"La science, entre domination et asservissement, construisons une route commune": c'est le titre cet éditorial du vice-président de l'Académie catholique de France, le Prof. Laurent Degos, ancien président de la Haute Autorité française de la santé.
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Pour le rationaliste, seule la raison a raison d’être. Ainsi les sciences, les connaissances, les progrès sont sans limite. La science existe par elle-même et ne peut être conduite, dominée, enchainée, ou bridée. La science est exclusive, le progrès est le propre de l’homme. La déclaration en défense du clonage et de l’intégrité de la recherche scientifique (Free Inquiry : 17,3, 1997), ou la manipulation de l’embryon en sont des exemples. La société est au service de la science car la science lui apporte ses lumières, véritables phares pour son évolution.
A l’inverse une vision sociologique considère tout groupe, tout courant, tout apport au sein de la société sur un même pied d’égalité. L’activité scientifique est liée aux autres activités et ce d’autant plus que les applications des découvertes interfèrent avec la vie des citoyens. Les options scientifiques s’accordent aux autres composantes de la société, les scientifiques se plient aux règles qu’on leur assigne et la répartition des financements guide le choix des recherches selon les objectifs de la société. Ainsi l’Agence Nationale de la Recherche prédéfinit ses programmes. Les sciences sont encadrées, réglementées au service de la société.
Entre la position exclusive et la dissipation dans le tissu social, le bon sens est de reconnaître une voie médiane de dialogue, de partage de savoir, d’exploration, articulant science et devenir de l’homme. Ni sciences dominantes, ni sciences dominées, mais une science en relation avec le futur de l’homme, basée sur des valeurs et une éthique.
Ce débat conduit aux notions de valeurs, de valeurs acquises au cours du temps et de code de bonne conduite admis par ceux qui partagent une culture progressivement construite.
L’évolution de la pensée des citoyens se situe entre la photographie de la société dans sa diversité du moment, considérant tout groupe de façon identique et la suprématie intemporelle des sciences. La reconnaissance des racines scientifiques et la progression des connaissances sont inscrites dans l’Histoire. Les valeurs et les flexibilités admises par une certaine éthique sont arrimées à la mémoire. La mémoire et la culture partagées ne peuvent disparaître d’un trait de plume, même d’un rapport gouvernemental. « La question sur la vérité, disent les papes Benoit XVI et François en commun, est une question de mémoire, de mémoire profonde car elle s’adresse à ce qui nous précède et de cette manière, elle peut réussir à nous unir au-delà de notre « moi », petit et limité… on peut ainsi voir le sens de la route commune » (lumen fidei 25)
La diversité n’est pas un obstacle à la route commune si on respecte la mémoire. Le destin commun est fondé sur des valeurs communes. Le choix des bornes du permis et de l’interdit est fondé sur la culture. Chaque avancée oblige au dialogue, s’insérant dans la route commune, construisant, pour une meilleure appropriation, un futur en accord avec le passé. Le monde scientifique n’est pas plat, les sciences ont une origine culturelle, des valeurs et une éthique.
L’oubli de la mémoire devient alors un reniement ou une déviance au sens propre du terme. Le lien entre science et futur de l’homme est ancré sur la mémoire, sur son histoire et non sur une relation dominant-dominé. La relation entre la science et la société passe par la reconnaissance du relief de l’histoire et d’une « route commune », par le dialogue et la symétrie des savoirs et non par l’exclusivité ou l’amalgame.