Quelles sont les véritables raisons qui motivent l’Eglise catholique à participer au débat sur l’immigration ? ». C’est en vertu de sa mission de « conduire tous les hommes au salut que seule une rencontre avec le Christ vivant peut apporter », répond le cardinal Vegliò.
Le cardinal Antonio Maria Veglio, président du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, participe à un colloque sur le thème « Les catholiques et les migrations : histoire, actualité, perspectives », en France, au Collège des Bernardins, les 18 et 19 janvier 2013 (pour le programme, cliquer sur ce lien:
http://www.collegedesbernardins.fr/index.php/rencontres-a-debats/autres-manifestations.html). ;
Cette rencontre est organisée conjointement par le Centre d’information et d’études sur les migrations internationales (CIEMI), le Service national français de la pastorale des migrants et le diocèse de Paris.
Voici le texte intégral en français du card. Veglio.
L’ÉGLISE ET LES MIGRANTS
(Discours d’Introduction : Table Ronde)
Paris, 19 janvier 2013
Antonio Maria Card. Vegliò
Président du Conseil Pontifical pour la Pastorale
des Migrants et des Personnes en déplacement
Eminences, Excellences,
Frères et sœurs dans le Christ,
« Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur ».[1] Ces mots bien connus de l’introduction de la Constitution pastorale Gaudium et Spes du Concile Vatican II donnent le ton de l’ensemble du document conciliaire et nous rappellent que l’Eglise, comme une bonne mère, tend la main avec amour au monde, en exprimant sa solidarité avec toute la famille humaine. Ils nous rappellent que : « aucune ambition terrestre ne pousse l’Eglise ; elle ne vise qu’un seul but : continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi »[2].
En réalité, le Concile Vatican II, dont le 50èmeanniversaire de l’ouverture a coïncidé avec le début de l’Année de la Foi en octobre dernier, a constitué une étape importante dans l’histoire de l’Eglise. Lors de ce Concile œcuménique, une fois encore la présence de l’Eglise a été confirmée aux côtés de l’humanité dans son voyage en cette vie terrestre, dans toutes les expériences humaines de chaque jour. Cette vérité résonne comme un écho à travers le Magistère de l’Eglise et constitue sa motivation pour la promotion d’un développement humain intégral, qui inclut la considération des « millions d’hommes et de femmes qui, pour diverses raisons, vivent l’expérience de la migration »[3].
Aujourd’hui, le phénomène migratoire est impressionnant en terme du nombre important de gens qu’il touche. Il suffit de lire le Rapport mondial sur les migrations 2011 de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) pour découvrir, par exemple, qu’il y a approximativement 214 millions de migrants internationaux – un nombre égal à environ 3% de la population mondiale. Malgré la crise économique mondiale, ce nombre n’a cessé d’augmenter depuis 2005, lorsqu’il était estimé à environ 191 millions. Par ailleurs, en plus du nombre des migrants internationaux, le même Rapport estime que le nombre de migrants internes s’élevait en 2010 à près de 740 millions de personnes. Par conséquent, si l’on fait la somme des deux statistiques, le résultat est une estimation d’un milliard d’êtres humains, soit en d’autres termes un septième de la population mondiale, qui est touché sous une forme ou sous une autre par la réalité des migrations aujourd’hui. Une telle expansion de la mobilité humaine est surtout devenue une caractéristique structurelle du monde moderne. C’est devenu un phénomène stable et toujours plus important avec lequel des personnes individuelles et des organisations et communautés entières doivent compter. C’est un phénomène dans lequel « l’Eglise écoute le cri de souffrance de ceux qui sont déracinés sur leur propre terre, des familles divisées par la force, de ceux qui, dans les rapides changements modernes, ne trouvent nulle part de demeure stable », et où « elle perçoit l’angoisse de ceux qui sont sans droits, privés de toute sécurité, à la merci de tout type d’exploitation, et prend en charge leur malheur »[4].
