La fidélité, un défi pour notre temps

Homélie de la messe en l’honneur de sainte Pétronille

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« La fidélité, un défi pour notre temps », c’est le thème de l’homélie du cardinal archevêque de Bordeaux et évêque de Bazas, Jean-Pierre Ricard, à Saint-Pierre de Rome, le mercredi 29 mai, à 8h, à l’occasion de la messe annuelle pour la France, en l’honneur de sainte Pétronille (cf. Zenit du 29 mai 2013, http://www.zenit.org/fr/articles/une-messe-pour-la-france-a-saint-pierre-de-rome).

La fidélité, un défi pour notre temps (cf. www.bordeaux.catholique.fr)

Excellences,

Monsieur l’Ambassadeur de France près le Saint-Siège,

Messieurs les Ambassadeurs,

Chers Pères,

Chers frères et sœurs dans le Christ,

Nous vivons aujourd’hui à une époque où un certain nombre de nos contemporains doutent que la fidélité soit possible. Dans un univers relativiste, peut-on rester fidèle au long des années à une personne, à une cause, à des idées ? Plus qu’à un engagement ferme ne voit-on pas donner de nos jours la préférence au droit d’avoir des choix subjectifs, successifs et différents ? Certains même vont plus loin et suspectent la fidélité d’être une entrave à la liberté. Ne serait-elle pas un fil à la patte, ligotant l’individu et l’enfermant dans son passé ? 

Je crois qu’il est bon de confronter ces interrogations avec ces textes de la Parole de Dieu que nous venons d’entendre. Ils nous partagent trois convictions fondamentales :

• La fidélité est possible parce qu’elle est un don de Dieu.

Jésus connaît ses disciples. Il sait leurs fragilités et leurs limites. Lors de la passion, ne vont-ils pas abandonner le Maître et même, pour Pierre, le renier ? Mais Jésus, ici, prie le Père et lui demande de « garder ses disciples dans la fidélité à son nom qu’il lui a donné en partage ». Il s’adresse à son Père en lui disant « Père Saint, garde mes disciples dans ton Nom ». Ce Nom, c’est justement sa sainteté, sa puissance de vie et d’amour. Et il revient à l’Esprit Saint de mettre dans le cœur des disciples de Jésus la force de cet amour qui vient du Père. Celui qui est fidèle, c’est d’abord Dieu, qui, de fait, est fidèle à sa promesse, à son alliance, au don de son Esprit. C’est le Père qui est fidèle dans son dessein d’amour pour l’homme. Saint Paul dira aux Corinthiens : « Il est fidèle le Dieu qui vous a appelés à la communion avec son fils Jésus Christ, notre Seigneur » (1 Cor. 1, 9). C’est le Fils qui est fidèle à son Père, en allant jusqu’au bout de sa mission et sa mort sur la croix signera sa fidélité. N’appelle-t-on pas d’ailleurs, dans l’Apocalypse de saint Jean, Jésus Christ : « le témoin fidèle, le témoin fidèle et vrai » (Ap. 1, 5 et 3, 14) ? C’est l’Esprit Saint qui communique aux hommes la force, le feu et le goût de cette fidélité, que saint Jean appelle la vérité, et qui est tout simplement la puissance éclairante et vivifiante de l’amour. Le Père ne permettra pas que le Malin détourne les hommes de cette source d’eau vive, qu’il s’empare du cœur et de l’esprit de ceux qui ont gardé la Parole et ont remis leur vie entre les mains du Père. Jésus les a gardés. Le Père les gardera. D’ailleurs, Jésus, le bon berger, n’avait-il pas dit : « (mes brebis) ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main. Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père » (Jn 10, 28-29) ? La fidélité de l’homme, dans sa relation à Dieu et aux autres, n’est pas d’abord liée à une crispation héroïque de la volonté ni à une décision prise à la force du poignet. Elle est un effet de la grâce de Dieu en nous, un fruit de son amour. Nous pouvons être fidèles parce que Dieu lui-même est fidèle et soutient notre propre fidélité.

• La fidélité est une œuvre créatrice.

