« Je remercie surtout celle qui est entrée dans la Vie en disant : « Tout est grâce. » J’ai essayé d’être au service de sa mission : donner sa petite voie évangélique aux hommes et aux femmes des cinq continents. Qu’elle m’accueille ! », disait Mgr Guy Gaucher. C’est le fr François-Marie Léthel ocd qui le cite, dans son homélie, à Lisieux, le 10 juillet 2014.
Il souligne notamment le lien entre Mgr Guy Gaucher, Thérèse de Lisieux et le pape Paul VI qui sera béatifié el 19 octobre, date de la déclaration de sainte Thérèse comme docteur de l’Eglise, en 1997.
Il conclut: « Maintenant, notre frère Guy est entré dans la vie, et il nous invite à lever les yeux vers le bonheur du Ciel. »
Voici le texte intégral de l’homélie du « frère » du P. Gaucher « dans l’Ordre du Carmel ».
Homélie
Chers Amis,
Notre frère Guy Gaucher nous réunit pour célébrer ensemble la Pâque de Jésus dans cette Basilique de sainte Thérèse de Lisieux. Il nous réunit comme ses frères, ses amis, et chacun d’entre nous a un lien personnel avec lui.
Il m’a été demandé de donner cette homélie, parce que je suis son frère dans l’Ordre du Carmel, dans notre Province de Paris, et particulièrement parce que nous sommes entrés le même jour au Noviciat, le 21 septembre 1967 en la fête de saint Matthieu. Le 2 octobre suivant nous avons reçu tous les deux l’habit du Carmel par les mains du P. Bernard Delalande, Provincial; puis, à la fin de l’année de noviciat, nous avons fait ensemble la Profession Religieuse le 3 octobre 1968, qui était alors la fête de sainte Thérèse de Lisieux. Ensuite, c’est toujours Thérèse qui nous a réunis avec tant de frères et soeurs, tant d’amis, croyants et non croyants, présents d’une manière ou d’une autre en ce moment.
Notre frère Guy avait lui-même choisi les lectures de l’Ecriture Sainte que nous venons d’entendre, et ce sont ces textes qui illuminent notre Célébration. Les mots de saint Paul dans la Lettre aux Romains nous disent bien le sens de toute sa vie et de sa mort: vivre pour Jésus, mourir pour Jésus, appartenir à Jésus Mort et Ressuscité, Unique Seigneur des morts e des vivants. Avec les mots de l’Evangile de Luc, Guy nous invite à revivre comme lui ce cheminement des deux Disciples d’Emmaüs, que Jésus Ressuscité et venu rejoindre dans la profondeur de leur tristesse, de leur désarroi intérieur, pour ranimer dans leurs coeurs la flamme de l’Espérance, de la Foi et de l’Amour, pour que leur tristesse se change en joie. Mais surtout, à travers son propre témoignage, Guy vient nous redire ces paroles de Jésus: « Ne fallait-il pas que le Christ souffrit sa Passion pour entrer dans sa Gloire? »
Chers Amis, écoutons Guy lui-même, s’adressant à nous tous à la fin de son Testament Spirituel:
« Je remercie tous ceux qui m’ont aimé, formé, aidé tout au long de ma vie : mes parents, déjà partis, ma famille et un grand nombre d’amis et d’amies fidèles dans toutes les vocations ecclésiales et dans le monde.
Je remercie surtout celle qui est entrée dans la Vie en disant : « Tout est grâce. »
J’ai essayé d’être au service de sa mission : donner sa petite voie évangélique aux hommes et aux femmes des cinq continents. Qu’elle m’accueille !
Je rends grâce pour son Doctorat, un des sommets de ma vie, ce 19 octobre 1997 à Rome, dimanche des Missions, onzième anniversaire de mon ordination épiscopale, grâce à Jean-Paul II.
Amen. Alléluia ! »
En ces quelques lignes, notre Frère Guy nous redit merveilleusement ce qui a été l’aspect le plus beau et le plus caractéristique de toute sa vie, et qui est son extraordinaire communion spirituelle avec la petite Thérèse.
Il nous le redit, de façon plus développée dans ses Simples notes personnelles:
« Ce 19 octobre 1997, Dimanche des Missions (onzième anniversaire de mon épiscopat), j’ai éprouvé que ma vie avait atteint son but, celui qu’on m’avait fixé, quasi à mon insu.
