Le pape François raconte pourquoi il a voulu la prière pour la paix entre Israéliens et Palestiniens dans entretien avec Henrique Cymerman, dans les colonnes au quotidien espagnol édité à Barcelone La Vanguardia, vendredi 13 juin 2014. L’oeil du cyclone n’est pas, pour le pape celui qu’on croit.
Le journaliste a été reçu par le pape lundi dernier, 9 juin, au Vatican, au lendemain de la prière pour la paix dans les Jardins du Vatican. Le pape a répondu à une vingtaine de questions, de la persécution des chrétiens à l’antisémitisme en passant par la retraite des papes et la situation en Espagne.
Le journaliste a lui-même travaillé pour cette prière pour la paix et le pape rend hommage au rôle de Cymerman : « Vous savez que cela n’a pas été facile, on vous doit une bonne partie de cette réalisation. Je sentais que c’était quelque chose qui nous échappait. Ici, au Vatican, 99% disaient que l’on n’allait pas y arriver. Et ensuite, ce 1% a augmenté. Je sentais que l’on était poussé à une chose qui n’était jamais arrivée, et qui a pris corps peu à peu. Ce n’était en rien un acte politique – je l’ai senti dès le début – mais un acte religieux : ouvrir une fenêtre sur le monde. »
L’oeil du cyclone
Mais, demande le journaliste, pourquoi se mettre dans l’œil du cyclone du Moyen-Orient ? « Le vrai œil du cyclone, cela a été, du fait de l’enthousiasme, la Journée mondiale de la Jeunesse à Rio de Janeiro l’an dernier ! J’ai décidé d’aller en Terre-Sainte parce que le président Peres m’avait invité. Je savais que son mandat s’achevait ce printemps, et d’une certaine manière cela m’a obligé à y aller avant. Son invitation a accéléré le voyage. »
A propos de l’accolade avec le rabbin Skorka et le professeru musulmans Abboud au Mur des Lamentations – Mur Occidental du Temple hérodien de Jérusalem, le pape ajoute : « Oui, au Mur il y avait aussi mon ami le professeur Omar Abboud, président de l’Institut du Dialogue interreligieux de Buenos Aires. J’ai voulu l’inviter. C’est un homme très religieux, père de deux enfants. Le rabbin Skorka aussi est mon ami. Et je les aime énormément tous les deux. Et j’ai voulu que cette amitié de nous trois soit un témoignage visible. »
Henrique Cymerman a expliqué comment il a été mis en contact avec le pape et comment l’idée a fait son chemin, à la journaliste argentine Elisabetta Piqué, biographe du pape, dans La Nacion, juste après l’invitation lancée par le pape à Bethléem. Un entretien qui jette une lumière rétrospective sur la rencontre du 8 juin dans les Jardins du Vatican.
Journaliste israélien de « Canal 2 », et correspondant de différents media européens, Cymerman entretien de bonnes relations avec Palestiniens et Israéliens. Il constate la « fatigue » des deux côtés face à ce qu’il appelle « l’échec des négociations » : « il y a une atmosphère très destructrice ». Il a été l’un des promoteurs de la prière pour la paix et depuis des mois, il entretient un dialogue avec le pape François
Une rencontre décisive
Né au Portugal, de mère espagnole et de père polonais, il a fait sa “montée” en Israël à l’âge de 16 ans. En avril 2013, il a été invité à Buenos Aires, pour donner une conférence sur le Moyen Orient, devant quelque 700 personnes, dont le rabbin Abraham Skorka, ami du cardinal Jorge Mario Bergoglio, qui lui suggéra d’aller rencontrer le pape au Vatican.
Il y a un an exactement, le 13 juin 2013, il a été reçu par le pape François, avec Skorka, à Sainte-Marthe. Dans un entretien privé, le pape lui demanda à propos du conflit israélo-palestinien: « Que puis-je faire pour aider ? » L’entretien dura cinq heures, et il se poursuivit par des échanges téléphoniques pour par courriel.
Il a confié à La Nacion à propos de la rencontre de prière des présidents Peres et Abbas au Vatican : « Il y a beaucoup de gens qui ont travaillé à cela. Ce qu’il y a d’extraordinaire chez le pape c’est qu’il a de l’empathie pour les deux côtés, pour la souffrance des deux. Et quand il m’a demandé comment aider, je lui ai dit : « Venez au Moyen Orient, votre seule venue va apporter un message : vous êtes aujourd’hui le numéro un et vous avez un pouvoir moral ». De là aussi l’idée d’une prière des deux chefs d’Etat, avec la participation de son ami le rabbin argentin Skorka et du leader musulman Omar Abboud. C’était un rêve du pape. Et il a donné des instructions très claires, dans les moindres détails (…). Ce qui est aussi extraordinaire, c’est qu’il ne s’arrête pas. Si cela ne marche pas comme cela, il trouve une alternative. »
Le réalisme de Bergoglio
Le journaliste israélien, souligne aussi le réalisme du pape : « Il sait que cette prière n’allait pas déboucher sur un accord de paix le lendemain. Mais il croit dans les gestes. Il comprend qu’il faut changer l’atmosphère, une atmosphère très destructrice, du fait de l’échec des négociations. On est fatigué depuis des années. Les leaders sont fatigués, les opinions publiques ne croient plus que l’on puisse arriver à un accord avec celui d’en-face. Et ce que François fait, par sa modestie, par son humilité, c’est de dire : « Messieurs, on va essayer de faire un petit pas. » Mais un petit pas dans la bonne direction, en cherchant à changer les mentalités, les esprits, pour que les gens recommencent à croire dans la paix. »
« François a la tête au ciel et les pieds sur terre, ajoute Cymerman (…). Il croit en ce qu’il fait, il croit que c’est un geste dans une direction positive et il pense qu’il peut apporter sa contribution, et que ce ne sera pas facile. Il se met dans une position qui n’est pas facile, mais c’est un vaillant, il avance, avec sa vérité. »