Résumé : Depuis l’Antiquité deux grands « fleuves » antagonistes irriguent toute la pensée de l’humanité : Matérialisme et Idéalisme. S’il n’y avait que ces deux-là, il faudrait choisir entre ces deux affirmations contradictoires : soit la matière sublimée, soit au contraire, la matière détestée. Heureusement pour la pensée, une troisième voie existe…
-La matière sublimée, c’est celle des matérialistes héritiers de Parménide, de l’atomisme de Démocrite et du stoïcisme de Zénon (1). Elle est éternelle et sait tout faire, soit par hasard, c’est-à-dire sans aucune intelligence, soit au contraire, par une intelligence géniale, qui est à l’intérieur des atomes, eux-mêmes doués de vie cachée.
– De l’autre côté, la matière détestée, car « mauvaise », c’est celle des idéalistes dans la lignée de l’Hindouisme, de l’orphisme, du platonisme et néoplatonisme, des gnoses, des différentes manichéismes, de l’idéalisme allemand…
-La troisième voie, celle qui a été ouverte par les prophètes hébreux (et par Aristote) (2), affirme que la matière n’est pas l’Être Absolu, mais elle n’est pas détestée, car elle n’a rien de mauvais, elle est dite « bonne » parce qu’elle est créée intentionnellement et que le Créateur se sert de cette « matière », de cette poussière du sol qui n’est pas mauvaise, pour faire l’être humain (ha-adam) (3).
En langage d’aujourd’hui nous pourrions traduire: Il se sert de ces molécules communes à tous les êtres vivants, pour faire l’être humain.
Il est important de bien noter que dans la Bible, l’être humain est fait de poussière du sol AVANT toute action de péché ou de chute. Le récit du péché biblique n’arrive qu’après.
Au contraire, selon la pensée idéaliste, (platonicienne ou gnostique), c’est à cause d’une chute que l’Homme et la Femme sont mélangés à la matière, à la suite d’une faute. Pour ces courants idéalistes, venus de la Grèce antique, dont Platon est sans doute le plus célèbre porte-parole, l’Homme et la Femme ne sont pas d’abord créés avec de la matière.
La matière est une conséquence de la chute, elle est seconde.
Car selon cet antique paganisme, l’Homme et la Femme sont tombés dans cette matière (appelée également fange) qui est devenue leur corps et qui n’est autre que la « prison de leur âme ». Un jeu de mot platonicien bien connu soma-séma, est là pour rappeler cette vision négative du « corps ». Soma-mon corps est la prison-séma de mon âme ! Elle en est même le « tombeau ». Pas de chance.
Selon cette pensée, l’Homme a d’abord été créé « Homme spirituel », sans matière, donc ni homme ni femme. La différenciation Homme/Femme est le résultat de cette chute. On retrouve cet enseignement chez Philon d’Alexandrie (4) qui, bien entendu, était platonicien.
Alors que pour la pensée Biblique, on observe exactement le contraire : l’Homme et la Femme sont intentionnellement créés avec de matière (créée, elle aussi (5)) considérée comme « bonne ». C’est seulement par la suite qu’interviendra le récit de l’arbre et du serpent…
On voit bien un conflit d’interprétation entre ces deux courants de pensée résolument antagonistes sur ce point et qui posent des regards tout à fait contradictoires sur le « corps » et la matière, et donc sur l’Homme. (Et quand je dis Homme, j’embrasse toutes les femmes comme disait Sacha Guitry.)
Nous avons le choix entre trois grandes visions du monde :
-Soit nous préférons choisir le grand courant idéaliste, platonicien et gnostique qui dit :
le mélange de l’âme avec la matière est une punition, une déchéance, la conséquence d’une tragédie, d’une faute et d’une chute. Alors la création physique s’explique par cette chute, elle est donc mauvaise et détestable.
-Soit c’est le contraire : la Création matérielle est intentionnelle de la part d’un Dieu bienveillant, à partir de rien (ex nihilo). Et non pas à partir d’une matière préexistante, un chaos éternel. Cette Création est une montée, une montée progressive, par étapes, comme l’enseigne la Bible. Et non pas d’un seul coup comme dans certains mythes archaïques. La Bible distingue symboliquement six étapes progressives, l’Homme et la Femme sont créés à la fin et non pas au début comme chez Platon et dans les mythes gnostiques.
-Soit il nous reste le matérialisme athée dont nous reparlerons, qui enseigne comment les atomes éternels s’organisent tous seuls pour construire, au bout de 13,81 milliards d’années, des êtres vivants et pensants.
Mais l’intérêt de cette enquête consiste dans notre capacité récente à pouvoir confronter au réel ces 3 propositions. Ce que nous ferons dans la mesure du possible… afin de voir si l’une ou l’autre tient la route, face au réel.
A suivre…
NOTES
(1) Nous en parlerons ultérieurement
(2) Aristote : voir la précédente chronique.
(3) Nous avons vu que le Créateur donne à l’Homme un « souffle », (pneuma, spiritus, esprit) que ne reçoivent pas les autres êtres animés, tous appelés « âmes vivantes » dans la Bible Hébraïque.
(4) Philon d’Alexandrie (vers-20, -45 ) Contemporain de Jésus et de saint Paul. Juif de la diaspora d’Alexandrie, devenu Philosophe Platonicien.
(5) Il ne faut pas confondre le fameux tohu wabohu de la Genèse, avec le chaos primordial des mythes. Tohu et bohu signifient en hébreu : « un désert et un vide ».