Traduction d’Hélène Ginabat
ROME, vendredi 27 juillet 2012 (ZENIT.org) – « La mission doit aujourd’hui être conçue à 360 degrés », déclare Ilaria Morali, professeur à l’Université pontificale grégorienne (PUG). C’est pourquoi, pour reprendre la « vision large du profil de l’évangélisateur » promue par le Concile Vatican II, le département de missiologie de la Grégorienne propose une nouvelle formation destinée « non seulement aux membres des instituts missionnaires mais à tous les fidèles ».
Directeur adjoint de ce département, Ilaria Morali, présente les nouvelles orientations de la formation et les défis de la missiologie aujourd’hui.
Votre département a récemment renouvelé les thèmes, la structure et l’organisation de ses cours : les racines « missionnaires » de la Grégorienne sont anciennes…
C’est certain ! Voilà pourquoi, ces dernières années, à la Grégorienne nous avons longtemps planché sur le rôle, l’avenir et les finalités de la faculté de missiologie. Depuis novembre dernier, nous avons donc travaillé en profondeur pour donner au département de missiologie une physionomie concrète et opérationnelle à partir de la prochaine année académique 2012-2013 : un profil à la hauteur des défis qui se présentent à l’Eglise.
Dans ce but, nous avons travaillé dans différentes directions. Pour commencer, nous sommes retournés aux origines « ignatiennes » de la formation missionnaire à la Grégorienne, en étudiant de près l’histoire du Collège romain, précurseur de notre université, qui fut le lieu où se formèrent des missionnaires du calibre de Matteo Ricci. En approfondissant certains aspects de la vitalité et de la pédagogie du Collège romain (1551), nous avons été impressionnés par la solidité du projet éducatif qu’il proposait, par sa rigueur comme par sa grande modernité, et par la finalité explicitement apostolique de cette institution.
Ce n’est qu’en 1932 qu’une véritable Faculté de missiologie fut instituée : vous vous êtes inspirés des débuts de la Compagnie de Jésus?
Un renouvellement authentique implique toujours une opération de récupération de la mémoire. Je pense par exemple au choix qu’ont faits les jésuites de la Grégorienne en introduisant dans la faculté naissante des disciplines comme le droit missionnaire et la dogmatique missionnaire, la morale, ou comme certains domaines précis relatifs aux sciences humaines (on enseignait des matières comme les statistiques, la géographie, la psychologie, etc.). Cela ne signifie pas un retour en arrière, mais plutôt de se mettre à l’écoute de cette expérience. A cette époque, par exemple, on ne concevait ces disciplines qu’en vue de l’action de l’Eglise sur des terres pas encore évangélisées, « de première annonce ».
Aujourd’hui, au contraire, le terme « missionnaire » doit être compris dans un sens beaucoup plus large, en rapport avec l’essence même de l’Eglise qui est missionnaire, tant dans l’occident déchristianisé que dans des pays de première évangélisation. C’est pourquoi, en récupérant ces références typiques de la physionomie de la faculté, nous avons pensé qu’il était nécessaire de les réintroduire, mais d’un point de vue renouvelé, à la hauteur des temps que nous vivons. Le critère d’innovation est celui des « thèmes de frontière », ainsi définis parce qu’ils sont étroitement liés aux défis que le monde d’aujourd’hui lance à la foi et à l’évangélisateur. Concrètement, nous nous sommes posé cette question : quels sont les défis que l’heure actuelle pose au monde catholique ?
Quels sont ces « thèmes de frontière » ?
Dans tout traité théologique inhérent à la foi, se posent des problèmes importants qu’on ne peut éluder : il suffit de penser à la discussion actuelle sur le caractère unique de la médiation du Christ et aux conséquences de ce débat, dans certains milieux, sur le plan de la mission. Nous avons donc pensé établir une série de disciplines, surtout théologiques, sur lesquelles concentrer tous nos efforts pour examiner les grandes questions qui interpellent l’Eglise dans sa mission. Les thèmes de frontière vont des questions inhérentes à la théologie sacramentelle, comme le mariage dans une société à majorité non chrétienne, ou le thème de la conversion entre grâce et liberté, ou la relation entre l’art et la foi en lien avec le langage religieux.