Thérèse, patronne des missions, de la France et du monde : la mission ayant été au cœur de ma vie de laïc (Cœur vaillant, JEC, patro, Centre Richelieu), de prêtre à Paris, de Carme en HLM à Orléans-La Source (une si belle période de ma vie, 16 ans), d’évêque (éphémère) à Meaux puis à Lisieux.
Je dois d’abord à Thérèse ce réalisme sans faille devant la faiblesse humaine, le péché, les blessures, les murs et les nuits qui balaient toute naïveté, toute générosité narcissique et s’affronte sérieusement à l’inouï des abaissements du Verbe Incarné vers « sa pauvre petite créature. »
Je peux dire que Thérèse m’a beaucoup appris de la vérité de l’Evangile, le rendant vivable, possible, parce que tout vient de Dieu, en bref parce que « Tout est grâce », d’où, en conséquence, l’action de grâces permanente.
Bien sûr, elle n’est pas la seule qui m’ait éclairé, mais elle m’a introduit, à partir du quotidien le plus banal dans l’univers de la sainteté qui est à la fois solitude et amour, souffrance et joie. »
Pour Guy, cette même date du 19 octobre symbolisait le lien profond entre son Ordination Episcopale et la proclamation de Thérèse comme Docteur de l’Eglise par Jean-Paul II. Rappelons que, exactement 11 ans plus tard, le 19 octobre 2008, Guy avait la joie de participer à la béatification des Parents de Thérèse, Louis et Zélie Martin, ici, à Lisieux. Et c’est dans l’Eglise du Ciel qu’il participera à la béatification de Paul VI, qui aura lieu à Rome précisément le 19 octobre prochain. Encore un beau signe, car Paul VI était profondément thérésien. Il avait été baptisé le 30 septembre 1897, le jour même de la mort de Thérèse. En déclarant pour la première fois deux femmes Docteur de l’Eglise, Thérèse d’Avila et Catherine de Sienne, il dépassait définitivement un obstacle que ses Prédécesseurs croyaient insurmontable, et il rouvrait le chemin du doctorat de la petite Thérèse. Mais surtout, au plus profond, Paul VI avait vécu comme Thérèse une très douloureuse nuit intérieure, qui était pour lui la nuit de l’Espérance.
Chers Amis, notre frère Guy nous ouvre ainsi son univers intérieur, cet « univers de la sainteté » où « Thérèse n’est pas la seule ». Il nous invite tous à entrer avec lui dans ce si grand Mystère de la Communion des Saints, dans cette merveilleuse « ronde des Saints » peinte par le bienheureux fra’ Angelico, où les saints du Ciel se donnent la main et nous donnent la main, pour nous guider ensemble, fraternellement, sur ce chemin de la sainteté que nous sommes tous appelés à parcourir. C’est là un des plus beaux enseignements du Concile Vatican II! Pour Guy, il y avait aussi les autres saints du Carmel, spécialement les deux autres Docteurs, Thérèse d’Avila et Jean de la Croix qui sont les « parents spirituels » de la petite Thérèse, et aussi le Vénérable Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, fondateur de l’Institut de Notre-Dame de Vie. Le P. Guy a beaucoup travaillé pour sa Cause de béatification et il a écrit sa biographie.
Mais dans cette « ronde des saints », notre Thérèse venait toujours à la première place, c’est toujours elle qui le tenait par la main (comme Jeanne d’Arc pour Charles Péguy). Guy n’a cessé de travailler pour elle, mais plus encore de vivre avec elle, d’aimer avec elle et de souffrir avec elle.
Thérèse avait conduit Guy au Carmel. Aussitôt après son noviciat, dès 1968, il éta
it appelé à travailler pour l’Edition critique de ses Oeuvres, avec toute une équipe, ce qui devait aboutir à la grande Edition du Centenaire en 1992.
Mais surtout, notre Frère Guy a vécu pleinement la spiritualité de Thérèse dans sa dimension la plus intérieure qui est aussi la plus dramatique, dans toute la profondeur de la Passion et de l’Agonie de Jésus, de l’abandon de Jésus sur la Croix. Avec Thérèse, il nous redit les paroles de Jésus entendues dans l’Evangile: « Ne fallait-il pas que le Christ souffrit sa Passion pour entrer dans sa Gloire? »
En 1972, il avait publié son beau livre sur la Passion de Thérèse de Lisieux (un livre qui m’avait personnellement beaucoup touché dans ces années si difficiles de l’après 68). Pour Guy, ce livre devait avoir une signification mystérieuse, prophétique, comme l’annonce de cette période où il revivrait personnellement la Passion de Thérèse dans la maladie et dans l’épreuve intérieure.
