Traduction d’Océane Le Gall
ROME, vendredi 6 juillet 2012 (ZENIT.org) – « Eduquer les formateur en temps d’urgence éducative » : tel est le titre de l’intervention du cardinal Mauro Piacenza, préfet de la Congrégation pour le clergé, prononcée mardi dernier, 3 juillet, à la XXIIe édition du cours international pour formateurs dans les Séminaires, comme nous l’indiquions dans notre synthèse hier (cf. Zenit du 5 juillet 2012).
Les participants de ce cours sous la direction du P. Ectore Guerra L.C. qui a lieu au Collège pontifical international « Maria Mater Ecclesiae », à Rome sont 56 prêtres provenant de 33 pays et de 53 diocèses.
Le cardinal Piacenza leur a donné des pistes pour « reprendre en main la formation », en particulier celles des personnes se préparant au sacerdoce ou à la vie consacrée.
Voici la première partie de notre traduction intégrale de son intervention :
Chers confrères,
Je suis très heureux d’être avec vous ce matin et je suis sûr qu’un nombre non négligeable d’entre vous seront engagés – s’il ne le sont pas déjà – dans la formation, qu’il s’agisse pour eux d’un appel à redécouvrir des domaines spécifiques de formation dans vos réalités ecclésiales respectives, au niveau de Séminaires ou de noviciats, ou qu’il s’agisse d’un appel à s’occuper de « formation permanente ».
Après un bref tour d’horizon de la situation culturelle contemporaine, je m’arrêterai sur le rapport entre « formation humaine et foi » et « formation humaine et urgence éducative », pour essayer de tirer des conclusions qui puissent, d’une certaine façon, mettre en évidence la haute vocation, que le Seigneur nous a donnée : « Eduquer les formateurs en temps d’urgence éducative ».
La situation actuelle
Il est indéniable que, dans beaucoup d’endroits, et désormais de manière répétée, on se plaint d’une crise profonde qui touche aussi la formation humaine.
Le phénomène est si étendu et inquiétant que le Magistère pontifical lui-même, à plusieurs grandes occasions, a indiqué, parmi les priorités de notre époque, celle de répondre à l’« urgence éducative ».
Cette défaillance au niveau de la formation humaine ne touche bien entendu pas seulement l’univers de l’Eglise; au contraire, pour être sincère, bien que touchant effectivement aussi nos milieux, celle-ci est bien plus grande, plus ancrée, plus répandue dans la société civile, et ses effets, que tous peuvent voir, ont et auront de graves conséquences anthropologiques, sociales, voire même théologiques, dont les répercussions seront importantes.
Les racines historiques et philosophiques d’une telle crise de la formation humaine sont bien connues ; je n’entends pas, ici, revenir sur le parcours qui a déterminé cette situation aujourd’hui ; je me limiterai à en indiquer les passages fondamentaux, entrevoyant déjà en ceux-ci leurs conséquences.
Un premier élément, d’une importance substantielle, est à noter dans la crise gnoséologique qui a suivi l’époque des Lumières. Le mouvement des Lumières a en effet déterminé une hypertrophie de la raison, qui a eu des conséquences sur l’homme et sur sa capacité de connaissance, faisant de ces « contemplateurs », ces « connaisseurs et chantres de la réalité », à une « mesure limitée » du réel. Un usage de la raison, qui prétend limiter la connaissance humaine aux seuls données empiriques (certains diraient « scientifiques ») est mortifiant pour l’intelligence humaine et ne permet pas à la connaissance d’être en relation avec la réalité, selon la totalité de ses facteurs.
Le prix Nobel de médecine Alexis Carrel écrivait : « Beaucoup d’observation et peu de raisonnement conduisent à la vérité : beaucoup de raisonnement et peu d’observation conduisent à l’erreur »1, cherchant, de cette façon, à ramener la connaissance à cette adhésion fondamentale au réel qui a, depuis toujours, caractérisé l’homme.