Il y a aussi des questions de théologie morale : que l’on pense aux problèmes de caractère moral qu’un missionnaire doit affronter en Afrique s’il travaille auprès de personnes malades du sida ou quand la foi devient une valeur au sein d’une société où subsistent d’autres critères. Il y a pourtant des questions de caractère philosophique, tout aussi fondamentales pour comprendre les défis qui se posent à l’Eglise dans la période actuelle. Je prévois donc aussi des cours à caractère philosophique, pour étudier les racines de telle ou telle option théologique ou même sociale propre à notre monde contemporain.
C’est pour donner le plus grand spectre possible de réponses et d’indications que nous avons demandé la collaboration de nombreux professeurs. Le programme que le département de missiologie offrira à partir de l’année 2012-2013 est le fruit du travail collégial d’une équipe qui a généreusement accepté l’invitation à mettre en commun ses compétences. Nous aurons des professeurs de différentes facultés de la Grégorienne, ainsi que l’apport d’enseignants de l’Institut pontifical oriental et d’autres institutions universitaires présentes à Rome.
Quelles sont les deux orientations particulières de ce département de missiologie ?
Oui, nous avons pensé articuler l’offre de formation selon deux directions spécifiques : la Mission ad gentes, un itinéraire de formation destiné à ceux qui seront appelés à exercer leur activité d’évangélisateurs sur des terres de première évangélisation, auquel s’ajoute une seconde orientation totalement nouvelle – la Nouvelle évangélisation – justement parce que nous pensons que la mission doit aujourd’hui être conçue à 360 degrés.
Quand vous parlez de « mission à 360 degrés », cela veut-il dire repenser le profil de l’évangélisateur, la figure du missionnaire « classique » ?
C’est justement en vertu du baptême et de la confirmation que tout fidèle, qu’il soit prêtre, religieux ou laïc, est appelé à témoigner et à annoncer la Bonne nouvelle. Si l’on relit le préambule ainsi que le n. 11 du Décret Ad gentes, les Pères conciliaires parlent de « tous les fidèles » et du « peuple de Dieu » comme les protagonistes de la diffusion de l’Evangile dans le monde. Par conséquent, justement par respect pour l’enseignement conciliaire, nous avons considéré qu’il était important de reprendre cette vision large du profil de l’évangélisateur, en adressant notre offre de formation non seulement aux membres des instituts missionnaires mais à « tous les fidèles ».
A propos du décret Ad gentes, lors de sa récente visite à Nemi, Benoît XVI a rappelé qu’il avait participé aux travaux de la « Commission conciliaire des missions », en qualité d’expert, il y a 47 ans.
La genèse du décret Ad gentes a connu plusieurs phases, comme en témoignent les Acta, et il est significatif que les Pères conciliaires – aidés de théologiens comme Ratzinger – aient décidé d’inscrire, avant les réflexions sur la mission, une série de numéros entièrement consacrés aux principes doctrinaux. Si on lit les interventions in Aula des Pères c
onciliaires, on perçoit une grande préoccupation, parce que commençait à apparaître, dans certains secteurs de l’Eglise, une tendance à réduire la dimension missionnaire de la vie et de l’essence de l’Eglise. Les discussions récemment ébauchées par le Saint Père laissent vraiment entendre une volonté de conférer son caractère central au thème de la mission. Une fois promulguée la Constitution Lumen gentium (1964) où le numéro 17 parlait déjà de la mission de l’Eglise, le Décret Ad gentes fut conçu comme une sorte d’explicitation de ce qui avait déjà été énoncé, insistant en même temps sur le fondement dogmatique de la mission. Le renouvellement de notre faculté de missiologie et de son département homonyme se présente aussi, dans un certain sens, comme une récupération du véritable esprit conciliaire et comme une redécouverte de son enseignement dans le Décret Ad gentes. Il faut que nous relisions le Concile pour en saisir l’enseignement authentique.
Dans les dernières décennies, nos villes ont changé de manière imprévisible. L’annonce de l’Evangile doit-elle aussi nécessairement se concevoir dans de nouvelles formes ?
