François d'Assise "a su redonner une crédibilité à l'Eglise"

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Par le philosophe français Rémi Brague

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Saint François d’Assise, «c’est aussi celui qui a su redonner une crédibilité à l’Eglise», fait observer le philosophe français Rémi Brague, lauréat du 2012, quelques semaines après l’élection du pape François.

Zenit – Quelle a été votre réaction à la nouvelle de l’élection ? Quel est le signe donné à travers un pape argentin ?

Rémi Brague – Je l’ai apprise à Dublin, en passant devant un kiosque à journaux. Ma première réaction a été la surprise, et en même temps la satisfaction un peu malicieuse (je le confesse) de voir que les prétendus spécialistes du Vatican, qui avaient dressé une liste de papables, s’étaient tous plantés…

Il est tout à fait normal que le poids de l’Amérique Latine dans l’Eglise catholique reçoive ainsi un écho. On voit mieux de la sorte que le christianisme n’est pas qu’un club d’Européens. Ceci dit, je n’aurais nullement été choqué que le pape fût italien. Car au fond, il est avant tout l’évêque de Rome, et pas le chef d’une multinationale.  

Avez-vous été frappé par l’un ou l’autre de ses premiers gestes, de ses premières paroles ? Le choix du nom de François ?

François est, comme vous le savez, le surnom que le père du saint avait donné à son fils, qui se débrouillait bien en français quand il allait à la foire de Troyes. Cela veut donc dire « français ». Donc, nous sommes nous aussi un tout petit peu papes…

Plaisanterie à part, François d’Assise n’est pas seulement le saint ami de la nature et des animaux, ce qui est d’ailleurs déjà un signe fort en notre époque écologique. C’est aussi celui qui a su redonner une crédibilité à l’Eglise en retournant à une lecture très littérale des préceptes des Evangiles. On se souvient du rêve du pape de l’époque qui voyait le Poverello soutenir l’Eglise qui menaçait ruine.   

Au cours de sa première messe, avec le Collège cardinalice, au lendemain de son élection, il a cité Léon Bloy: «quand on ne prie pas Jésus on prie le diable». Que vous inspire cette citation ?

Léon Bloy était un bonhomme un peu particulier, au caractère impossible, pas vraiment un modéré. A côté d’aspects un peu suspects, comme une sorte de dolorisme, il avait des intuitions assez fulgurantes. Jean-Paul II aurait plutôt cité Max Scheler, qui a dit quelque chose de tout à fait analogue : « celui qui n’a pas de dieu doit avoir une idole ». Les deux indiquent un vaste problème de notre époque. Beaucoup de nos contemporains croient être athées, s’être libérés d’un dieu qu’ils se représentent comme une entrave. En fait, ils se mettent souvent à adorer sans le savoir des divinités mille fois plus primitives que celles de l’ancien paganisme. Nietzsche a donné une résonance inouïe à la formule « Dieu est mort ». Regardons-en un peu la logique : elle implique que la mort a été plus forte que la vie et que le Dieu Vivant, et donc que le seul dieu qui nous reste désormais, c’est la Mort. On peut identifier dans notre « culture » actuelle pas mal de signes qui le montrent.   

Ses premiers discours sont simples, spontanés, populaires, il cite sa grand-mère lors de la messe du dimanche des rameaux. Comment percevez-vous ce nouveau style ? 

Son langage est celui d’un pasteur qui s’adresse à un public très varié, celui de l’évêque qu’il a été et ne cesse pas d’être. Sa répercussion dépend de la façon dont les Chrétiens accueilleront ses paroles.

Est-ce que les interventions du pape François rejoignent aussi les intellectuels ?

Il ne faudrait pas opposer un pape grand intellectuel comme Benoît XVI à un pape plus simple comme François. Quelqu’un qui a suivi la formation d’un jésuite doit avoir une dimension intellectuelle très prononcée.

Qu’attendre du nouveau pape pour l’Eglise ?

Au fond, pas autre chose que ce que tout pape doit faire : assurer le ministère de communion des évêques dans la foi reçue des Apôtres. Il devra sans doute procéder à certaines réformes, celles que Benoît XVI avait lancées ou qu’il n’avait pas eu la force de mener à bien.

Lors de la rencontre avec les médias, le 16 mars, le pape François a donné une «bénédiction silencieuse», par respect pour les non-croyants. Un geste inédit semble-t-il…

Elle n’a pas été si silencieuse que cela, puisque le nom de Dieu a été prononcé. Le respect pour les non chrétiens et les non croyants est une bonne chose. Mais la meilleure marque de respect qu’on peut leur apporter est de les considérer dignes d’entendre le message chrétien.

Pour la première fois, Rome vit la situation inédite de «deux papes», l’un émérite. Pour vous qui connaissez Benoît XVI, est-ce que cette situation peut être difficile à vivre?

Il est exagéré de dire que je connais Benoît XVI. Je l’ai rencontré quatre ou cinq fois en trente ans. Je sais en tout cas qu’il n’avait pas la moindre envie de devenir pape, il prévoyait sa retraite lorsque son élection est arrivée comme une tuile. Je le vois encore moins se mêler des affaires de son successeur. 

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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