Quatre affaires concernant des employés du Royaume-Uni sanctionnés en raison de leur religion, portées devant la Cour européenne, montrent une « tendance liberticide contemporaine visant à cantonner la liberté religieuse à une simple liberté de culte », qui de ce fait « ne garantit pas aux croyants la faculté de se comporter en public conformément à leur conscience, différemment de la majorité ».
C’est l’anayse de Grégor Puppinck, directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), pour qui « cette diminution de la liberté religieuse, réduite à une simple liberté de culte, serait une régression de la liberté religieuse en Europe ».
Le 15 janvier 2013 la CEDH rendra public ses arrêts dans les quatre affaires opposant au Royaume-Uni des employés chrétiens pour violation de leur liberté de religion dans le cadre professionnel.
L’une de ces affaires est particulièrement d’actualité dans le contexte du débat français sur le « mariage homosexuel » car elle porte sur la faculté pour un officier d’état civil de refuser, au nom de sa conscience, de « célébrer » des partenariats civils entre personnes de même-sexe.
Strasbourg, le 8 Janvier 2013.
Mardi 15 Janvier 2013, la Cour européenne des droits de l’homme rendra public ses jugements dans les affaires Nadia Eweida, Shirley Chaplin, Lillian Ladele et Gary McFarlane contre le Royaume-Uni, concernant le droit d’employés chrétiens de ne pas être victime de discrimination dans le cadre professionnel en raison de leur religion (affaires nos. 48420/10, 59842/10, 51671/10 et 36516/10).
Dans ces quatre affaires, ces employés ont été sanctionnés par leur employeur, et ont même perdu leur emploi, pour avoir suivi les prescriptions de leur conscience et de leur religion en portant une petite croix autour du cou (dans les cas Eweida et Chaplin) et en refusant d’enregistrer des unions homosexuels à l’état civil (cas Ladele). Dans le cas de M. McFarlane, conseiller conjugal, celui-ci a été licencié après avoir partagé avec ses supérieurs ses doutes quand à sa capacité morale de conseiller des couples de même sexe. (Résumé des faits ci-dessous)
L’ECLJ est intervenu en tant que tierce partie (amicus curiae) dans la procédure devant la CEDH dans deux de ces affaires, à savoir Ladele contre Royaume-Uni (n ° 51671/10) et McFarlane c Royaume-Uni (n ° 36516 / 10) et a présenté des observations écrites à la Cour.
L’audience de ces affaires s’est tenue le 4 septembre 2012. Durant celle-ci, alors que les quatre requérants ont fait valoir le respect de leur liberté de religion et de conscience ainsi que le droit de ne pas être discriminé en raison de leur foi, le gouvernement eut comme principale argument en réponse que la liberté religieuse des requérants est respectée parce qu’ils sont libres de démissionner et de pratiquer leur religion en privé. Un tel argument est surréaliste car les requérants n’étaient pas « libres » de démissionner : ils ont été licenciés. De plus, sur le fond, cet argument nie la dimension sociale de la religion et manifeste une tendance liberticide contemporaine visant à cantonner la liberté religieuse à une simple liberté de culte (une liberté d’avoir et de pratiquer une religion en privé). Une telle liberté de culte ne garantit pas aux croyants la faculté de se comporter en public conformément à leur conscience, différemment de la majorité. Cette diminution de la liberté religieuse, réduite à une simple liberté de culte, serait une régression de la liberté religieuse en Europe à ce qui se pratique dans les pays musulmans et communistes. Le laïcisme aboutit au même résultat : réduire la liberté des chrétiens au seul culte privé, tout en laissant une pleine liberté à la seule religion ou idéologie officielle, notamment en ce qu’elle a d’antichrétien. En réalité, la liberté de culte est seulement une composante de la liberté religieuse qui, de façon plus large garantit que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. » (Article 9 de la CEDH)
Résumé des faits :
Chaplin et Eweida (requêtes n° 59842/10 et 48420/10)
Les requérantes, Mme Nadia Eweida et Mme Shirley Chaplin ont travaillé respectivement à partir de 1999 et à partir d’Avril 1989, en tant que membre du personnel d’enregistrement pour British Airways et comme infirmière dans un service de gériatrie pour « the Royal Devon » et « Exeter NHS Foundation Trust ». Elles portaient ouvertement une petite croix d’argent attachée à une chaînette autour du cou.