Loin d’être une nostalgie paralysante qui nous rendrait prisonniers du passé, la fidélité est une œuvre créatrice qui se vit dans le présent et nous tourne vers l’avenir. Elle ne s’enferme pas dans le conservatisme ou la répétition de l’identique. Mais elle se vit dans une actualisation qui crée du neuf. Cette grâce que Dieu nous donne, nous avons à la recevoir dans l’actualité de nos vies. Nous avons à en goûter la nouveauté en inventant au jour le jour des réponses nouvelles aux divers défis que nous rencontrons aux différentes étapes de notre  existence. C’est ce qu’on appelle dans la vie spirituelle la sainteté au quotidien. Il en va de même dans l’amour et dans l’amitié. La fidélité appelle à en donner, au fil des jours, des expressions toujours nouvelles. Il en va de même également dans la référence aux valeurs de notre République. Il ne suffit pas, par exemple, de répéter dans le chantier éducatif : liberté, égalité, fraternité. Encore faut-il aider les jeunes à entrer dans l’expérience à laquelle ces convictions fortes de notre République font  référence. La fidélité à ces valeurs nous demande impérativement de nous poser ces questions : que signifie être libre aujourd’hui ? Comment se vit l’égalité dans notre société ? Quels combats sont à mener ? Comment vivre la fraternité ? Quelles solidarités est-il important aujourd’hui de développer ? Oui, la fidélité est créatrice.

• La fidélité est un combat.

La fidélité n’est pourtant pas un long fleuve tranquille. Elle est aussi un combat spirituel. La tentation peut parfois être forte de quitter la source d’eau vive pour aller boire à d’autres points d’eau. Dieu ne disait-il pas à propos de son peuple sous la plume du prophète Jérémie : « Ils m’ont abandonné, moi la Source d’eau vive, pour se creuser des citernes crevassées qui ne tiennent pas l’eau «  (Jr 2, 13) ? Mais, si le combat, à certains jours, trouve l’origine des  difficultés en nous-mêmes, d’autres jours, il les trouve à l’extérieur, dans une opposition et une persécution qui peuvent être violentes. Jésus avait d’ailleurs prévenu les siens : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartiendrait, mais vous n’êtes pas du monde : c’est moi qui vous ai mis à part du monde, et voilà pourquoi le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître » ; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi » (Jn 15, 18-20). Aujourd’hui, de par le monde, bien des chrétiens sont persécutés pour leur foi, pour leur fidélité au Christ. Je pense à la situation dramatique de communautés chrétiennes au Pakistan, au Nigeria, en Syrie, en Chine mais aussi en bien d’autres pays où les croyants ont du mal à voir respectée leur liberté de conscience et honorée la liberté religieuse. A certains jours le prix à payer pour rester fidèle est particulièrement lourd. C’est pour cela que, dans sa prière, Jésus demande au Père de consacrer ses disciples par la vérité, de leur donner cette force intérieure qui leur permettra de tenir bon. C’est la foi en cette aide de Dieu qui fait s’écrier Saint Paul : « Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8, 39). C’est forts de cette aide de Dieu, que les disciples du Christ devront repousser la tentation du repli sectaire. Ils ne devront ni fuir le monde ni le maudire. Ils devront rester au cœur du monde pour témoigner d’un amour qui est plus fort que le mal, la haine ou le péché des hommes. Ils devront rester fidèles à leur poste. Ils ne devront pas le déserter. L’Esprit les assurera dans cette mission.

Et s’il y a un lieu où Dieu nous ass
ure et nous garde, c’est bien l’eucharistie. C’est là que nous retrempons notre fidélité dans celle du Christ, dans celle de celui qui est allé jusqu’au bout de l’amour. N’hésitons pas à dire au Seigneur avec le psalmiste : « Sois le rocher qui m’abrite, la maison fortifiée qui me sauve. Pour l’honneur de ton nom, tu me guides et me conduis. En tes mains je remets mon esprit » (Ps 30, 1-6). Amen.

†  Jean-Pierre cardinal RICARD

      Archevêque de Bordeaux

    Evêque de Bazas

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Jean-Pierre Ricard

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