Après l’encyclique Mater et Magistra, publiée en 1961, sur les questions sociales et le renouvellement de l’enseignement social de l’Église, Pacem in terris est la deuxième grande encyclique de Jean XXIII, rappelle Carmine Tabarro, de la communauté Shalom , à l’occasion des 50 ans de sa parution.
Expert en doctrine sociale de l’Église et en économie publique et de marché, il revient pour Zenit sur les origines et l’impact de ce document qui, pour beaucoup, représente un testament spirituel de Jean XXIII au clergé et aux fidèles du monde entier, mais aussi, et pour la première fois, à tous les « hommes de bonne volonté ».
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L’encyclique de Jean XXIII fait partie de la longue série de documents sur la paix écrits par les papes du XXème siècle, comme la Lettre aux chefs des peuples belligérants (1er août 1917), le document Pacem Dei Munus Pulcherrimum (23 mai 1920) de Benoît XV, l’encyclique Ubi arcano (23 décembre 1922) de Pie XI et les nombreux radio-messages de Pie XII, en particulier celui de 1941.
La tradition est donc vaste, aussi vaste que la série de conflits qui ont déchiré le monde au siècle dernier.
Pacem in terris est adressée « à tous les hommes de bonne volonté », et affirme que la paix est possible. Pour beaucoup, l’optimisme du « bon pape Jean » passait pour de « l’optimisme irrationnel »: beaucoup se demandaient qu’est-ce qui pouvait bien conduire le pape à parler de paix, alors que deux ans auparavant à peine avait été érigé le mur de Berlin, ce dernier coupant le monde en deux entre l’empire soviétique et l’OTAN, et que six mois auparavant à peine, l’humanité avait frôlé le drame de la guerre nucléaire à cause de la crise des missiles à Cuba.
Jean Paul II offre une lecture spirituelle à cela dans son Message pour la XXXVI Journée Mondiale de la paix (1er janvier 2003): « Le pape Jean XXIII n’était pas d’accord avec ceux qui considéraient que la paix était impossible. […] Considérant le présent et l’avenir avec les yeux de la foi et de la raison, le bienheureux Jean XXIII a entrevu et interprété les impulsions profondes qui étaient déjà à l’œuvre dans l’histoire. Il savait que les choses ne sont pas toujours comme elles apparaissent en surface. Malgré les guerres et les menaces de guerres, il y avait quelque chose d’autre à l’œuvre dans l’histoire humaine, quelque chose que le Pape recueillit comme les débuts prometteurs d’une révolution spirituelle» (n. 3).
Contexte historique
Le concept de guerre avait changé à cause des armes atomiques. Si les deux superpuissances s’étaient engagées l’humanité serait allée à l’encontre aux proportions incalculables.
Autrement dit la guerre n’est plus un outil pour faire prévaloir la force d’un Etat ou la « justice » : ces motivations pouvaient rendre acceptables le prix payé à l’opinion publique. D’autre part, l’interdépendance entre les nations était tellement serrée qu’il devient très facile d’exercer des pressions en utilisant les moyens économiques et financiers. Cela permet de gérer un conflit sans le recours systématique aux armes. D’autres types de guerre font alors leur apparition : la guerre alimentaire, la guerre monétaire, celle des migrants, etc.
Tels changements se produisent dans un contexte de développement unique dans l’histoire du monde. La croissance des pays industrialisés paraît limitée, du boom du pétrole à celui du bâtiment. Se développement des biens instrumentaux et des biens de consommation durables (autoroutes, avions à réaction, mais aussi automobiles, téléphones, appareils électroménagers, etc.).
On n’entrevoit pour l’avenir qu’opulence et abondance, un progrès qui semble ne pas s’arrêter. Presque tous les pays jadis colonisés, notamment en Afrique et en Asie, prennent leur indépendance et se lancent, pas toujours de manière linéaire, dans le développement, espérant ainsi garantir à leurs populations une vie digne dans l’autonomie culturelle et économique.
