doigt le phénomène de la traite des personnes.
Dans mon expérience de missionnaire combonienne, j’ai rencontré beaucoup de frères et sœurs, dans des pays lointains et divers : au Soudan, en Éthiopie, en Ouganda. À mon retour en Italie, j’ai connu le phénomène migratoire, toutes ces personnes qui ont derrière elles des souffrances immenses, des détachements douloureux et le désir d’une vie meilleure. Beaucoup d’entre elles ont trouvé un travail, d’autres vivent encore dans la gêne et les difficultés.
Au Centre d’écoute de la Caritas de Vérone, où j’ai servi pendant vingt ans, j’ai connu beaucoup de femmes qui, étant venues en Italie chercher du travail pour soutenir leur famille, se sont retrouvées esclaves, contraintes à vendre leur corps. Ce sont de jeunes femmes, mères de famille, ce sont des mineures, et toutes demandaient une écoute, un accueil, un travail propre. Elles demandaient de la compréhension et des prières.
Je me souviens de Lucy, obligée d’avorter huit fois, elle était terrorisée parce qu’elle voyait du sang sortir du robinet d’eau et à qui pouvait-elle le dire ? À qui pouvait-elle se confier ?
Osagje : je l’ai rencontrée à l’hôpital, c’était grave, en dialyse… elle me disait : « Le froid de la nuit a pénétré dans mes os et dans tout mon corps, c’est pour cela que je suis tombée malade ». Elle est morte à 25 ans.
J’ai connu des femmes devenues folles, comme Édith, qui voyait des hommes méchants entrer par la fenêtre, et derrière les portes, et elle appelait à l’aide…
Gala répétait toujours : « Ma sœur, personne ne peut comprendre la honte et la peur qu’on éprouve quand on est nue dans la rue. Avant de sortir, je fais le signe de croix et quand je rentre aussi, et je dis merci à Dieu d’être rentrée vivante à la maison. »
Une chose m’a toujours surprise chez ces sœurs, malgré leur situation de souffrance et de confusion, elles portent toujours en elle le désir de vivre, la capacité d’enfanter, de protéger et de faire grandir la vie dans des situations de non-vie, la ténacité dans la lutte et l’espérance inébranlable d’un avenir meilleur, et le sacrifice d’elles-mêmes jusqu’à mourir pourvu que leurs proches soient épargnés.
Je me souviens de Norah qu’on voulait faire avorter, bien qu’on l’ait battue et bourrée de coups de pied, elle a protégé et sauvé son enfant.
Mercy, de Rome, a pu fuir dans le Nord parce qu’une fille lui a donné tout ce qu’elle avait gagné dans la nuit, pour payer le billet.
Depuis cinq ans, je suis à Palerme, en Sicile, terre où cohabitent pauvreté et solidarité, indifférence et accueil, individualisme et partage, mafia et soif de légalité.
Terre à haut risque d’exploitation pour les migrants, pour tous ceux qui arrivent : les demandeurs d’asile, les mineurs non accompagnés, les femmes, les victimes de la traite… tous, après un premier accueil, sont livrés à eux-mêmes.
D’après les données du Ministère de l’Intérieur, plus de 160.000 migrants ont débarqué sur l’île en 2014.
Le cas des femmes victimes de la traite est le plus évident : d’après les données de l’Organisation internationale des migrations (OIM), l’année 2014 a vu une augmentation de 335% du nombre des femmes nigérianes arrivées, soit 1454 contre 433 l’année précédente.
Parmi les indicateurs des victimes de la traite, notons : les rites vaudou, les voyages, les abus sexuels en Libye, l’arrivée en Italie avec le début de l’exploitation pour rembourser la dette.
Les filles ne demandent pas d’aide, elles vivent dans la peur et la honte en silence, un silence qui, pour nous, est assourdissant.