Cette adhésion au réel, est le second passage crucial que l’on a pratiquement totalement perdu depuis qu’on est passé des Lumières à la période des idéaux. Si l’homme ne connaît plus la réalité pour ce qu’elle est, mais tente de la mesurer (rationalisme) ou uniquement de la penser (idéalisme), il se cloisonne tout seul dans une possibilité objective de se rapporter à l’autre-par-rapport-à-lui-même et cette attitude a des conséquences anthropologiques évidentes.
Et comme si cela ne suffisait pas, la crise du positivisme propre au XIXe siècle, déterminée par les deux conflits mondiaux du siècle dernier, a conduit à une sorte « résignation de la raison », faisant passer l’homme du mythe infondé de super-homme à la situation actuelle, tout aussi infondée, relevant d’un relativisme plus radical.
Pas étonnant donc qu’une idée incorrecte de la raison fondée sur le rationalisme, se brisant contre l’objective impossibilité pour l’homme de se contrôler lui-même et le cosmos, ait été suivie d’un manque de confiance tout aussi incorrect et injustifié dans la réelle capacité de chacun à se connaître, à connaître le monde et Dieu.
Le Saint-Père Benoît XVI a attiré plusieurs fois l’attention de l’Eglise et de tous les hommes de bonne volonté sur la nécessité d’aller au-delà du relativisme qui caractérise notre époque et qui, inévitablement, finit aussi par toucher nos personnes et notre environnement ecclésial.
Il n’est pas un mystère que le subjectivisme auquel on assiste aujourd’hui, ayant pour conséquence un sentimentalisme aussi insupportable qu’humiliant, soit aussi entré dans la mentalité chrétienne, dans nos lieux de formation, influant également sur la nature même des « relations éducatives ».
Dans un contexte où la seule hypothèse même d’une éducation à la liberté et à la volonté, qui « corrige » ou « aille contre » la dictature du relativisme et du sentimentalisme, paraît totalement étrangère, l’action éducative, et l’idée même d’une éducation, pourraient sembler presqu’impossible, voire même mauvaise en soi. La preuve documentée de cette situation est cet optimisme naïf vis-à-vis du monde qui a trop souvent caractérisé et caractérise une certaine mentalité ecclésiale, selon laquelle l’Eglise aurait commencé en 1965, à la clôture du Concile œcuménique Vatican II, bien entendu interprété selon l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture, que le Saint-Père, dans sa récente intervention du 24 mai à la conférence épiscopale italienne, a tout bonnement qualifié d’ « inacceptable »!
Je ne m’attarde pas ici à décliner les conséquences morales des erreurs gnoséologiques, mais il est certain que, comme toute éthique qui descend de l’ontologie et doit toujours y faire référence, une bonne morale ne peut qu’être le résultat d’une connaissance correcte, respectueuse de toutes les dimensions humaines les plus nobles : intelligence, liberté et volonté, et pas seulement du sentiment ou de l’instinct!
Le spectacle, souvent dégoûtant, auquel nous sommes obligés d’assister ces dernières années, et qui blesse encore tant le Corps de l’Eglise et la foi du saint Peuple de Dieu, a de profondes racines – reconnaissons-le – dans les erreurs doctrinales des années soixante et soixante-dix du siècle passé! Des erreurs qui ont engendré des horreurs!
A un homme incapable de connaître la réalité, que reste-t-il ?
L’horizon étriqué et asphyxiant des ses propres émotions, de ses instincts, véhiculés par la corporéité
!
D’où cet hédonisme déferlant, ce narcissisme, ce pansexualisme, dans lequel les hommes de notre temps se perdent et d’où il faut, par tous les moyens, les aider à sortir.
Le matérialisme lui-même, indiqué comme horizon de notre existence dans certains mouvements idéologiques du siècle passé, est entré en crise et il a été plié d’un côté pour satisfaire les désirs et passions, et de l’autre il a été compensé par des formes de fuites « spiritualistes » ou new-age, qui n’ont rien à voir avec la spiritualité humaine et encore moins avec la foi chrétienne.
Dans une telle, et semble-t-il insoluble situation, est-il possible de reprendre en main le fil de la formation, doublement urgente, en vue du sacerdoce et de la vie consacrée ?
(La seconde partie de notre traduction sera publiée lundi prochain, 9 juillet)