C’est dans ce contexte que Jean XXIII donne une contribution prophétique à l’analyse du monde de l’époque, de ses conflits, de ses espoirs.
L’encyclique « Pacem in terris » laisse entrevoir deux niveaux de lecture : un premier niveau qui renvoie à l’enseignement traditionnel de l’Eglise, et l’autre à quelque chose d’inédit au plan théologique.
Le premier niveau de lecture de Jean XXIII se fonde sur l’enseignement de l’Église ne matière sociale, spécialement sur des textes de son prédécesseur Pie XII, mais aussi sur ceux de Léon XIII. Le pape insiste sur les droits de l’homme, sur le bien commun, sur le respect des minorités nationales, sur la communication et sur le respect entre les nations, sur els réfugiés politiques, sur le désarmement et sur les institutions internationales.
Cet aspect inédit au plan théologique nous le trouvons dès le début de l’encyclique, qui s’adresse à tous les hommes, croyants et non croyants, à tous les hommes de bonne volonté. Autrement dit, ses pages ne sont pas réservées aux seuls chrétiens, mais à tout le monde. Au fil de l’encyclique, le pape fait part de sa sympathie et de l’ouverture de l’Eglise pour toutes les aspirations du monde contemporain qui sont déclinées comme « soignes des temps ».
Le pape ne polémique pas, ne condamne jamais le monde. Quand il parle de guerre, il ne dresse pas de liste des cas où les circonstances pourraient justifier telle ou telle guerre : il part de la paix comme « aspiration profonde des êtres humains de tous les temps » (n. 1).
Une autre nouveauté théologique de Jean XXIII apparaît de manière claire au cinquième et dernier chapitre consacré aux « Rappels pastoraux », surtout là où, au plan de l’action sociale, les rapports entre catholiques et non catholiques sont conflictuels (n° 82-85), prolongeant ainsi la réflexion de l’encyclique Mater et magistra sur la possibilité d’une coopération entre chrétiens et non chrétiens.
Le point culminant, probablement le sommet de toute l’encyclique relève une croissante distinction entre les idéologies, de « fausses doctrines philosophiques sur la nature, l’origine et le destin de l’univers et de l’homme », et les « mouvements historiques à buts économiques, sociaux, culturels et politiques » (n. 84). Le pape fait la distinction entre l’idéologie qui reste cristallisée et les mouvements qui l’incarnent et ne peuvent pas ne pas être influencés par les changements des conditions concrètes de vie.
Il peut donc arriver que des réalisations concrètes communes présentent des avantages réels. Par cette réflexion, Jean XXIII laisse entendre qu’il est tout à fait possible de faire la distinction entre le mouvement historique des peuples dans les pays socialistes ou communistes et l’idéologie marxiste, condamnable dans ses principes.
Ces réflexions jettent de nouveaux ponts de dialogue avec les pays communistes de l’Europe de l’est et avec les sociétés qui vivent de l’autre côté du rideau de fer. On ne condamne plus une société parce qu’on y enseigne une certaine idéologie ; par contre il faut observer les corps sociaux qui se développent en son sein et dialoguer avec eux.
Poursuivant cette ligne de réflexion, qui s’applique avant tout aux relations entre les nations, Jean XXIII prévoit qu’ « un rapprochement ou une rencontre d’ordre pratique, hier retenue non opportune ou non féconde, aujourd’hui l’est et peut le devenir demain » (n. 85).
D’autre part, pour le pape, la paix est aussi un problème interne aux nations. Elle doit être atteinte en particulier avec les différentes idéologies.
La paix n’est pa
s le résultat d’un pieux dévouement, mais une construction difficile à réaliser jusque dans les secteurs nationaux les plus névralgiques.
[La seconde partie de cette analyse sera publiée demain, 24 avril]
Traduction d’Océane Le Gall