Les filles qui sont dans la rue ont récemment augmenté et elles sont de plus en plus jeunes. Il s’agit souvent de filles arrivées sur les bateaux. Il arrive aussi que, dans les Centres d’accueil, certains groupes harcèlent les plus jeunes filles pour les envoyer dans la rue. Nous les rencontrons en ville et elles nous racontent qu’elles viennent de Centres d’accueil de différents endroits de Sicile, mais quand nous leur demandons de nous montrer leur carte, elles nous répondent que c’est d’autres de leurs compatriotes qui pointent leur présence à leur place.
Quand nous allons chez elles avec l’Unità di Strada (un service de prévention, ndlr), elles nous accueillent, elles nous font la fête, nous prions ensemble, mais il suffit d’un petit bruit pour les inquiéter. Elles ont peur qu’on les voit. Les proxénètes les battent si elles ne rapportent pas d’argent.
Je me suis souvent demandé et je me demande encore : Que nous disent ces femmes-enfants, nues, dans nos rues, à toute heure ? Que nous disent-elles ? Quel nom donner aux clients qui sont nos grands-pères, nos maris, nos fiancés, nos fils, nos frères ?
Ces sœurs sont là, exposées aux « loups » et beaucoup d’entre elles boivent de l’alcool pour trouver le courage de rester dans la rue.
Que faisons-nous à Palerme ?
À la Caritas, des services spécifiques ont été lancés à l’attention des victimes de la traite. Des services tels que l’écoute, l’accompagnement psychologique, les consultations auprès d’un avocat-conseil, la collaboration avec des maisons d’accueil ouvertes sur le territoire régional et national.
Nous avons lancé une Unità di Strada, avec des sorties hebdomadaires pour rencontrer les filles et instaurer avec elles des rapports de confiance et d’amitié, et elles nous attendent surtout pour partager des moments de prière intense, avec des chants et de la danse, et nous recevons chaque fois de la reconnaissance et une confiance croissante.
Les filles que nous rencontrons sont africaines, la majeure partie venant du Nigeria. Une autre Unità di Strada rencontre des filles des pays européens, venant de Bulgarie et de Pologne mais surtout de Roumanie.
Nous avons écrit une lettre adressée aux clients, que nous distribuons aux groupes de jeunes, dans les paroisses et aux clients, quand nous en avons l’occasion.
L’USMI (Union des Supérieures majeures d’Italie) régionale, l’Association Communication et Culture des Filles de Saint Paul et la Caritas ont organisé, au siège de la Rai (Radio-télévision italienne) de Palerme, deux congrès sur la traite en Sicile, intitulés : « Les religieuses s’interrogent pour connaître, comprendre et agir » ; cela a été diffusé en mode continu et suivi par des milliers de personnes.
Les autres réalités présentes à Palerme sont la Coordination Anti-traite « Favour and Loveth », du nom de deux jeunes filles tuées il y a quelques années, et qui regroupe une trentaine d’associations et de mouvements.
Il y a le projet : « Tratta, la Scuola non Tratta » (Traite, l’école ne traite pas de cela), dont les acteurs sont les étudiants et enseignants de l’école « Alessandro Volta », du quartier Brancaccio.
La traite des êtres humains nous humilie. Elle blesse la dignité de toutes les personnes, défigure le visage humain d’enfants, d’hommes et de femmes victimes, et déchire des vies et des histoires de vie individuelle et familiale.
La traite scandalise, elle altère la dignité humaine et le visage humain de ceux qui font de la traite une source de profit et de plaisir.
Dans son Message pour la journée de la paix 2015, le pape François nous incite à ne pas « détourner le regard face aux souffrances de leurs frères et sœurs en humanité, privés de la liberté et de la dignité, mais à avoir le courage de toucher la chair souffrante du Christ, qui se rend visible à travers les innombrables visages de ceux que Lui-même appelle « ces plus petits de mes frères » (Mt 25, 40.45).
Merci au pape François, de notre part à toutes.
Traduction de Zenit, Constance Roques