En Septembre 2006, Mme Eweida a été renvoyée chez elle, sans salaire, jusqu’à ce qu’elle accepte de se conformer au code vestimentaire uniforme de British Airways qui permet de porter un turban sikh ou un foulard islamique, mais pas une croix chrétienne. En Octobre 2006, il lui a été proposé un travail administratif sans obligation de porter un uniforme ni d’être en relation directe avec des clients ; proposition qu’elle refusa. Elle pu finalement revenir travailler en Février 2007, lorsque la politique de l’entreprise fut modifiée pour permettre le port de symboles religieux et pacifiques, comme la croix chrétienne ou l’étoile de David pour lesquelles l’autorisation fut immédiate.
Quant à Mme Chaplin, en Juin 2007, son manager lui a demandé de retirer le crucifix qu’elle portait autour du cou. Sa demande d’autorisation de continuer à porter son crucifix lui a été refusée au motif que cela pouvait causer des blessures si un patient venait à tirer dessus. En Novembre 2009, elle a été déplacée vers un poste temporaire sans tâches d’infirmière et qui a cessé d’exister en Juillet 2010.
Les deux requérantes ont déposé plainte auprès des tribunaux nationaux, se plaignent en particulier de discrimination pour motifs religieux, mais leurs demandes ont été rejetées. Dans le cas de Mme Eweida, les juridictions ont estimé que le port visible de la croix n’était pas une exigence de la foi chrétienne, mais le choix personnel de la requérante et qu’elle n’avait pas réussi à établir que la politique vestimentaire de British Airways avait mis les chrétiens en général dans une situation désavantageuse.
Ladele et McFarlane (requêtes n° 51671/10 et 36516/10)
Mme Lilian Ladele et M. Gary McFarlane ont été employés respectivement en tant que greffier de l’arrondissement londonien d’Islington entre 1992 et 2009 et en tant que conseiller conjugal pour « Relate » de mai 2003 à Mars 2008. Tous deux considèrent que les relations homosexuelles sont contraires à la loi divine, et par suite à leur conscience. Lorsque la loi sur le partenariat civil est entrée en vigueur au Royaume-Uni en Décembre 2005, la première requérante a été informée par son employeur qu’elle serait tenue d’officier à des cérémonies de partenariat civil entre des couples homosexuels. Refusant cette nouvelle tache pour motif de conscience, une procédure disciplinaire a été engagée contre elle en mai 2007 ; procédure qui a conclu que, si elle refusait de remplir son office lors de cérémonies de partenariat civil pour homosexuels, elle violerait par-là la politique d’égalité et de diversité du Conseil d’Islington et son contrat pourrait être résilié, ce qui fut le cas.
Dans le cas de M. McFarlane, à la fin de l’année
2007 ses supérieurs ainsi que certains de ses collègues ont exprimé leur crainte qu’il y ait un conflit entre ses convictions et le fait de fournir un conseil conjugal à des couples de même sexe. En Mars 2008, après une enquête disciplinaire, M. McFarlane a été licencié sans préavis, en application de la politique d’égalité des chances de « Relate », pour faute grave au motif qu’il aurait faussement déclaré accepter de conseiller des couples de même sexe.
Les juridictions nationales, saisies par les deux requérants, ont donné raison aux employeurs en estimant que leurs employeurs ont non seulement le droit de les obliger à s’acquitter pleinement de leurs tâches, mais qu’ils ont aussi le droit de refuser de considérer leurs points de vue lorsqu’ils contredisent les principes éthiques déclarés par les entreprises.
Les quatre requérants ont saisi la Cour européenne : ils accusent le Royaume-Uni d’avoir violé leur liberté religieuse et de les avoir discriminés au motif de leur religion, en donnant raison aux employeurs.