L’Edit de Milan a marqué un tournant décisif dans l’organisation historique de la société politique, introduisant deux concepts fondamentaux qu’on appelle aujourd’hui : « liberté religieuse » et « laïcité de l’Etat ».
Alors que l’on fête cette année les 1700 ans de l’Edit de Milan (février 313), Mgr Vitaliano Mattioli, professeur à l’Université pontificale urbanienne et vice-président de l’Institut pontifical Saint-Apollinaire, revient sur l’histoire de cet Edit pour les lecteurs de Zenit (cf. Zenit du 3 mai 2013 pour la première partie de l’article).
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L’Edit de Constantin a une portée historique car il marque le début de la liberté de l’homme moderne. L’Etat reconnaît à ses citoyens la liberté de professer la religion qui, en son âme et conscience, lui parait la meilleure.
Avec Constantin, l’Etat devient laïc, au sens le plus strict du terme. C’est-à-dire un Etat, qui ne reste pas indifférent à la religion, ou pire, relègue la religion à la sphère intime de sa conscience, mais reconnaît la dimension spirituelle de l’homme, avec les revers sociaux qui en découlent, et permet la liberté de culte sans poser d’interférences et de limites. En ce sens l’Etat laïc est un Etat « croyant » dans sa double signification :
Il est croyant en Dieu, auquel il doit un culte, selon la vertu de la justice qui, dans ce cas, se transforme en vertu de religion (2); et il est croyant en l’homme dans la mesure où il reconnaît sa dimension biologique et civique mais également sa dimension spirituelle.
Benoît XVI, plus d’une fois, a parlé de « laïcité positive ». En 2006, il a souligné : « la ‘saine laïcité’ implique que l’Etat ne considère pas la religion comme un simple sentiment individuel, qui pourrait être limité au seul domaine privé. Au contraire, la religion, […] doit être reconnue comme présence communautaire publique. […] L’hostilité à toute forme d’importance politique et culturelle accordée à la religion, et à la présence, en particulier, de tout symbole religieux dans les institutions publiques, n’est certainement pas une expression de la laïcité, mais de sa dégénérescence en laïcisme. De même que nier à la communauté chrétienne et à ceux qui la représentent de façon légitime, le droit de se prononcer sur les problèmes moraux qui interpellent aujourd’hui la conscience de tous les êtres humains, en particulier des législateurs et des juristes, n’est pas non plus le signe d’une saine laïcité. En effet, il ne s’agit pas d’une ingérence indue de l’Eglise dans l’activité législative, propre et exclusive de l’Etat, mais de l’affirmation et de la défense des grandes valeurs qui donnent un sens à la vie des personnes et qui en préservent la dignité. Ces valeurs, avant d’être chrétiennes, sont humaines, c’est-à-dire qu’elles ne laissent pas indifférente et silencieuse l’Eglise, qui a le devoir de proclamer avec fermeté la vérité sur l’homme et sur son destin. ».
« Nous vivons – a-t-il ajouté – une période historique exaltante en raison des progrès que l’humanité a accomplis dans de nombreux domaines du droit, de la culture, de la communication, de la science et de la technologie. Dans le même temps, toutefois, il existe de la part de certains la tentative d’exclure Dieu de tous les domaines de la vie, en le présentant comme antagoniste de l’homme. C’est à nous, chrétiens, qu’il revient de montrer qu’au contraire, Dieu est amour et qu’il veut le bien et le bonheur de tous les hommes. Il est de notre devoir de faire comprendre que la loi morale qu’Il nous a donnée, et qui se manifeste à nous à travers la voix de la conscience, a pour but non pas de nous opprimer, mais de nous libérer du mal et de nous rendre heureux. Il s’agit de montrer que sans Dieu, l’homme est perdu et que l’exclusion de la religion de la vie sociale, en particulier la marginalisation du christianisme, mine les bases mêmes de la coexistence humaine. » (3).
Cette « saine laïcité » n’est pas un fruit du Concile, mais fait partie du magistère constant de l’Eglise. Déjà Pie XII, dans un discours, le 23 mars 1958, affirmait que : « La légitime et saine laïcité de l’Etat est un des principes de la doctrine catholique ».
