"On ne parle de la foi qu'humblement"

Par Mgr Albert Rouet

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« On ne parle de la foi qu’humblement. C’est beaucoup plus elle qui nous saisit que nous qui la fabriquons », souligne Mgr Rouet.

Mgr Albert Rouet, archevêque émérite de Poitiers, vient de publier l’ouvrage L’échelle de la foi : simple propos sur la foi, aux éditions franciscaines.

Il explique que la foi n’est pas « un objet dont on parle » mais d’abord « une source qui pousse à parler » : « Il s’agit de parler « en croyant », en habitant la foi », sans « tonnerres de mots ni déluges de piété malavisée ». 

« La foi s’exprime à partir de son mystère, avec l’humilité de celui qui découvre le don qu’il reçoit », ajoute-t-il. En outre, « parler de la foi reste un discours toujours inachevé » car « la foi va d’un mystère à un mystère : du Dieu qui se communique à l’homme, à cet homme qui reçoit la confiance de Dieu en des profondeurs de son être qui lui échappent ».

Mgr Rouet s’inspire aussi des Pères de l’Église, qui « ont dit l’Évangile dans leur époque. Ce travail n’est jamais terminé. Il est aujourd’hui encore à repenser. On ne peut l’entreprendre, comme eux, qu’en recevant des hommes leurs questions, leurs désirs, leurs faiblesses et leur espérance ».

Zenit – Aujourd’hui, archevêque émérite, êtes-vous délivré de tout poids ?

Mgr Albert Rouet – Comment être délivré de tout poids ? A commencer par celui de vivre… D’ailleurs un « poids » n’est pas forcément une mauvaise chose. Savez-vous qu’une locomotive « haut-le-pied » roule moins vite que lorsqu’elle tracte des wagons ? C’est une question de stabilité. Le poids donne une assise et il aide à se tenir debout. Bien sûr, il n’en faut pas trop. Bon ! ce n’est pas parce que je n’ai plus la charge du gouvernement d’un diocèse, que disparaissent le souci d’annoncer l’Évangile, l’attention à la vie des hommes, la préoccupation de la route des Églises… Il reste aussi l’aide que je peux apporter. On est évêque toute sa vie et, si la mission change de forme, elle ne cesse pas. Elle s’exprime par des retraites, des sessions, des rencontres ou des écrits… Tant que durera la santé.

Pensez-vous que l’on parle beaucoup « sur » la foi mais peu d’elle-même ?

La confiance qui nous attache à un autre, surtout à Dieu, place devant le mystère de l’autre, c’est-à-dire devant cette réalité qu’on ne peut faire le tour de cet autre, s’en emparer et le posséder comme un objet. Par définition, l’autre m’échappe. Je n’en découvre que l’aspect qu’il donne à comprendre, que par la révélation qu’il fait de lui-même.

D’ailleurs, pour une grande part, j’échappe également à moi-même. La fameuse phrase d’Auguste dans le « Cinna » de Corneille « Je suis maître de moi comme de l’univers » est une illusion. On ne peut être maître en soi que de la partie qui se livre, pas de la part qui saisit. On avance dans la connaissance de soi, c’est utile. Mais cette connaissance ne sera jamais une carte achevée.

Pour ces deux raisons, en considérant le but de la visée et son origine, parler de la foi reste un discours toujours inachevé. Parler « sur » peut donner l’impression de tout savoir, d’avoir fait le tour de la question à partir d’un point de vue prétendument supérieur. Le danger guette alors d’en faire une idéologie, quasiment résolue. Il ne resterait que des problèmes psychologique – celui d’intensifier sa confiance – ou spirituel – celui de résister aux doutes. Or, en vérité, la foi va d’un mystère à un mystère : du Dieu qui se communique à l’homme, à cet homme qui reçoit la confiance de Dieu en des profondeurs de son être qui lui échappent. Parler de la foi doit, à mon sens, tenir compte de ces dépassements.

On ne parle de la foi qu’humblement. C’est beaucoup plus elle qui nous saisit que nous qui la fabriquons. Nous répondons de notre mieux à cette invitation de Dieu de marcher avec lui. Plus nous découvrons quelque chose de Dieu, plus on perçoit qu’il est encore plus loin et plus beau. Et, au fur et à mesure que la foi nous pénètre, elle nous transforme et crée en nous de la jeunesse et de l’espérance. Voilà, me semble-t-il, ce qu’il faut tenter d’évoquer.