Comme cela est dit dans la brève introduction de la Table Ronde de ce matin, la question de l’immigration est devenue un important sujet non seulement pour les institutions catholiques en France, mais aussi pour ces institutions en Europe et à travers le monde entier. A cette fin, les nombreuses déclarations et positions prises par des évêques et le développement des mesures sociales offertes par différentes organisations considérées comme explicitement catholiques en sont un clair témoignage. Mais la question est de savoir « pourquoi » : quelles sont les véritables raisons qui motivent l’Eglise catholique à participer au débat sur l’immigration ? Qu’est-ce qui la pousse à prendre position, à dialoguer et à agir ?
Si je puis me permettre de le faire, comme proposition pour notre réflexion de ce jour, je voudrais répondre : la rencontre avec Jésus-Christ vivant – voie vers la conversion, la communion et la solidarité. Cette simple phrase est un écho du thème choisi par l’Exhortation post-synodale Ecclesia in America, de 1999, du bienheureux Pape Jean-Paul II ; c’est une suggestion que je souhaite vous offrir dans le contexte de l’Année de la Foi, du 50ème anniversaire du Concile Vatican II et du Synode sur la nouvelle évangélisation qui s’est récemment achevé ; c’est une proposition que j’avance pour inspirer notre recherche d’aujourd’hui afin de répondre à la question de savoir pourquoi l’Eglise accorde tant d’attention aux migrations et à ceux qui sont impliqués dans ce phénomène.
La rencontre salvifique avec Jésus-Christ
L’expression la plus fondamentale et basique de la mission essentielle de l’Eglise est de conduire tous les hommes au salut et à l’union intime avec Dieu – le salut et l’union avec le Seigneur que seulement une rencontre avec le Christ vivant peut apporter. « L’Eglise est, dans le Christ », comme l’enseigne le Catéchisme de l’Eglise Catholique, « en quelque sorte le sacrement – c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. Etre le sacrement de l’union intime des hommes avec Dieu : c’est là le premier but de l’Eglise».[5] L’Eglise est le lieu où les hommes et les femmes peuvent rencontrer Jésus personnellement et, en lui, ils peuvent parvenir à la connaissance de l’amour du Père (cf. Jn 14, 9). Cette mission est universelle et ne connaît aucune limite car, étant fondée sur le mandat donné par le Christ à ses Apôtres avant sa glorieuse ascension au ciel, elle constitue un appel à diffuser le message évangélique à tous les peuples sans r
éserve ni obstacle. Cette pensée a été exprimée dans le discours du Pape Benoît XVI prononcé lors du consistoire ordinaire qui s’est tenu en novembre dernier dans la basilique Saint-Pierre « Jésus envoie son Eglise non à un groupe, mais à la totalité du genre humain pour le rassembler, dans la foi, en un unique peuple afin de le sauver ». Puis, citant Lumen Gentium, le Pape Benoît poursuivait : « “A faire partie du peuple de Dieu, tous les hommes sont appelés. C’est pourquoi ce peuple, demeurant un et unique, est destiné à se dilater aux dimensions de l’univers entier et à toute la suite des siècles pour que s’accomplisse ce que s’est proposé la volonté de Dieu ” (n° 13). L’universalité de l’Eglise puise donc à l’universalité de l’unique dessein divin de salut du monde »[6]. Par conséquent, cet unique dessein de salut constitue le fondement de toute l’activité de l’Eglise et, même si cette activité est incluse dans les structures de ce monde, son but ultime tend à la destinée de l’homme pour que celui-ci puisse participer à la vie divine de Dieu pour l’éternité.
Ceci n’est pas sans signification lorsque nous nous demandons aujourd’hui la raison pour laquelle l’Eglise est si engagée dans le domaine des vocations et accorde tant d’importance à ce sujet. En fin de compte, elle se préoccupe du salut de l’humanité. La théologie de l’Eglise et sa doctrine sociale, sa prière et sa pastorale, ainsi que les différentes formes de service public de l’Eglise ont toutes un dénominateur commun : conduire le genre humain vers la rencontre salvifique avec Jésus-Christ.
L’appel à la conversion
Comme je l’ai dit, je voudrais mettre en lumière dans cette réflexion trois aspects particuliers de cette rencontre avec Jésus-Christ dans le contexte des migrations, à savoir : une voie vers la conversion, vers la communion et vers la solidarité.
