Lourdes, mercredi 3 mars 1858: « J'ai fait ma commission »

Quatorzième apparition

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Demain sera le dernier jour de la quinzaine. Le temps presse : la Dame va-t-elle, enfin, dire son nom ? Les gens affluent, de plus en plus nombreux. Bernadette vient à la Grotte, comme tous les matins. Mais la Dame n’apparaît pas. Trop de monde ? Trop de bruit ? Trop de désordre ? Pas plus que lors des autres absences, la Dame ne donnera pas d’explication. 

Le temps des apparitions a été rude pour Bernadette. Après les premières rencontres, confidentielles, sont venus les jours de pénitence, puis la mission auprès du curé, vouée inévitablement à l’échec. A deux reprises, la Dame n’est pas apparue. Ce matin, de même. Il y aurait de quoi désespérer. Heureusement, de bonnes fées l’ont, à chaque fois, tirée d’affaire : l’abbé Pomian, la tante Bernarde. Aujourd’hui, la bonne fée est le cousin Sajous. 
Sajous, c’est le propriétaire du cachot. Il loge juste au-dessus : lui aussi doit respirer l’odeur du fumier de la cour. Il a mis à la disposition des Soubirous les mètres carrés du rez-de-chaussée : il n’avait rien d’autre à offrir. Le soir où les Soubirous sont arrivés, sa femme a fait la soupe. Quand Bernadette est trop assaillie de visiteurs, il la cache chez lui.

Aujourd’hui, Sajous l’emmène manger quelque-chose à la maison. Elle retournera en classe et, à la sortie, il l’accompagnera à la Grotte. Même l’après-midi, il reste du monde à Massabielle, mais beaucoup moins que le matin. Cette fois, la Dame apparaît. Mais quand Bernadette lui demande son nom, elle sourit.

Bernadette remonte au presbytère : M. le curé n’est pas là. Il est allé à Tarbes consulter un ami, un prêtre du séminaire, un homme de bon conseil. Son ami l’écoute mais reste sceptique. Il faut reconnaître l’honnêteté de l’abbé Peyramale et ne pas le réduire à ses colères. Il tient au courant son évêque et lui demande conseil sur la conduite à tenir. Il parle avec ses vicaires. Il recueille des témoignages de laïcs en qui il a confiance. Il cherche à s’éclairer.

Tard dans la soirée, Bernadette revient au presbytère. Elle est accompagnée de l’amie qui avait négocié le rendez-vous de la veille au soir. Elle répète au curé son message : la Dame veut toujours la chapelle mais elle n’a pas donné son nom. Le curé ne se fâche pas. « Elle se moque joliment de toi », se contente-t-il de dire. Déjà, la veille au soir, il avait fini par négocier, en demandant le nom de la Dame. Aujourd’hui, il ajoute une autre condition : qu’elle fasse fleurir le rosier de la Grotte. Ce qui prouve qu’il était bien renseigné sur les lieux.

Et il conclut par une plaisanterie prophétique. La veille, pour tâcher de faire passer son message, Bernadette avait dit que la chapelle pourrait être « toute petite ». Aujourd’hui, si Dame dit son nom et fait fleurir le rosier, Peyramale s’y engage : la chapelle sera « toute grande ». C’est d’ailleurs ce qui se passera : Peyramale s’emploiera pour la construction de ce qui est aujourd’hui la basilique de l’Immaculée Conception, aussi grande que le permettait le rocher de Massabielle.

L’entretien entre Bernadette et le curé s’est mieux passé que ceux de la veille. Mais le curé n’a pas plus de raisons aujourd’hui qu’hier de réaliser les vœux de cette Apparition anonyme, relayés par une enfant ignorante. Bernadette, quant à elle, pourrait répéter ce qu’elle a dit la veille, dans la rue, au sortir de la première visite au presbytère, après avoir reçu une algarade tonitruante : « Oh, s’il ne veut pas le croire, qu’il le laisse. J’ai fait ma commission. »

C’est l’attitude que Bernadette gardera par la suite, face à ses nombreux inquisiteurs : représentants de l’Etat, journalistes, hommes politiques, ecclésiastiques. Bon nombre arrivent sceptiques. Certains se laissent convaincre par la qualité, l’intelligence, la cohérence, la simplicité des affirmations de Bernadette. Mais d’autres restent campés dans leur négation, parfois dédaigneuse. Face à ceux-là, on prête à Bernadette cette réponse : « Je ne suis pas chargée de vous le faire croire. Je suis chargée de vous le dire. » La formule exacte n’est pas attestée mais de nombreuses paroles de Bernadette en sont toutes proches.

Dès le début, le témoignage de Bernadette s’est inscrit dans l’Eglise. Deux jours après le 11 février, elle s’était confiée à l’abbé Pomian. Maintenant, elle reçoit la mission de « dire aux prêtres ». Ce qu’elle doit leur dire concerne d’ailleurs l’Eglise, sous deux de ses symboles ; la chapelle et la procession. Mais c’est aussi une mission d’Eglise, parce que c’est un témoignage qui laisse le destinataire libre d’adhérer ou de refuser.

Quel est le but de l’évangélisation, qu’elle soit ancienne ou nouvelle ? C’est de mettre chaque personne en mesure de croire ? Mais comme dit saint Paul (Romains 10, 14-15), « comment invoquer le Seigneur sans d’abord croire en lui ? Et comment croire en lui sans d’abord entendre ? Et comment entendre si personne ne proclame ? Et comment proclamer sans être d’abord envoyé ? » Certes, les apparitions de la Vierge à Bernadette ne font pas partie du noyau de la foi et, jusqu’au 25 mars, Bernadette refusera toujours de nommer la Vierge Marie tant qu’Aquero n’aura pas dit son nom : elle est parfaitement honnête, comme le curé.

Bernadette n’est pas saint Paul mais ce que décrit l’Apôtre s’applique bien à elle : elle a été envoyée. Elle a proclamé, pour qu’il soit possible de croire et d’invoquer : ce que font des millions et des millions de personnes, à la Grotte même ou à distance. Comme les apôtres et les évangélistes, Bernadette témoigne d’une rencontre dont elle fait le récit. Elle n’est pas morte martyre mais les vingt-et-une années qu’elle a vécues au-delà des apparitions témoignent pour l’authenticité de ce qu’elle avait dit.

Sainte Bernadette pourrait donc être une inspiratrice pour la nouvelle évangélisation.

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Jacques Perrier

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