Eddy et Marc Verbessem, 45 ans, de Putte, près d’Anvers, sont morts par euthanasie en Belgique, à Bruxelles, le 14 décembre 2012, a indiqué le quotidien flamand « Het laatste Nieuws » du 12 janvier 2013. Leur frère Dirk Verbassem estime que leur vie était devenue « insupportable », selon « The Telegraph ». En cliquant sur ce lien, on peut écouter le Dr. David Dufour évoquer cette mort, en néerlandais.
L’Institut Européen de Bioéthique (www.ieb-eib.org), de Bruxelles, réagit en faisant observer que l’affaire « met la médecine et la société au défi d’imaginer les manières d’accompagner les personnes en souffrance sur les chemins de la vie, et pas seulement sur la voie de la mort ». Nous reproduisons in extenso leur analyse qui nous parvient ce 19 janvier 2013.
Fin de vie
Eddy et Marc Verbessem, de vrais jumeaux (monozygotes), étaient nés sourds. Inséparables et restés célibataires, ils ont toujours vécu sous le même toit. Ils ont été euthanasiés ensemble, à leur demande, le 14 décembre dernier à l’UZ Brussel (Clinique universitaire) de Jette. Ils avaient 45 ans.
Leur demande d’euthanasie trouve son origine dans le diagnostic d’un glaucome, une maladie dégénérative du nerf optique qui peut conduire à la cécité. D’après nos informations (difficiles à vérifier), ils souffraient d’une anomalie génétique en vertu de laquelle ils deviendraient progressivement mais, semble-t-il, irrémédiablement aveugles. Cette perspective, jointe à l’idée de perdre leur autonomie, leur était insupportable.
L’affaire a été présentée par certains médias comme une première. Il n’était pas encore arrivé que deux frères demandent et obtiennent ensemble l’euthanasie. Par contre, des couples avaient déjà été euthanasiés ensemble.
Est-on en dehors du cadre de la loi relative à l’euthanasie ?
Pas nécessairement. Il est probable que toutes les conditions de la loi étaient formellement réunies. On peut penser qu’ils ont formulé une demande volontaire, répétée et sans pression extérieure. Ils ont fait état d’une maladie incurable et d’une souffrance psychique insupportable. Celle-ci résulte en réalité, ici, de l’anticipation de la souffrance future associée à la cécité et à la perte d’autonomie. Quant aux autres conditions, on peut supposer qu’elles ont été satisfaites : informations diverses à fournir, consultation d’un second médecin, etc.
Les jumeaux n’étaient pas en phase terminale…
Le grand public est surtout choqué ou interpellé, en particulier à l’étranger, par le fait que les deux jumeaux n’étaient pas en phase terminale. Il faut toutefois rappeler que la loi belge permet aussi l’euthanasie lorsque le décès n’est pas prévu à brève échéance. Dans ce cas, deux conditions s’ajoutent à celles déjà énoncées. Tout d’abord, il y a lieu de consulter un autre médecin indépendant, psychiatre ou spécialisé dans la pathologie concernée. En l’occurrence, un psychiatre de l’équipe du médecin qui a euthanasié les jumeaux aurait été préalablement consulté. Ensuite, un mois de réflexion au moins doit s’écouler entre la demande écrite du patient et l’acte d’euthanasie.
Le ver est dans le fruit
Il reste que cette affaire suscite un malaise. Pourquoi ? Tout se passe comme si, insensiblement, l’euthanasie en venait à représenter la réponse humainement la plus digne dans des situations de souffrance. La loi belge est conçue et interprétée en termes si larges que l’euthanasie et l’assistance médicale au suicide apparaissent acceptables dès l’instant où l’intéressé en formule librement la demande. Il faut une maladie incurable. Certes, mais la liste des maladies incurables est pratiquement infinie (diabète, rhumatisme, arthrose…). Il faut faire état d’une souffrance physique ou psychique insupportable. Certes, mais la notion de souffrance psychologique est laissée à l’appréciation subjective de l’intéressé. En outre, on l’a dit, l’euthanasie est permise même si le décès n’est pas prévu à brève échéance. Au total, le dispositif légal est pratiquement taillé sur mesure pour autoriser l’euthanasie sur simple demande volontaire et répétée de tout qui souffre de maux divers, de solitude ou de lassitude de vivre… A mesure que diminue le seuil de tolérance à l’égard de la maladie et de la souffrance, l’euthanasie risque bel et bien de se banaliser.
Cette affaire interpelle car elle met la médecine et la société au défi d’imaginer les manières d’accompagner les personnes en souffrance sur les chemins de la vie, et pas seulement sur la voie de la mort.
Il est certain que nous assistons déjà, dans les faits, à une banalisation de l’acte euthanasique en Belgique. La preuve en est qu’à l’époque où la loi fut discutée et adoptée, une majorité de parlementaires estimaient que la société n’était pas prête à admettre l’euthanasie des mineurs et des déments. Aujourd’hui, par contre, des hommes et femmes politiques de plusieurs partis considèrent que l’heure est venue de franchir ce nouveau pas. A leurs yeux, la population est désormais prête à accepter ce qu’elle aurait réprouvé dix ans plus tôt. Difficile de nier que l’euthanasie et le suicide assisté se banalisent effectivement… Est-ce la manière dont la société entend rencontrer la détresse et la souffrance des personnes vieillissantes ou fragilisées par la maladie ou un handicap ?