Né au sein de la Communauté juive française d’Algérie, Emile Moatti est Délégué général à Jérusalem de la Fraternité d’Abraham (juifs, chrétiens et musulmans – France), Association inter-religieuse qui fut créée à Paris pour développer la connaissance réciproque des traditions abrahamiques juive, chrétienne et musulmane.
Elle fut la conséquence directe de la présentation, à Rome, de la Déclaration « Nostra Aetate », qui fit partie des conclusions du Concile Vatican II en 1965. Ses fondateurs étaient l’écrivain et traducteur André Chouraqui, le Révérend Père Michel Riquet, le Recteur de la Grande Mosquée de Paris Si Hamza Boubakeur, et l’homme de lettres Jacques Nantet, spécialiste du Liban.
Emile Moatti a été co-auteur de l’ouvrage « Abraham », avec Pierre Rocalve, ancien ambassadeur de France dans les pays arabes, et le Professeur Muhammad Hamidullah, chercheur associé du CNRS et traducteur du Coran (éd. Centurion – Bayard, épuisé).
Il confie aux lecteurs de Zenit sa réaction à la prière historique pour la Paix qui a eu lieu dans les Jardins du Vatican, dimanche dernier, 8 juin.
Zenit – M. Moatti, vous avez appelé à accompagner la rencontre de la paix dans les Jardins du Vatican par la prière, et vous l’avez suivie en direct. Quelle est votre première réaction?
La réunion de prière pour le pardon et la réconciliation organisée dans les jardins du Vatican, à Rome, par le Pape François, pour faciliter la reprise des pourparlers de Paix au Moyen Orient, avec la participation des Présidents de l’Etat d’Israël Shimon Peres, et de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas, a suscité en moi mille pensées positives qui m’ont tenu éveillé une bonne partie de la nuit…
La presse italienne parle d’événement historique: quel impact peut-on attendre de l’initiative du pape François?
Je trouve que le pape François a été génial et inspiré, car il a su témoigner de la primauté de l’Esprit Saint (Esprit « de sainteté » pour les juifs) et du recours à Dieu seul, pour réunifier le monde dans la Paix (celle du Ciel), avant toute démarche politique ou diplomatique par les Nations. On peut s’attendre maintenant à un retour en force, dans les consciences, du Dieu-Un de l’humanité tout entière, le Dieu révélé à Abraham – lequel est reconnu déjà comme le « Père des croyants » authentiques juifs, chrétiens et aussi musulmans -, le Dieu qui veut le bonheur de tous les êtres humains.
Mais rien n’est acquis: comment continuer?
Dieu a montré le chemin pour y parvenir: se conformer à sa volonté, dans le respect des valeurs éthiques universelles. Celles-ci devraient donc faire l’objet d’une étude conjointe permanente entre croyants. D’ailleurs c’était hier le Dimanche de la Pentecôte chrétienne, et je crois que l’esprit de cette fête était bien là, perçu dans toutes les langues de l’humanité, car le spectacle des jardins du Vatican parlait de lui-même.
Quel serait le portrait-robot du croyant prêt à cette démarche?
A mon avis, il y a au moins deux critères sûrs pour reconnaître les vrais croyants: ce sont les hommes et femmes de bonne volonté capables de vouloir le bonheur d’autrui, quel qu’il soit, avant le leur, dans un sentiment de joie fraternelle partagée. Et ceux qui restent ouverts à un dialogue sincère avec quiconque, afin de pouvoir communier autour des mêmes valeurs.
L’initiative du pape François s’inscrit dans le sillage des choix de ses prédécesseurs ?
Tout à fait. Et les relations inter-religieuses ont pris une importance décisive dans le monde entier depuis que l’Eglise catholique, et notamment les Papes Jean XXIII, Jean-Paul II, Benoît XVI et maintenant François, ont compris l’intérêt indispensable des rencontres confiantes et des dialogues entre croyants, pour l’avenir de l’humanité. Ceci, malgré les imperfections dues à leur caractère novateur et aux réticences des gens frileux qui ont encore besoin de dogmes et de certitudes partagées pour être rassurés, bien que Jean-Paul II ait dit à tous : « N’ayez pas peur » !
Le pape Jean XXIII a aussi inspiré votre engagement ?
Oui, au départ. En effet, ingénieur de l’Ecole Polytechnique, je m’étais intéressé à la spiritualité depuis le début de l’année 1961, date de mon retour d’une mission technique de 15 mois en Union Soviétique, où mon épouse avait pu m’accompagner. J’avais été sur place témoin du durcissement de la Guerre froide, entraînant la course aux armements et à l’espace qui conduisit le monde au bord du gouffre de la troisième guerre mondiale, laquelle s’annonçait nucléaire ! Il y eut en effet la crise de la construction du mur de Berlin à l’été 1961, suivie par celle des fusées soviétiques nucléaires installées à Cuba à la demande de Fidel Castro, mais heureusement retirées suite à l’ultimatum américain. Nous avons été sauvés grâce au bon sens et à la prise de conscience des leaders soviétique Nicolas Khouchtchev, et américain John Kennedy, aidés en sous-main par le bon Pape Jean XXIII, qui joua un rôle important, mal connu à l’époque.
De plus, Jean XXIII avait décidé dès le début de son pontificat, en 1959, de convoquer le Concile Vatican II (1962 – 65) pour rénover l’Eglise catholique, y compris dans ses rapports avec le judaïsme, afin de lui permettre de jouer son rôle dans le monde moderne. Il rédigea un véritable testament spirituel sous la forme de l’Encyclique « Pacem in Terris » qu’il publia deux mois avant son décès, le 3 juin 1963. Et il l’adressa non seulement au monde catholique, mais aussi à tous les hommes de bonne volonté du monde entier. D’où ma reconnaissance pour sa vision prophétique et sa détermination courageuse (il fut traité de « pape rouge » à cette époque !). Je n’ai été complètement rassuré après tous ces dangers qu’à partir de la chute du Mur de Berlin sous la pression notamment des forces spirituelles au sein de l’Eglise luthérienne de l’Allemagne de l’Est.