Si bien qu’un Etat laïc n’empêche pas la recherche personnelle sur le sens de sa vie et met tout en œuvre pour que les droits fondamentaux de l’homme soient toujours respectés et protégés. La vraie laïcité ne fuit pas, mais postule une saine collaboration entre l’Etat et l’Eglise, en admettant que tous les deux – même à des niveaux différents – sont au service de la vocation personnelle et sociale des personnes.
Ces réflexions de Benoît XVI sont partagées par d’autres grands penseurs. L’un d’eux est l’écrivain Fédor Dostoïevski (1821- 1881) qui a longtemps médité sur le slogan: « Comme si Dieu n’existait pas ». Il en est arrivé à dire que cette expression est la ruine de la société moderne, qu’elle est pleine d’agnosticisme mais également privée de toute moralité. Il écrit avec acuité : « Si Dieu n’existe pas, alors rien n’est un délit ? » (4); « Une fois que l’humanité aura renié Dieu … l’homme s’exaltera d’un esprit divin, d’un orgueil gigantesque et apparaîtra l’homme-Dieu … Si Dieu n’existe pas, tout devient permis » (5).
L’Etat part à la dérive. Tout devenant licite, le délit n’existe plus. Chaque action, même la plus négative, obtient libre citoyenneté. Face à cela l’Etat est impuissant; en enlevant Dieu et en ne reconnaissant pas la liberté religieuse, il a voté sa mort.
Citons aussi Victor E. Frankl (1905-1997), fondateur de la Troisième Ecole viennoise de Psychothérapie, la Logothérapie. Celui-ci fonda la théorie sur la recherche du ‘sens de la vie’, associant la réalisation de la personne à la découverte du sens de sa propre vie. Victor E. Frankl soutenait que lorsque la vie n’a plus de sens, arrive le désespoir, l’abrutissement, et l’être humain est capable de tout puisque le « néant » se crée. Le sens de la vie est remplacé par ‘l’ennui’ de vivre.
On en déduit que la vision de la vie présentée par l’Eglise n’a pas de fondements directement chrétiens, mais qu’elle est une exigence inscrite dans la nature même de l’homme, partagée par des membres d’autres religions.
La grande ouverture intellectuelle de l’Edit de Milan n’a pas toujours été respectée durant ces 1700 ans. L’histoire passée et récente, hélas, le montre. Le concile a traité la question de la liberté religieuse et lui a consacré une déclaration ‘sur la liberté religieuse’ (6).
Il n’y a pas de grande différence entre ces deux documents. Constantin, en donnant la liberté au christianisme, pensait faire une ‘simple concession’. Le concile, au contraire, soutenait que le fondement de cette liberté résidait dans la nature même de la personne humaine. Voici la phrase la plus significative: « Ce n’est pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse (n. 2) […] La vérité doit être cherchée de manière à répondre à la dignité de la personne humaine … C’est faire injure à la personne humaine et à l’ordre même établi par Dieu pour les êtres humains que de refuser à l’homme le libre exercice de la religion dans la société » (n. 3).
C’est la raison pour laquelle les Etats doivent respecter la liberté de conscience de leurs citoyens et promulguer des lois qui n’aillent pas contre les principes de l’éthique naturelle.
Ils doivent respecter les éléments ontologiques à la base de la personne humaine. Le principe de laïcité de l’Etat n’est rie
n d’autre que la reconnaissance par le pouvoir politique d’une limite à ne pas franchir vis à vis de la personne humaine. Quand il ne respecte pas cela, l’Etat se transforme en despote et tyran, même s’il continue à se vanter faussement d’une prétendue démocratie.
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NOTE
2) Cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 1807.
3) Benoît XVI, discours à L’union des Juristes catholiques italiens, 9 décembre 2006.
4) Les Frères Karamàzov, livre VI, chap. 3
5) Idem, livre XI, chap. 9.
6) Dignitatis Humanae, 7 décembre 1965.
Traduction d’Océane Le Gall