Le premier de ces aspects est celui de la conversion et, situé dans le contexte des tout récents événements qui ont eu lieu dans l’Eglise catholique, comme le Synode des Evêques pour l’inauguration de l’Année de la Foi, cette « conversion » doit être comprise comme une évangélisation et, mieux encore, comme une ré-évangélisation du monde moderne.
Dans sa lettre encyclique Redemptoris Missio, le bienheureux Pape Jean-Paul II a écrit : « Les frontières de la charge pastorale des fidèles, de la nouvelle évangélisation et de l’activité missionnaire spécifique ne sont pas nettement définissables et on ne saurait créer entre elles des barrières ou une compartimentation rigide. (…) Il est à noter qu’il existe une interdépendance réelle et croissante entre les différentes activités salvifiques de l’Eglise : chacune exerce une influence sur l’autre, la stimule et lui vient en aide ».[7] Ces mots, bien qu’écrits per se par le Saint-Père dans le contexte de l’activité missionnaire de l’Eglise, sont clairement devenus une caractéristique évidente dans le monde des migrations. Le début du nouveau millénaire a dévoilé une nouvelle face du phénomène migratoire. Alors qu’auparavant les flux migratoires s’effectuaient de l’Europe vers le Nouveau Monde, aujourd’hui l’Europe occidentale elle-même (y compris des pays comme la France) est devenue une destination des flux migratoires. Des migrants internationaux proviennent ainsi de pays d’Afrique, d’Asie, du Moyen-Orient et de l’Europe de l’Est, où les cultures sont souvent enracinées dans des religions non chrétiennes ou même pas du tout enracinées dans une religion. Les catholiques ne constituent plus la majorité des migrants.[8] Dans la situation telle qu’elle est, l’Eglise ne se soucie pas seulement de la nécessité et de l’importance de sauvegarder et de promouvoir l’engagement des catholiques dans la foi, mais elle se soucie de la nécessité de proclamer l’Evangile à un grand nombre de migrants qui n’ont encore jamais entendu parler du Christ, ainsi que de renouveler sa proclamation de l’Evangile à ceux qui ont pratiquement perdu le sens vivant du christianisme.
De fait, « le phénomène migratoire aujourd’hui est (…) une occasion providentielle pour la proclamation de l’Evangile au monde contemporain », comme l’écrit Benoît XVI dans son Message pour la Journée des Migrants et des Réfugiés de 2011. C’est une occasion de conversion, à savoir : découvrir (ou redécouvrir) la proposition de vie éternelle du Christ, qu’il peut seul offrir à l’homme. Une telle perspective encourage un esprit d’échange entre les Eglises, en les orientant vers le monde plus vaste, avec des influences positives sur tous les aspects. L’Eglise présente dans des pays traditionnellement catholiques doit arriver à comprendre qu’elle ne peut pas exercer sa mission envers les non-chrétiens dans d’autres pays et sur d’autres continents sans être sérieusement soucieuse du sort des non-chrétiens ou de ceux qui se sont éloignés de Dieu, chez eux.[9] Et il y a aussi des chrétiens qui ont émigré, emportant avec eux leur foi et leur tradition catholique, qui se retrouvent à vivre dans des pays de tradition non chrétienne. Ces hommes et ces femmes sont non seulement devenus les récepteurs, mais aussi les protagonistes de la proclamation ou de la « re-proclamation » de l’Evangile dans le monde moderne. Ainsi, le phénomène migratoire offre à l’Eglise une autre possibilité de devenir le « levain » dans le pain de la culture et de la société contemporaines : c’est-à-dire de « proclamer qu’en Jésus-Christ l’humanité participe du mystère de Dieu et de sa vie d’amour », et, « faire redécouvrir la beauté de la rencontre avec le Christ, qui appelle le chrétien à la sainteté, où qu’il soit, même en terre étrangère »,[10]</a> comme l’a écrit le Pape Benoît XVI dans son Message pour la Journée Mondiale des Migrants et des Réfugiés de 2012.