La période des années lumineuses et paisibles de vie fraternelle et de service dans notre Province de Paris allait prendre fin en 1986 avec sa nomination épiscopale, ce « martyre de l’Episcopat » dont il nous parle dans ses notes personnelles:
Je savais, en 1986, qu’accepter l’épiscopat pouvait mener au martyre et (sans jouer au martyr) j’ai commencé à l’expérimenter à Meaux sur un chemin de solitude inattendu, dans la totale impuissance et la nuit la plus noire.
Je ne regrette rien de ces trois ans. Ils ont été une grande grâce et une étape décisive de ma vie. Ayant vécu cela, que pouvait-il m’arriver de pire ?
Passer par ce tunnel qui paraît interminable change la vie. Celui qui ne l’a pas vécu, que sait-il ? (Je mentionne la valeur inestimable des amitiés fidèles, médicales et autres.)
Maintenant je dis : « Toute vocation est une mission » en ajoutant : « toute mission est une passion ».
Après ces trois années de passion, soutenu par de nombreux frères et amis, particulièrement par les membres de l’Institut de Notre-Dame de Vie qui l’avaient accueilli, Guy allait connaître des années de résurrection, d’une très grande fécondité ecclésiale, ici à Lisieux, comme « l’évêque de Thérèse », ce qui devait culminer avec le Doctorat en 1997. Devenu Evêque émérite en 2005, il s’est retiré à la résidence de Quinsan, à Venasque, près de Notre-Dame de Vie, et c’est là qu’il a rédigé son dernier livre, sa grande biographie de Thérèse, publiée en 2010.
Ensuite, il a retrouvé Thérèse près de la Croix, dans ces quatre dernières années qui ont été si douloureuses – terriblement douloureuses – mais toujours soutenu et accompagné par tant d’amis. C’était la dernière étape de son chemin de sainteté, toujours vécu avec Thérèse qui avait dit le jour même de sa mort: « Je ne me repens pas de m’être livrée à l’amour… Jamais je n’aurais cru qu’il était possible de tant souffrir! Jamais! Jamais! Je ne puis m’expliquer cela que par les désirs ardents que j’ai eus de sauver les âmes ». Juste avant de mourir, Thérèse avait fixé son regard sur Marie, la Vierge du sourire, car, selon la belle expression du P. Marie-Eugène, « la lumière de la Vierge ne brille jamais plus douce que dans les ténèbres ». Elle était présente près de notre frère Guy, elle est près de nous en ce moment où nous nous préparons à la célébrer comme la Vierge du Carmel, le 16 juillet.
Maintenant, notre frère Guy est entré dans la vie, et il nous invite à lever les yeux vers le bonheur du Ciel. Ecoutons-le finalement nous parler de ce mystérieux passage de la mort à la vie éternelle:
Ce sera un passage par une porte étroite, une pâque, une naissance.
Car je verrai ce que je crois aujourd’hui (trop mal) et ce sera indicible. De la foi à la vision. Enfin, le dévoilement de ce qui était caché, non la lumière éphémère de la Transfiguration mais la possibilité de planter définitivement sa tente au sommet de la montagne avec Moïse, Elie, Pierre, Jacques, Jean et une foule immense qu’on ne peut dénombrer (…)
Jésus… il fallait bien arriver à Lui. Tout converge vers Lui : la terre et toutes ses richesses que je quitte (contrairement à Bernanos, je peux dire que je l’ai beaucoup aimée), l’immense Histoire des hommes.
Jésus ressuscité, Alpha et Omega, tu es la « Porte ». Cette vie laissée prépare celle qui vient, la tienne, celle du Père et de l’Esprit-Saint, la Vie éternelle que tu nous a promise.
Combien de fois ai-je cité « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie » de Thérèse (LT 244). Je devrai bientôt redire cette phrase de lumière « pour de vrai », tout autrement et plus difficilement.
Une amie m’a souvent redit, lorsque nous évoquions les indicibles joies à venir : « Le meilleur est devant nous ».
Que ce départ soit bénéfique à tous ceux et toutes celles que je laisse (provisoirement). Ce sera la meilleure manière de leur demander pardon pour me offenses, volontaires ou non, et pour les remercier d’avoir été ce qu’ils sont (je ne cite aucun nom, il y a en a beaucoup).
A Dieu ! Priez pour moi. Nous allons tous vers les retrouvailles éternelles, préparées par l’Amour miséricordieux trinitaire.