Propos recueillis par Anita Bourdin
ROME, lundi 20 août 2012 (ZENIT.org) – Après être allés à pied à Jérusalem, Mathilde et Edouard Cortès récidivent : ils viennent de repartir à Rome, mais cette fois-ci avec leurs filles et … un âne.
Zenit a recueilli leur témoignage de cette nouvelle aventure.
Zenit – C’est un bonheur que d’avoir de vos nouvelles. Rappelons à nos lecteurs les plus récents que vous avez partagé avec Zenit votre voyage de noces à pied, dans la pauvreté et l’abandon à la Providence divine : 5788 km à pied de Paris-Notre-Dame au Saint-Sépulcre à Jérusalem, entre le 17 juin 2007 et le 3 février 2008. Vous avez « piétonné » pour la paix et l’unité des chrétiens, et porté quelque 400 intentions de prière confiées par nos lecteurs.
Quand vous êtes revenus, vous attendiez votre premier enfant. Vous en avez trois aujourd’hui. Et vous avez repris la route. Alors, avant de parler de cette nouvelle marche, vers Rome, dites-nous un peu comment vous avez « atterri » dans notre monde, repris pied: famille, travail, d’autres « marches »?
Mathilde et Edouard Cortès – Peut-on vraiment « atterrir » de l’expérience que nous avons vécue en marchant vers Jérusalem ? La difficulté a été de conserver dans notre quotidien l’attention à la délicate présence de Dieu et la capacité d’émerveillement. Avec 3 enfants rapprochés en âge, nous avons rapidement caché sous notre devoir de parents la force spirituelle qui nous a fait cheminer.
Concrètement, durant ces 5 années depuis notre départ pour Jérusalem, notre temps s’est partagé entre témoignages et conférences, écriture de livre, réalisation de films pour le côté professionnel. Avec également pour Edouard la poursuite de son activité de journaliste indépendant et une expérience enrichissante comme berger pendant 6 mois d’estive avec un troupeau de 500 moutons. En famille aussi un engagement avec St Jean Espérance, association de la Communauté Saint Jean qui accueille des anciens toxicomanes. Tout cela nous a mené à nous installer à la campagne avec nos 3 petites fées : Jeanne 3 ans et demi, Marie 2 ans et Emmanuelle 9 mois.
D’où êtes-vous partis et combien de temps avez-vous mis?
En la fête de Saint Joseph, le 19 mars 2012, nous sommes partis de la cité du Puy en Velay. D’abord parce que c’est une cité mariale. Ensuite parce que Le Puy est dans l’histoire un point de rassemblement de pèlerins. On y vient en pèlerinage pour la Vierge Noire et on y part en pèlerinage. Aujourd’hui les départs se font essentiellement vers Saint Jacques de Compostelle. C’est un phénomène récent. Certains choisissent de marcher vers Rome. Partir du Puy, c’est placer Rome et Saint Jacques à une quasi égalité de kilomètres, environ 1.400, ce qui constitue une marche au long cours fabuleuse pour ceux qui seraient tentés par l’aventure d’un pèlerinage romain.
Au pas de l’âne et au rythme des enfants, nous avons mis 4 mois pour arriver place Saint Pierre.
Vous avez suivi la « via Francigena » ?
La dénomination Via Francigena, « voie des Francs » ou « chemin des Francs », est apparue vers le 9èmesiècle pour désigner l’ensemble des chemins empruntés par les pèlerins et voyageurs, venant aussi bien de l’actuel pays de France que du sud de l’Allemagne longtemps considéré comme « le pays des Francs », pour se rendre à Rome. La Via Francigena est appelée aussi « Via Romea ». On pourrait la comparer au Camino Frances qui traverse l’Espagne pour aller jusqu’à Santiago.
Depuis Le Puy jusqu’au col de Montgenèvre où nous avons franchi les Alpes (soit la partie française de notre périple), nous n’étions pas sur un itinéraire « balisé » mais sur un itinéraire historique de voies romaines via Valence, Gap, Briançon, Montgenèvre. A partir de là, nous avons trouvé le balisage actuel de la Via Francigena vers Susa, Turin, Verceil, Pavie, Lucques, Sienne, Viterbe et Rome.