Je crois que nous ne pouvons pas oublier cette motivation significative qui sous-tend le désir de l’Eglise de mettre en œuvre des formes spécifiques de pastorale pour les migrants. En tenant compte de la complexité du phénomène des migrations aujourd’hui, si je puis me permettre de citer les paroles du Pape Benoît XVI, dans son Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini, « il est nécessaire que tous les diocèses intéressés se mobilisent afin que les mouvements migratoires soient aussi considérés comme une occasion de découvrir de nouvelles modalités de présence et d’annonce (…), pour que touchés par la Bonne Nouvelle, ils deviennent eux-mêmes des messagers de la Parole de Dieu et des témoins de Jésus Ressuscité, espérance du monde »[11].
La voie de la communion
Les migrations existent aujourd’hui dans un monde globalisé. Aucune Eglise ou région ne peut plus concevoir ses propres stratégies pour faire face aux défis de ce phénomène sans prendre en considération les autres Eglises et les autres continents. Il est nécessaire d’établir une perspective commune et globale pour saisir et affronter le phénomène migratoire global. La présence d’un si grand nombre de gens, de cultures et de religions si diverses, provenant de tellement de régions du monde, invite l’Eglise à une profonde conversion dans sa rencontre avec le Christ, de sorte qu’elle puisse vraiment devenir un sacrement d’unité et de communion parmi les nations.
Pour l’Eglise catholique, la migration n’est pas seulemen
t un problème politique, mais une question humaine et morale fondamentale. C’est un débat dans lequel l’Eglise apporte sa foi, ses principes moraux et sa longue expérience, car les migrants ont joué un rôle clef dans de nombreuses Eglises locales tout au long de l’histoire chrétienne. Les migrants ne représentent pas uniquement des nombres pour l’Eglise mais, suivant les enseignements de Jésus, ils sont nos frères et nos sœurs – nos « prochains », comme le proclame l’Evangile. Le Pape Benoît XVI, méditant sur la parabole du Bon Samaritain dans son Encyclique Deus Caritas Est, confirme clairement que, dans l’enseignement de Jésus, le concept de « prochain » ne peut plus se limiter uniquement à la « communauté solidaire d’un pays ou d’un peuple ».En effet, « celui qui a besoin de moi et que je peux aider, celui-là est mon prochain ». Et le Saint-Père poursuit en affirmant que « le concept de prochain est universalisé et reste cependant concret. Bien qu’il soit étendu à tous les hommes, il ne se réduit pas à l’expression d’un amour générique et abstrait, qui en lui-même engage peu, mais il requiert mon engagement concret ici et maintenant ».[12] Etre notre prochain ne dépend pas du lieu où un migrant est né ni de quels papiers il possède. Ainsi, dans le cadre de notre réflexion d’aujourd’hui, il faut donc considérer comme une vocation chrétienne particulière, découlant de la rencontre salvifique personnelle avec le Seigneur lui-même, de voir dans le migrant cet « engagement concret » d’aide et d’amour,précisément « ici et maintenant ». De fait, l’Eglise enseigne que tous les hommes sont frères et sœurs et le statut du migrant ne change rien à cela. Dans son ministère à l’égard des migrants et des nouveaux arrivants, deux caractéristiques particulières doivent être prises en compte : la protection de la dignité de chaque être humain et le rassemblement des enfants de Dieu dispersés en un seul.
Le rôle de l’Eglise catholique dans le domaine de la migration s’enracine dans sa doctrine sociale et repose, en particulier, sur le principe du respect de la dignité de la personne humaine. Son respect des migrants comme êtres humains la qualifie de façon unique pour aider les nations à comprendre « ce qui est juste » pour eux. L’Eglise estime que seulement un système migratoire juste permettra aux immigrants de réaliser leurs aspirations fondamentales et, en faisant cela, servira le bien de tous. C’est la raison pour laquelle l’Eglise participe au débat concernant la situation actuelle des migrations et offre son assistance pour l’élaboration d’une législation juste, dans laquelle la vie des nouveaux arrivants peut être enrichie et où le bien de la nation particulière qui les accueille peut être servi.
