Résumé des épisodes précédents* : Dans les débuts, l’Eglise parlait l’hébreu, puis elle s’est mise au grec, le latin viendra plus tard : à chaque étape, elle a souhaité que la Révélation soit comprise du plus grand nombre et elle a donc adopté la langue principale de l’époque. Ainsi les nouveaux convertis se préparant au baptême apprenaient que la vocation de l’Homme était…
la « théiosis ».
Théiosis… Un mot grec un peu oublié de nos jours, que l’on traduit par déification, ou divinisation, ou encore, union à Dieu, participation à la vie de Dieu… Etant donné que le mot est oublié, la signification qu’il recouvre peut sembler étrangère à la pensée quotidienne… Déification-divinisation, ne sont pas des mots de notre vocabulaire. L’Homme appelé à la … divinisation ? Étrange. N’est-ce pas au moyen de cette tentation que le serpent de Genèse 3,5 tentait d’influencer la liberté d’Awa/Ève ? (1) En lui disant « Vous serez comme des dieux. » Pour beaucoup de chrétiens aujourd’hui, la proposition de devenir comme des dieux est donc suspecte, elle rappelle trop les paroles du serpent trompeur. Pourtant il semblerait que la faute n’est pas de souhaiter « devenir comme des dieux », mais de vouloir devenir comme des dieux, en se passant de Dieu et de son alliance. Devenir des dieux sans Dieu ! Ce qui relève du délire, car comment prétendre s’emparer de ce titre en se passant de Celui qui seul peut le donner ? Devenir comme des dieux, par effraction ?
Toujours est-il que cette théiosis-déification, selon les Pères de l’Église et les Conciles, est l’unique vocation que le Créateur propose à l’Homme, pour de vrai, et avec son aide. Car les Pères avaient compris que le Créateur propose à tout homme ou femme : « faisons l’Homme », ensemble. C’est une alliance sans repentance et c’est toujours le projet pour chacun et chacune d’entre nous, sans distinction.
De nos jours, sans doute pour éviter des confusions, on n’emploie plus ce terme de déification-divinisation mais plutôt, « entrée dans la vie divine », « partage le banquet des noces du Royaume », « paradis » etc… ou encore « sanctification ». Saint Augustin qui ne parlait pas le grec se fait expliquer au V° siècle les termes qu’il retrouve chez tous les Pères grecs et découvrant la traduction s’exclame : « Je comprends ! Ce que les Père grecs appellent théiosis-déification, ce n’est autre que ce que nous, les latins, nous appelons « sanctification » !
Il est intéressant de noter que Jésus a employé ce terme sans sa langue. Ce mot était déjà en hébreu dans la Bible juive, car on voit Jésus le citer dans saint Jean : « N’est-il pas écrit dans votre Torah : « J’ai dit : vous êtes des dieux » ?
Alors qu’elle a appelé « des dieux » ceux à qui la Parole de Dieu a été adressée- et l’Ecriture ne peut être récusée- à celui que Dieu a consacré et envoyé dans le monde vous dites : tu blasphèmes, parce que j’ai dit « Je suis Fils de Dieu »…
Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas, mais si je les fais, quand bien même vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause de ces actes/œuvres, afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi, et moi dans le Père …. » (Jean 10, 34-38).
Il fait référence en particulier au Psaume 82, verset 6 : Moi j’ai dit : « Vous des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ?… »
Dans ce passage de Jean, sont abordés plusieurs thèmes importants pour notre enquête. On observera que dans la démarche de réflexion que le Christ propose, il y a la confrontation au réel qui est la méthode de notre enquête : Le Christ invite à s’appuyer sur des faits : les œuvres, les actes, c’est-à-dire, sur ce qui est vérifiable, plutôt que de s’appuyer sur de simples paroles. En effet, chacun peut raconter tout ce qu’il veut, alors que les faits, actes/œuvres, quant à eux, sont vérifiables… »Si je ne les fais pas, ne me croyez pas ! » On ne peut pas demander aux gens de croire aveuglement, jamais la Bible ne le fait. Les prophètes et le Christ invitent toujours à la vérification, l’analyse, la comparaison, l’usage normal de l’intelligence… « Souvenez-vous, Dieu n’a-t-il pas fait pour vous ou pour vos Pères, ceci ou cela ? »
Quand il leur reproche leur manque de foi-confiance, le Christ leur dit : « Hommes de peu… d’intelligence, lents à … comprendre ce qu’ont dit les prophètes ! »…
Et même quand, avec Matthieu, il sera question de croire sans avoir vu, on notera que Jésus n’a pas dit : Heureux ceux qui croiront sans réfléchir, (ou bêtement). D’ailleurs, chaque fois que l’Eglise a croisé cette attitude qui dévalue la raison humaine, elle a nommé cela « fidéisme » et elle a condamné cette croyance comme une déformation de l’enseignement des évangiles.
Revenons au passage de Jean cité : «… afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi, et moi dans le Père …. » Nous serons attentifs, à ce thème de l’Union, thème essentiel qui sera développé par certains papes et que les conciles vont travailler pour approfondir et mieux comprendre ce que signifie cette théiosis… (2)
La théiosis, le mot revient un grand nombre de fois dans tous les écrits des Pères, ainsi, l’évêque de Lyon, avant l’an 200, Saint Irénée (3) nous dit que cette théiosis-déification ne peut être que progressive pour les Hommes que nous sommes. Non pas que Dieu ne soit pas capable d’aller plus vite dans cette opération : « faisons l’Homme ! ». Mais parce que Dieu lui-même, choisit de respecter les étapes de création. Par respect pour sa création…
Ainsi, c’est Lui qui nous donne la première naissance, à nous d’aller, avec son aide, vers la nouvelle naissance, comme le Christ l’explique à Nacdimon’ (Nicodème). Cette seconde naissance est nécessaire pour entrer dans le Royaume des Cieux. (4)
C’est ainsi que l’Eglise envisage deux naissances pour l’Homme. La première, qui est biologique, nous fait sortir du sein de notre mère. Puis la seconde, qui est spirituelle, nous fait entrer dans le Royaume de Dieu. C’est une création nouvelle que Dieu opère, mais pas sans notre participation…
(A suivre…)
Brunor
*Retrouvez les épisodes précédents sur www.brunor.fr ou sur le site de Zénit http://www.zenit.org/fr/googlesearch?q=les%20indices%20pensables
(1) Awa en hébreu = vie, que l’on a correctement traduit Zoé=vie en grec mais simplement calqué en français : Eve, ce qui n’est pas une traduction, mais un décalque.
(2) En particulier le Pape Léon le Grand et le concile de Chalcédoine, 451
(3) Saint Irénée, évêque de Lyon, né en 120, mort martyr en 202.
(4) (Entretien avec Nicodème, Jean 3,3)