Prêtre du diocèse de Quimper et Léon, ordonné en 1999, le père Olivier Manaud est curé de paroisse et musicien. Il a suivi son cursus à l'Institut Catholique de Paris, au sein de l'Institut de théologie des arts et ensuite du theologicum pour le doctorat. Il est aussi diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-La Villette (DPEA) où il poursuit des recherches au sein du laboratoire Gerphau. Il enseigne aussi la théologie de la musique liturgique à l'Institut Catholique de Paris.

Christian Redier - Pourquoi ce livre ?

P. Olivier Manaud - Afin de restituer à la musique son enracinement et son cadre de déploiement originel. En effet, il faut redécouvrir les fondements théologiques et anthropologiques de la musique en liturgie. L’enjeu est multiple et interdisciplinaire : ce livre permet de mettre en valeur le service des musiciens et la grandeur de leur mission. Il permet aussi de magnifier la mission des architectes et surtout la place incontournable de l’assemblée chrétienne qui se réunit dans une église pour la faire « sonner » en union avec le chœur des anges.

D’où vient votre amour de la musique en général et de la musique liturgique en particulier ?

Mon immersion dans le monde de la musique ne s’est fait que tardivement, lors de mes années de séminaire en Bretagne, à Vannes. J’ai eu la chance d’apprendre à jouer de la flûte traversière grâce à un collègue qui m’a transmis son art. J’ai plusieurs fois été touché par des musiques et des chants dans la liturgie au fil des années. Dans « Musique et prière », j’ai d’ailleurs donné aux musiciens des pistes pour unifier la pratique de leur art et leur vie de prière. En effet, il s’agit de former des musiciens qui soient d’authentiques missionnaires au travers de leur art.

Pourrait-on envisager une liturgie sans musique ?

Cela me semble quasi impossible. Mais encore faut-il bien s’entendre sur ce qu’on entend par « musique » ! Son absence me semble difficile. On m’a rapporté qu’une communauté de religieuses âgées, ne chantant plus très bien, avait décidé d’arrêter de chanter pour ne faire plus que « réciter » l’office divin. Cette décision n’a tenu que quelques semaines… La vitalité de la communauté s’en est ressentie. Aussi les sœurs ont-elles décidé de revenir à leur pratique chantante finalement vitale pour elles.

Vous parlez de la réelle « puissance de la musique que la tradition de l’Eglise à apprivoisée et intégrée ». Quel a été le rôle de la tradition de l’Eglise ?

Quand on se penche sur les mythes antiques, on découvre que la musique a toujours été perçue comme porteuse d’une extraordinaire puissance. On rapporte par exemple que les murailles de Thèbes ont été construites par Amphion au son de sa lyre. Sa musique déplaçait les blocs de pierre. Les murailles de Jéricho se sont écroulées au son des trompettes et de la clameur du peuple… Voilà deux exemples antiques qui témoignent d’une réelle puissance de la musique. La liturgie de l’Eglise a intégré cette puissance dans le sens de l’édification spirituelle. Le point de départ de la Tradition de l’Eglise sur cette question a été, selon moi, l’événement de la Pentecôte. Le texte parle non pas d’un « bruit », mais d’un « écho ». C’est cet écho qui a été la matrice de l’inscription sonore des chants. Je montre qu’elle a été la trajectoire de cet écho dans la tradition de l’Eglise et comment il s’est déployé différemment au fil des siècles.

Le chant grégorien reste-t-il le « chant propre » - pas le chant exclusif, bien sûr -, de l’Eglise ?

Oui, comme le rappelle le concile Vatican II, « l'Eglise reconnaît dans le chant grégorien le chant propre » de la liturgie romaine  (Sacrosanctum Concilium 116). Mais ceci ne s’applique pas à toutes les traditions liturgiques. Au sein de l’Eglise, il y a, par exemple, des traditions orientales qui ne sont pas concernées par le grégorien… La spécificité de mon travail est de montrer que, même pour la tradition romaine, on ne doit pas oublier que le milieu de vie et de déploiement du chant grégorien a été (et demeure) celui des voûtes romanes.

Quels sont les liens entre architecture et musique liturgique ?

En fait, il faut comprendre que les églises ont très rapidement conçues comme de véritables instruments de musique. Les formes et les proportions ont été étudiées pour qu’un écrin sonore soit édifié de manière à magnifier les louanges divines. Chaque monastère était construit avec une note de résonance spécifique qui permettait aux moines de placer leur psalmodie sur elle. Cette fréquence suscite un phénomène harmonique très particulier qui donne à la mélodie grégorienne une composante polyphonique suscitée par l’acoustique du bâtiment.

Les voûtes romanes, ou d’autres éléments architecturaux, influent-elles la qualité du chant offert à Dieu ?

La recherche de qualité a fait partie de l’enseignement du maître de chapelle Joseph Samson, pour qui j’ai une réelle admiration : « Si le chant n’a pas la valeur du silence qu’il a rompu, qu’on me restitue le silence. Oui, l’œuvre d’art n’agit que par sa qualité. C’est là qu’elle s’inscrit dans l’ordre de la Charité. » Pour œuvrer dans ce sens, il est certain que l’architecture des églises y a été associée de près. L’acoustique romane magnifie la monodie grégorienne, l’acoustique des grandes cathédrales gothiques magnifie la polyphonie classique et plus tard le grand répertoire de l’orgue.

Les caractéristiques sonores des édifices ont-elles donc une incidence sur le répertoire ?

A l’époque médiévale certainement. On chantait sur le diapason du lieu et non pas au La 440Hz qui a été normalisé assez récemment. Aussi chantait-on conformément à ce diapason, et conformément aux caractéristiques acoustiques du lieu. Aujourd’hui, il serait bon que le chantre choisisse son répertoire en fonction du lieu… Mais qui le fait encore aujourd’hui ? Mon étude pourrait susciter une prise de conscience renouvelée dans ce sens.

Comment accorder aussi son répertoire au type d'assemblée pour favoriser la participation, et que la beauté de la musique ne relègue pas les fidèles au rang de simples auditeurs ?

C'est ici le bon sens qui prime. Il me semble qu'il est du ressort de l'animateur de chant ou des personnes en charge de ce service d'avoir le souci de la participation active. Il y a certains actes de chants qui demandent, autant que possible, que l'assemblée tout entière puisse participer (chant entrée, Alléluia, Sanctus par exemple). D'autres actes de chants peuvent sans problème être chantés par un soliste, voire un petit choeur. Cette question est largement développée dans mon livre.

Propos recueillis par Christian Redier

P. Olivier Manaud, La musique liturgique édifie l’Église, éd. Pierre Téqui, 580 pages.