Pour les nouveaux arrivants, devenir membres à part entière ne se fait pas en une nuit, et cela ne se fait pas non plus par les seules réformes de la législation sur l’immigration. En dernière instance, le processus d’intégration – l’édification de la communion entre « frères et sœurs » – ne requiert pas seulement des opportunités politiques, sociales et économiques, mais la construction d’un sens de communauté et de valeurs partagées. Comme le dit le Pape Benoît XVI dans son Message de cette année pour la Journée mondiale des Migrants et des Refugiés : « La promotion humaine va de pair avec la communion spirituelle, qui ouvre les voies “à une conversion authentique et renouvelée au Seigneur, unique Sauveur du monde” (Lett. Ap. Porta fidei, n° 6). C’est toujours un don précieux qu’apporte l’Église en menant à la rencontre avec le Christ qui ouvre à une espérance stable et fiable » [13].
La voie de la solidarité
La rencontre avec le Christ vivant qui change la vie de l’homme et apporte le salut est une voie vers l’expression de la solidarité parmi les peuples. En effet, cette solidarité est motivée par la foi de l’Eglise et par la confiance dans le Seigneur et elle encourage l’humanité, non seulement à aider les migrants par des actes d’assistance individuels, mais aussi à développer une culture d’accueil globale. Cette culture de l’accueil comporte l’assistance, l’accueil au sens le plus large et une intégration authentique. Comme nous le lisons dans l’Instruction du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement, l’Eglise est appelée « à apporter son aide, en associant l’exigence légitime d’ordre, la légalité et la sécurité dans la société avec la vocation chrétienne concrète d’accueil et de charité ».[14]
C’est la foi (ou, en d’autres termes, la rencontre personnelle avec le Christ vivant) qui appelle à protéger la justice, la dignité humaine et la solidarité, pour les empêcher d’être récupérées par différentes idéologies et politiques qui, par essence, mettraient en œuvre leurs propres intérêts. Pour l’Eglise, les droits de l’homme sont enracinés dans la personne – une approche qui diffère souvent radicalement des approches prônées par les courants modernes de pensée, où les droits de l’homme sont davantage conçus en termes de ce que croit l’opinion publique ou de ce que la loi reconnaît. L’appel à la solidarité est un appel à promouvoir la reconnaissance effective des droits des migrants et à surmonter toute discrimination basée sur l’ethnicité, la culture ou la religion. Cette idée se retrouve bien dans le Message du bienheureux Jean-Paul II pour la Journée Mondiale des Migrants de l’an 2000 : « Cela signifie témoigner d’une vie fraternelle fondée sur l’Evangile, qui respecte les diversités culturelles, ouverte au dialogue sincère et généreux ». Puis le Saint-Père poursuivait en déclarant : « Cela comporte la promotion du droit de chacun de pouvoir vivre dans son pays dans la paix, ainsi que l’attente vigilante afin que dans tous les Etats, la législation relative à l’immigration se fonde sur la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne humaine ».[15]
Dans un esprit de solidarité, l’Eglise est appelée à se faire l’avocate ferme et soucieuse de la défense des droits des personnes à se déplacer librement à l’intérieur de leur propre pays et, lorsqu’elles y sont poussées par la pauvreté, l’insécurité et les persécutions, à quitter leur foyer en ayant le droit de vivre dans la dignité. Dans cet esprit, l’Eglise a la responsabilité d’assurer que l’opinion publique est correctement informée sur les causes qui engendrent les migrations et sur les facteurs qui forcent les gens à quitter leurs foyers. Elle doit s’opposer au racisme, à la discrimination et à la xénophobie, partout et toujours, lorsqu’ils se manifestent : au sein de ses propres communautés, dans les pays ou sur des continents entiers. La foi chrétienne appelle les croyants à ne pas considérer les migrants comme des marchandises, des étrangers en situations irrégulières ou de simples victimes, mais comme des êtres humains qui ont droit à une considération globale de leurs besoins, et dont les apports spécifiques et les contributions économiques, sociales et culturelles doivent être pris en compte. Par dessus tout, la solidarité avec les migrants requiert qu’ils soient accompagnés et inclus dans les processus de prise de décisions qui auront des incidences et décideront des orientations de leurs vies. La solidarité signifie également assumer la responsabilité de ceux qui se trouvent dans des situations pénibles.
