Anita Bourdin
ROME, jeudi 3 mai 2012 (ZENIT.org) – Messiaen, compositeur ancré dans la tradition – amoureux du Grégorien-, dans la nature et dans la modernité, professeur atypique, et même à sa façon théologien : voilà certaines facettes de cette personnalité « paradoxale », de cette « météorite étrange », que trois journées invitent à explorer, à Bruxelles.
« Messiaen. La force d’un message » : c’est en effet le titre d’un colloque international organisé à Bruxelles, du 3 au 5 mai, vingt ans après la mort – le 27 avril 1992 – du compositeur français, qui fut le prestigieux organiste de l’église de la Trinité, à Paris.
Ce colloque, avec récital et concert, est ouvert au public. Il se déroule à l’Académie Royale de Belgique, organisateur de l’événement avec et le Collège Belgique.
« Mort il y a vingt ans déjà, Messiaen a produit une œuvre considérable. Elle n’a pas connu l’éclipse qui, souvent, frappe celle des compositeurs dès leur disparition. En quoi consiste aujourd’hui la force de son message ? Messiaen : un message pour aujourd’hui ? En prenant l’initiative de cette manifestation, l’Académie royale de Belgique tient à rendre un hommage tout particulier à l’un de ses associés qui fut aussi un des grands artistes du XXe siècle », indiquent les organisateurs.
Pierre Guillemet, attaché culturel – et pour les questions audiovisuelles – du Service de Coopération et d’action culturelle (SCAC), de l’ambassade de France en Belgique, précise à Zenit que « cet événement très original jouit d’un partenariat avec le service culturel de l’ambassade de France en Belgique qui est régulièrement associée aux activités de l’Académie royale de Belgique et du Collège Belgique ».
« En effet, pour ce rendez-vous exceptionnel, 20 ans après la mort de Messiaen, le service culturel de l’ambassade a bien volontiers, cette fois encore, apporté son soutien au président de l’académie, Pierre Bartholomée, et aux organisateurs du colloque, notamment en facilitant la venue de plusieurs conférenciers français de haut niveau », souligne M. Guillemet.
Une météorite étrange
Benoît Mernier a expliqué à la RTBF que l’un des objectifs du colloque était de « ne pas redire tout ce que l’on connaît sur Messiaen », sur les couleurs, les oiseaux, par exemple, mais d’explorer aussi « ailleurs », notamment en replaçant Messiaen « dans son siècle », en observant sa « descendance » et en mettant l’accent sur l’importance de son « enseignement », très « novateur », et pas seulement pour des Boulez, Xenakis, ou Stockhausen. Le comité organisateur a également voulu que le colloque ne soit pas que théorique, d’où la place des récitals.
Benoît Mernier souligne une autre nouveauté : l’éclairage apporté par un théologien, Pacal Ide, qui « parlera différemment par rapport à la foi catholique » de Messiaen.
Il s’agit, précise-t-il, « d’essayer de relier ce compositeur ancré dans une tradition » – il se revendiquait de Debussy, Mozart, Wagner Monteverdi -, mais qui laisse une « œuvre singulière », une « météorite très étrange », à la fois « recherchée » et « naïve », marquée par un « rapport à la nature très concret».
Il voit en Messiaen une personnalité « paradoxale » avec à la foi un « ancrage dans la tradition » et son « élan de modernité », « vers l’avenir », auteur d’une œuvre « avec un style très fort, que l’on reconnaît au bout de quelques secondes », un « style définissable façon claire », et pourtant influencé « par tout ce qui est avant lui », une oeuvre marquée par « l’amour de la musique qui est avant lui », son « accroche à la tradition », « amoureux du Grégorien » qui est « notre musique occidentale la plus ancienne ».
L’événement s’ouvre ce jeudi 3 mai à 17 h avec une analyse de Jean-Marie Rens du « Messagesquisse » de Pierre Boulez, dans le cadre du programme du Collège Belgique.
Des années folles aux années noires
Vendredi 4 mai, le Président de l’Académie et Directeur de la Classe des Arts, Pierre Bartholomée présentera le colloque. La première session est consacrée à resituer Messiaen dans « un siècle en tension ». Elle sera illustrée par Robert Wangermée, professeur honoraire de l’Université libre de Bruxelles, avec une réflexion sur « Olivier Messiaen et la modernité musicale ».
Puis Nigel Simeone, musicologue indépendant, évoquera les « débuts d’une carrière multiple : des années folles aux années noires ».
La deuxième session sera consacrée à l’art et à l’artisanat, sous la présidence de Jean-Marie André et Benoît Mernier.
Yves Balmer, maître de conférences à l’Ecole normale supérieure de Lyon, professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, proposera des éléments pour « une nouvelle exégèse des œuvres de Messiaen : ce que l’analyse des esquisses de Visions de l’Amen nous enseigne ».
Thomas Lacôte, professeur aux Conservatoires d’Aubervilliers-la Courneuve et d’Orléans, assistant au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, évoquera ce qu’il appelle « le laboratoire de la Trinité : matériaux et timbres dans l’œuvre d’orgue d’Olivier Messiaen ».
Un enseignement singulier
La troisième session, sous la présidence de Jean-Pierre Deleuze, sera consacrée à « l’enseignement singulier » de Messiaen professeur, grâce à Gilbert Amy, compositeur, directeur honoraire du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, avec ses souvenirs de « la classe Messiaen », et à Claude Samuel, journaliste et critique musical, directeur honoraire de la Musique à Radio France, sur « Le Temps de Messiaen ».
La session dirigée par Pierre Bartholomée et conclue par des commentaires, questions, interviews des orateurs de la journée, et surtout la journée s’achève sur un récital de piano de Sara Picavet qui interprètera des extraits des « Vingt regards sur l’enfant Jésus ».
La journée du samedi 5 mai sera introduite par Jacques Leduc et offrira une ouverture sur la fécondité de Messiaen.
Harry Halbreich, musicologue, donnera un éclairage sur « Messiaen, maître à penser des jeunes musiques ».
Messiaen et le sacré
La quatrième session sera consacrée à Messiaen et au sacré, avec une introduction au concert par Claude Ledoux
Pascal Ide, docteur en philosophie et en théologie, responsable des Universités catholiques dans le monde à Rome, posera la question : « Messiaen, un théologien ? ».
Michaël Levinas, pianiste et compositeur, professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, ancien élève de Messiaen évoquera « une poétique du merveilleux ».
Au programme du concert : « Messagesquisse sur le nom de Paul Sacher », de Pierre Boulez, une œuvre commandée par Rostropovitch pour le 70e anniversaire du mécène Paul Sacher. Interprètes : les violoncellistes du Conservatoire royal de Bruxelles,avec Marie Hallynck, Didier Poskin, Marinella Doko, Guy Danel, Francis Mourey, Aubin Denimal et Sylvain Ruffier ; direction : Bernard Delire.
Pierre Boulez a lui-même confié, dans un entretien (CD Deutsche Grammophon), ce qu’il a voulu par ce titre et cette œuvre : « Avec ce mot-valise, j’ai voulu offrir un témoignage de mon amitié envers Paul Sacher, l’oeuvre renferme des messag
es qui lui sont adressés personnellement et sont codés de façon symbolique, comme dans une esquisse ». Ainsi, la partie du violoncelle solo est reprise en écho par les six autres violoncelles: une forme de « dé-composition » de la musique comme le rayon de lumière à travers un prisme.