République centrafricaine: quinze mille réfugiés au monastère des Béatitudes

Une situation humanitaire très critique

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Quinze mille réfugiés sont arrivés au monastère de la Communauté des Béatitudes de Bangui : une situation d’urgence humanitaire que décrit le Père Barnabé.

Le P. Barnabé est originaire de Côte d’Ivoire. Il est en lien serré avec la maison de la Communauté des Béatitudes de Bangui. Il connaît très bien la situation car il y a été responsable de cette maison pendant une dizaine d’années, et était aussi pendant des années provincial d’Afrique. Il y était encore ces derniers mois. Il est actuellement en France à Blagnac. Il brosse le tableau de la situation dans cette maison en Centrafrique.

Zenit – Père Barnabé, vous avez des réfugiés chez vous depuis quand ?

Père Barnabé – Depuis jeudi matin, 5 décembre, à 4h, dès les premiers coups de feu, des réfugiés sont arrivés à la Communauté. Vers 9h du matin, ils étaient 1500 puis le jeudi soir, ils étaient 9000 et vendredi 15.000.

Qui sont-ils?

Il y a plusieurs types d’arrivées. Les premiers sont les voisins immédiats, puis le quartier, jeudi. Vendredi d’autres sont arrivés d’ailleurs car ils ne trouvaient pas de refuge, certains ont contourné la ville, en marchant 12 km : ils sont du quartier situé à la sortie nord de Bangui, le “PK12 ». On est à 6 km du centre-ville, au quartier de Boy Rabé.

La majorité sont des femmes et des enfants, puis il y a des jeunes, des vieillards et des hommes. Des malades.

La plupart sont chrétiens. Hier dimanche, 8 décembre, il y eu et un culte protestant puis la messe, il y a aussi des évangéliques. Certains sont de religions traditionnelles. Mais pas de musulmans, car ils ont peur de subir des représailles.

Dans quel état physique et moral sont-ils?

Les gens arrivent fatigués. Il y a eu quinze blessés : le jeudi, il y a eu des blessés par balle. Trois sont décédés de blessures et un dernier est mort d’une crise cardiaque. Il y a un ras-le-bol : c’est la 6ème fois en un an qu’ils viennent se réfugier au monastère. Cette fois-ci est la première fois qu’il y a plus de mille personnes.

Ils sont épuisés, révoltés. Certains veulent se faire justice eux-mêmes.

Ces quelques jours sont éprouvants car on manque de nourriture, d’eau potable qui est problème majeur. On craint les épidémies puisqu’en ce moment il n’y a pas de sanitaires pour tout ce monde.

Pourquoi fuir? Qui fuient-ils?

Ils fuient les soldats Seleka qui traquent les assaillants qui les ont attaqués le jeudi à 4h du matin. Et dans la confusion, ils commettent beaucoup d’exactions. Ils n’épargnent ni les hommes, ni les femmes ni les enfants. Tout le monde fuit. Dans certains quartiers, ils font du porte à porte et terrorisent la population.

Le nombre de réfugiés est proportionnel au nombre de personnes tuées. Plus il y a de morts et plus les gens ont peur et fuient se réfugier où ils se sentent en sécurité. C’est ce qui explique le nombre élevé cette fois-ci.

Combien êtes-vous dans la communauté et depuis quand êtes-vous là?

La communauté des Béatitudes est présente à Bangui depuis 28 ans : une vingtaine de frères et sœurs à la Comté. Nous vivons une vie de prière, offrons des temps de retraite et avons un dispensaire dans le quartier. Nous avons aussi des plantations pour subvenir à nos besoins. Ce qui a permis aux réfugiés dans un premiers temps d’avoir quelques légumes à leur arrivée.

Que pouvez-vous leur offrir?

Nous pouvons leur offrir la protection des murs du monastère. Ils ont compris que chez nous, ils étaient en sécurité alors ils viennent. Lorsqu’ils n’étaient que 500 personnes,  nous pouvions les nourrir, les soigner et organiser des dons de nourriture. Mais avec 15.000 personnes,  on ne peut rien faire.

Combien de temps pouvez-vous tenir, matériellement ?

Nous ne tenons pas. Nous avons pu donner un peu de riz aux enfants les premiers jours. Samedi matin,  monseigneur Dieudonné Nzapalainga, l’archevêque de Bangui, a visité la Communauté. Il nous a encouragé et a déposé trois sacs de riz et des sardines. Hier, un programme alimentaire mondial est venu déposer de la nourriture et ils vont venir pour mettre en place des latrines.

Mais nous n’avons plus rien pour tenir. Si les secours n’interviennent pas, c’est la catastrophe. Nous avions fait des réserves mais avec un tel nombre de personnes elles se sont vite volatilisées.

Comment vous aider?

Il faut qu’on fasse du stock pour des médicaments de première nécessité et de la nourriture. Il faut aussi prier pour que les exactions cessent le plus vite possible.  Nous avons lancé un appel aux dons via l’ONG Alliances Internationales. Nous avons déjà pu leur envoyer un premier don. Tout don est évidemment bienvenu, les besoins sont immenses !  

Avez-vous une espérance que l’arrivée des troupes françaises va rétablir la sécurité?

On a déjà commencé à sentir les conséquences de la présence de l’armée française. Le climat est plus calme, même s’il y a encore de la psychose. Je pense que les jours les plus durs sont passés, grâce à l’arrivée des troupes françaises

En attendant l’urgence humanitaire demeure: avez-vous des nouvelles d’autres communautés confrontées à des situations semblables?

Du côté de l’archevêché, il y a 10 000 personnes réfugiées. A la paroisse à 1000 mètres du monastère, 1000 personnes sont réfugiées. Les églises paroissiales se sont transformées en camps de réfugiés.

En combien de temps la situation s’est-elle dégradée et selon vous pourquoi?

Aujourd’hui 9 décembre 2013, voici un an que cette guerre a commencé. La situation s’est dégradée parce qu’on a laissé faire (communauté internationale) alors que le pays n’a aucun moyen de se prendre en charge militairement.

Voyez-vous des remèdes? Diplomatiques?

Accompagner le pays vers des élections et donner des moyens aux nouvelles autorités issues des élections pour gouverner. Il faut des moyens militaires, politiques et économiques.

Croyez-vous qu’il y ait une possibilité d’établir un dialogue avec les agresseurs, de les désarmer?

Ce n’est pas impossible, mais ce sera compliqué. On ne connaît pas leurs intentions réelles. Il n’y a que ceux qui les côtoient qui pourraient le dire vraiment.

Que pense le Centrafricain de tout cela ?

Il en a ras-le-bol. Il veut vivre ! II est épuisé, il a tout perdu et n’aspire qu’à une seule chose, avoir une vie normale sans être obligé de fuir sa maison de jour comme de nuit.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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