Pour les disciples du Christ, le migrant n’est pas simplement un individu
qui doit être respecté en vertu des normes établies par les lois nationales, mais un être humain dont la présence les interpelle et dont les besoins impliquent obligatoirement leur responsabilité. Si je puis citer un passage du Livre de la Genèse : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » (cf. Gn 4, 9). Pour l’Eglise, la réponse ne se limite pas uniquement à ce qui est imposé par la loi, mais elle se forge à l’aune de la solidarité – une solidarité qui provient de la foi de l’Eglise et de sa relation avec le Christ vivant.
Conclusion
Comme je l’ai maintes fois mentionné dans ce discours, au point de le moduler comme un refrain, la rencontre salvifique avec le Christ vivant inspire l’Eglise dans ses activités en faveur des migrants et des personnes en déplacement : elle l’appelle constamment à la conversion ; elle conduit ses pas vers la communion et constitue la voie de la solidarité parmi toute l’humanité. Pour faire référence au motu proprio Porta Fidei du Saint-Père, qui a inauguré l’Année de la Foi, nous pouvons dire que la foi est la rencontre avec le Christ vivant, « elle est une compagne de vie qui permet de percevoir avec un regard toujours nouveau les merveilles que Dieu réalise pour nous. Engagée à saisir les signes des temps dans l’aujourd’hui de l’histoire, la foi incite chacun de nous à devenir signe vivant de la présence du Ressuscité dans le monde ».[16]
C’est donc par ces mots que je termine mon discours, dans l’espoir que les pensées et les idées que j’ai suggérées puissent stimuler la discussion à venir et le dialogue qui nous attend dans les prochaines heures. En vous remerciant de votre attention, je nous souhaite à tous d’être inspirés par l’Esprit Saint.
Merci beaucoup.
[1] Concile Vatican II, Gaudium et Spes, n° 1.
[2] Ibidem, n. 3.
[3] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale des Migrants et des Réfugiés 2013, dans : L’Osservatore Romano (édition hebdomadaire en langue française), n° 44 du 1 novembre 2012, p. 5.
[4] Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale des Migrants et des Réfugiés 2000, n° 6, dans : L’Osservatore Romano (édition hebdomadaire en langue française), n° 50 du 14 novembre 1999, p. 10.
[5] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 775.
[6] Benoît XVI, Discours au Consistoire ordinaire (24 Nov. 2012), dans : L’Osservatore Romano (édition hebdomadaire en langue française), n° 48 du 29 novembre 2012, p. 8.
[7] Jean-Paul II, Lettre Encyclique Redemptoris Missio, n° 34.
[8] Cf. Pew Research Center, Faith on the Move, Pew Research Center 2011, p. 11.
[9] Cf. Jean-Paul II, Lettre Encyclique Redemptoris Missio, n° 34.
[10] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale des Migrants et des Réfugiés 2012,dans : L’Osservatore Romano (édition hebdomadaire en langue française), n° 39 du 29 septembre 2011.
[11] Benoît XVI, Exhortation post-synodale Verbum Domini, n. 105.
[12] Benoît XVI, Lettre Encyclique Deus Caritas Est, 15.
[13] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale des Migrants et des Réfugiés 2013,dans : L’Osservatore Romano (édition hebdomadaire en langue française), n° 44 du 1 novembre 2012, p. 5.
[14] Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement, Instruction Erga migrantes caritas Christi, Libreria Editrice Vaticana 2004, n° 42.
[15] Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale des Migrants et des Réfugiés 2000, n° 6, dans : L’Osservatore Romano (édition hebdomadaire en langue française), n° 50 du 14 dicembre 1999, p. 10.
[16] Benoît XVI, Motu proprio Porta Fidei, n° 15, dans : L’Osservatore Romano (édition hebdomadaire en langue française), n° 42 du 20 octobre 2011, p. 11.