La Via Francigena est aujourd’hui correctement balisée pour les marcheurs en Italie. Classé à l’instar des chemins de Compostelle « itinéraire culturel européen » depuis 1994 par le Conseil de l’Europe, le tracé choisi reprend la plupart des étapes d’un évêque anglais, Sigéric, venu chercher son pallium à Rome en 990. Cependant, de nombreuses variantes existent. La Via Francigena ne doit pas être enfermée dans un concept récent de balisage unique. Le pèlerin comme le marchand ou le guerrier empruntait toujours le réseau routier laissé par l’Empire romain et suivait la logique du relief. Tous les chemins mènent à Rome !
Pourquoi Rome?
A l’arrivée place Saint Pierre, Jeanne, malicieuse, se tourne vers son père et lui demande : « Papa, pourquoi on est venu à Rome ? ». Un peu décontenancé, Edouard n’a pu que répondre : « Pour manger une glace ! ». Il ne faut jamais demander à un pèlerin pourquoi il est parti… Trop de raisons lui sont secrètes et enfouies au fond de lui.
Nous pouvons tout de même énoncer quelques raisons à ce choix :
– C’est avant tout par et pour la foi que nous nous sommes jetés sur les routes de Rome. Par la foi, car en tant que catholiques nous nous sentons portés, en chemin. Pour la foi, parce que nous sentons le besoin permanent de nous convertir. La démarche de pèlerinage est devenue pour nous le moyen extérieur de faire grandir notre réalité intérieure.
– Les chemins de pèlerinage qui mènent à Rome sont comme les veines de l’Europe historiquement chrétienne. Nous avons suivi ces artères vers le cœur battant qu’est l’Eglise. Marcher vers Rome c’est retrouver ses racines. Nous avons voulu transcrire par nos pieds l’attachement que nous portons à l’Eglise et au Saint Père et le transmettre à nos enfants.
– En 2007, nous étions allés en couple de Paris à Jérusalem. Edouard avait été seul en 1999 à Saint Jacques de Compostelle depuis Rocamadour. Des trois pèlerinages chrétiens dits « majeurs » nous manquait Rome. Il est heureux que nous ayons pu accomplir cette démarche en famille.
Vous portiez une intention de prière particulière ?
Nous n’avions pas d’intention particulière si ce ne sont celles confiées par nos proches. Mais nous avions à cœur de prier tout spécialement pour la France en cette période d’élections présidentielles et pour l’Eglise et le Saint Père vers lesquels nous marchions.
Nous avons emporté sur le dos de notre âne Octave une reproduction en bois de la Vierge Noire de la cathédrale du Puy. Cette Vierge « pèlerine » a élu domicile chaque soir chez ceux qui nous recevaient : chez des religieux, dans des paroisses, chez des particuliers, dans des hôtels ou chambres d’hôtes. Nous la confiions à nos hôtes qui la plaçaient où ils voulaient. Elle a ainsi « dormi » dans des endroits improbables : chez Giorgio un anarchiste affiché, sur le comptoir de la réception d’un hôtel à Altopascio, entre les bouteilles d’un bar, dans une écurie, sous notre toile de tente…
Et pourquoi… avec les enfants: que voulez-vous leur transmettre, ou quelle expérience vouliez-vous leur faire faire?
Nous voulions vivre une aventure en famille avant les contraintes de la scolarisation (première rentrée début septembre pour Jeanne). Nous avons eu la chance de prendre le temps : 4 mois ensemble. Nous voulions faire partager à nos enfants, même de manière peu consciente, les joies de la route et de la vie au grand air. Leur faire vivre l’expérience de simplicité liée au pèlerinage à pied. Et celle de l’ouverture aux autres et au monde. Durant 4 mois, nous avons en effet tous les jours rencontré des personnes et situations nouvelles. De retour à la maison, seule avec M
aman et ses 3 sœurs, Jeanne s’est d’ailleurs plainte : « Maman, aujourd’hui on n’a pas d’amis… »
Nous sommes conscients du fait que Marie et Emmanuelle n’auront pas de souvenirs en dehors des photos et des films et Jeanne sans doute seulement quelques bribes. Mais nous sommes convaincus, qu’inconsciemment, ce pèlerinage aura laissé une marque profonde en elles.
A suivre, demain, 21 août 2012.