Je viens du diocèse de Milan, j’ai grandi dans une paroisse du centre dont le curé consacrait toute sa journée aux jeunes. Lorsque je suis revenue dans mon quartier vingt-cinq ans plus tard, un prêtre m’a dit qu’il ne restait qu’un seul des six « oratorios » qui rythmaient la vie des jeunes de mon quartier. Les temps ont donc changé, mais il n’est pas dit que certaines stratégies, qui marchaient quand j’étais jeune, soient devenues obsolètes. Au lycée, par exemple, je participais presque par défi à « l’Ecole de la Parole » du cardinal Martini, à la cathédrale : j’imaginais qu’un évêque n’avait pas grand-chose à dire à une étudiante de mon âge. Et pourtant ses catéchèses, son style agréable comme prédicateur, la solidité de son enseignement… m’ont conquise ! J’ai été immédiatement charmée par l’extraordinaire simplicité et en même temps l’incroyable profondeur de ses leçons. On pouvait encore, à cette époque, s’asseoir au pied de la chaire de l’archevêque et j’arrivais des heures en avance pour pouvoir me tenir là, tout près de ce Maître dans la foi. Des années après, lors d’une pause dans mes études, je suis retournée à Milan et je me suis rendue à une rencontre du cardinal Martini à la cathédrale ; la foule des jeunes qui accouraient pour l’écouter avait augmenté au point que le diocèse installait des écrans sur le parvis pour permettre à tout le monde d’entendre le cardinal. Qu’est-ce que cela signifie ? Que l’intérêt pour la foi et le rapprochement de celle-ci dépendent en grande partie de la manière dont on la présente, dont on en parle, du témoignage que l’on donne, du style et de la capacité à communiquer de l’évangélisateur. Ces premières catéchèses de Mgr Martini à la cathédrale ont été pour moi le début d’une redécouverte de la foi. Lorsque, plus tard, étudiante, puis professeur de théologie, je me suis attaquée à la lecture de sermons sur le Credo de saint Augustin et d’autres pères de l’Eglise, j’ai retrouvé les mêmes caractéristiques connues et j’ai décidé de proposer ces lectures à mes étudiants. Et beaucoup d’entre eux étaient enchantés de ces discours, les trouvant extrêmement actuels.
Dans une société pluraliste, ne risque-t-on pas une réaction d’hostilité face à notre prétention d’annoncer quelque chose à notre prochain ?
A travers cette simple expérience personnelle que je viens de raconter, je voudrais plutôt dire que l’hostilité envers la foi dépend beaucoup de la manière dont nous vivons ou présentons notre foi. L’hostilité envers la foi et l’Eglise ne vient pas de facteurs externes, mais souvent de notre faute. Il faut avoir une véritable « intelligence » du moment et du contexte dans lequel nous vivons. Il faut une capacité à lire le monde qui nous entoure en agissant sur le champ et avec courage.
Même si l’on se prépare le mieux possible pour annoncer la foi chrétienne, l’hostilité reste une expérience que le chrétien doit être prêt à faire ?
Certainement, tant sur les terres de nouvelle évangélisation que dans celles de première annonce, l’hostilité fait partie intégrante de l’expérience missionnaire. Si nous lisons les Actes des apôtres, nous nous rendons compte que Paul a dû fuir après avoir annoncé la Bonne Nouvelle : l’hostilité est inévitable, elle fait partie de l’expérience qui connote le témoignage chrétien, où qu’il soit donné. J’ai eu plus d’une fois l’occasion d’écouter mes étudiants me parler des difficultés, souvent énormes, qu’ils avaient rencontrées dans leur pays d’origine et dont souffrent leurs Eglises respectives.
L’évangélisateur vit avec le sentiment permanent de la disproportion entre ses propres forces et le monde qui l’entoure.
Pour revenir à ce que je disais au début : c’est vrai, la foi est fragile, comme est fragile celui qui l’annonce. Le théologien jésuite Henri de Lubac, qui nous a offert de nombreuses réflexions sur la théologie de la mission, soulignait avec raison que le paradoxe est justement une clé essentielle pour comprendre la foi chrétienne. En repensant, avec les autres professeurs, au programme du département de missiologie, je suis parvenue à la conviction intime, partagée par les autres, que nous devions partir de cette prise de conscience, la conscience du paradoxe, sachant que le projet que nous allons lancer au début de la prochaine année académique est difficile à réaliser. Mais nous sommes optimistes. Nous avons souvent pensé à saint Ignace, a son courage pour mettre en œuvre avec une ferme détermination des décisions apostoliques précises. Nous marchons vers la nouveauté, soutenus par un immense « de quoi avoir peur ? ».
Le programme 2012-2013 du département de missiologie est disponible sur le site web de l’Université pontificale grégorienne : http://www.unigre.it/struttura_didattica/missiologia/