Le pape François affirme la « racine juive » du christianisme, dans un entretien avec Henrique Cymerman, dans les colonnes au quotidien espagnol édité à Barcelone La Vanguardia, vendredi 13 juin 2014.
Le journaliste a été reçu par le pape lundi dernier, 9 juin, au Vatican, au lendemain de la prière pour la paix dans les Jardins du Vatican. Le pape a répondu à une vingtaine de questions, de la persécution des chrétiens à l’antisémitisme en passant par la retraite des papes et la situation en Espagne. Le journaliste a lui-même travaillé pour cette prière pour la paix.
« Il y a un an vous m’avez dit que “dans tout chrétien, il y a un juif” », rappelle le journaliste, et le pape s’explique : « Il serait peut-être plus correct de dire : « vous ne pouvez pas vivre le christianisme, vous ne pouvez pas être un vrai chrétien sans reconnaître votre racine juive ». Je ne parle pas de « juif » dans le sens de sémitique de race mais au sens religieux. Je crois que le dialogue interreligieux doit se plonger là-dedans, dans la racine juive du christianisme, et dans la floraison chrétienne du judaïsme. Je comprends que c’est un défi, une patate chaude, mais on peut le faire en tant que frères. Je prie tous les jours l’office divin avec les psaumes de David. Nous prions les 150 psaumes sur une semaine. Ma prière est juive, et j’ai ensuite l’eucharistie qui est chrétienne. »
« Comment voyez-vous l’antisémitisme ? », demande Henrique Cymerman. Le pape répond : « Je ne saurais pas expliquer pourquoi c’est comme cela, mais je crois qu’il est très proche, en général, et sans qu’il y ait de règle fixe, des droites. L’antisémitisme habituellement fait mieux son nid dans les courants politiques de droite que de gauche, non ? Et il continue encore. Y compris chez qui nie l’Holocauste. Une folie ! »
Pour ce qui est de l’ouverture des Archives du Vatican pour la période de l’Holocauste, le pape commente : « Elles apporteront une grande lumière. »
A la question de savoir si le pape est préoccupé par ce qu’elles pourront révéler, celui-ci répond : « A ce sujet, ce qui me préoccupe, c’est la figure de Pie XII, qui était pape pendant la Seconde guerre mondiale. Ce pauvre Pie XII, on lui a tiré dessus de toutes les manières. Mais il faut rappeler qu’auparavant, on le voyait comme un grand défenseur des juifs. Il en a caché un grand nombre dans les couvents de Rome et d’autres villes d’Italie, et aussi dans la résidence d’été de Castelgandolfo. Là, dans la chambre du pape, dans son propre lit, 42 bébés sont nés, enfants de juifs et des autres persécutés qui s’étaient réfugiés là. Cela ne veut pas dire que Pie XII n’ait pas commis d’erreurs – moi-même j’en fais beaucoup – mais il faut lire son rôle selon le contexte de l’époque. Etait-il meilleur, par exemple qu’il ne parle pas, afin qu’ils ne tuent pas plus de juifs, ou qu’il le fasse ? Je veux dire aussi que parfois, cela me donne un peu d’urticaire existentiel lorsque je vois que tout le monde s’en prend à l’Eglise et à Pie XII, et que l’on oublie les grandes puissances. Savez-vous qu’elles connaissaient parfaitement le réseau ferré des nazis conduisant les juifs aux camps de concentration ? Ils avaient les photos. Mais ils n’ont pas bombardé les rails. Pourquoi ? Ce serait bien qu’elles parlent un peu de cela. »
Le pape insiste aussi sur l’importance pour un chrétien de faire le pèlerinage de Terre Sainte : « Pour la révélation. Pour nous, tout a commencé là. C’est comme « le ciel sur la terre », un avant-goût de ce qui nous attend dans l’au-delà, dans la Jérusalem céleste. »