Pourquoi citer les Pères de l’Église ?

Parce que je les aime et les lis quotidiennement ! Alors pourquoi cette affection ? Les Pères ont reçu la nouveauté de la foi chrétienne avec l’Évangile. Pour annoncer le Royaume et le rendre compréhensible à leurs contemporains, ils se sont affrontés aux cultures de ces hommes : grecque, latine, syriaque, arabe, géorgienne, égyptienne… Chaque culture, dans cette diversité, fournissait des instruments de parole déjà construits. Les uns facilitaient la compréhension du message chrétien (qui était de culture juive à l’origine), d’autres exigeaient une traduction, c’est-à-dire une interprétation. D’autres, enfin, s’opposaient à l’Évangile. Les Pères se sont donc trouvés devant un énorme travail. Ils étaient pasteurs et apôtres, partant des questions et de la vie des gens, et devant parler du Christ à des personnes habituées à d’autres approches de Dieu. Les Pères ont dit l’Évangile dans leur époque. Ce travail n’est jamais terminé. Il est aujourd’hui encore à repenser. On ne peut l’entreprendre, comme eux, qu’en recevant des hommes leurs questions, leurs désirs, leurs faiblesses et leur espérance.

En outre, malgré l’uniformité de l’Empire, les cultures demeuraient diverses, liées à une terre. L’unité gréco-latine est plus une construction de la Renaissance que la réalité concrète de la vie des fidèles d’un évêché du désert ! Cette diversité fait sens aujourd’hui afin de trouver un principe de communion. Avez-vous remarqué que le Credo n’est pas un résumé de la foi, mais un « symbole de la foi » : il est le point où se croisent des cultures dont aucune n’a l’exclusivité de la parole de foi.

Les Pères sont de très grands modèles.

La difficulté ne réside-t-elle pas dans le fait que, comme pour l’amour, on parle toujours mal de la foi et qu’il faut la vivre ?

Vous avez raison. J’ai un peu répondu déjà à cette question. J’ajouterai ceci : l’amour – et la foi – ne sont pas d’abord des objets dont on parle. On n’en parle que par « fragments » (Roland Barthes). Ils sont les sources qui poussent à parler. Alors, quel que soit le sujet de la conversation, il s’agit de se tenir dans l’amour et de parler amoureusement. Le ton de la voix dit souvent plus que les mots employés. Dans s. Jean (10), les brebis n’écoutent pas un discours, mais une « voix » : un style, un ton…

Il en est de même pour la foi. Il s’agit de parler « en croyant », en habitant la foi. Ceci ne signifie ni de forcer le ton, ni de parler de Dieu à propos de tout et de n’importe quoi ! La foi ne se justifie pas par des tonnerres de mots ni par des déluges de piété malavisée. La foi s’exprime à partir de son mystère, avec l’humilité de celui qui découvre le don qu’il reçoit. Elle est, en ce sens, du domaine de la confidence – ce qui rejoint la confiance.

La foi vécue en profondeur débouche-t-elle sur l’amour des autres hommes, sur la construction d’un monde nouveau ?

Bien sûr ! Puisque la foi unit à Dieu, elle fait participer au dessein de Dieu sur le monde. Elle ne façonne pas seulement de belles âmes, elle aspire à un monde nouveau. Le christianisme est une religion de l’incarnation, parce que le Fils de Dieu venu sur terre est également le Créateur. Les écrits de s. Paul sont très clairs sur ce point. La vie spirituelle ne s’éva
de pas de ce monde. Elle y voit l’Esprit qui le façonne et le conduit vers le Royaume. Par conséquent, elle plonge dans l’histoire afin de recueillir les germes du Royaume et de les faire croître. Aux Galates, Paul explique que ce qui compte, c’est « la foi agissant par la charité ». La foi donne une impulsion. Il lui faut des mains pour la réaliser. En ce sens, la foi est très large, elle s’en va au-delà des territoires religieux. Dans ce travail, elle trouve sa crédibilité. En tout respect de la liberté des autres qui, eux aussi, œuvrent pour ce Royaume. Je dirais que la foi sait où va l’histoire, vers le Royaume, et ce qui la fait réellement avancer : la justice, la paix, la dignité de l’homme.

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Christian Redier

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