ROME, jeudi 12 janvier 2012 (ZENIT.org) – De récents évènements viennent contredire la version officielle d’une amélioration des relations entre l’enseignement privé et l’administration du Pendjab, province du Pakistan où se concentre l’essentiel des établissements catholiques du pays, rapporte aujourd’hui « Eglises d’Asie » (EDA), l’agence des Missions étrangères de Paris dans cette dépêche de ce 12 janvier 2012.
« Nous ne nous en sortons pas et nous devons sans cesse demander de l’aide au gouvernement, depuis que les écoles nous ont été restituées, spécialement les instituts d’enseignement technique », déclare le P. Joseph Leonard Paul, qui a consacré toute sa vie à l’enseignement catholique au Pakistan et a joué un rôle essentiel dans la restitution des établissements scolaires confisqués par l’Etat.
Des années après le retour au sein de l’Eglise de la plupart de ses écoles, les responsables des établissements catholiques constatent que les stigmates de la nationalisation continuent de nuire à la qualité de leur enseignement. Fait plus inquiétant, les institutions privées, déjà contraintes d’engager des frais considérables, doivent aujourd’hui affronter les procédures et tracasseries administratives incessantes du gouvernement provincial à leur encontre.
En 1972, le Premier ministre d’alors, Zulfiqar Ali Bhutto, avait ordonné la nationalisation de toutes les écoles et collèges dirigés par l’Eglise dans les provinces du Sindh et du Pendjab, cette dernière accueillant 80 % de la population chrétienne du pays, ainsi que la plupart des établissements privés. A partir des années 1990, les écoles ont commencées à être progressivement restituées aux Eglises, à l’issue de longues tractations entre les parties et au prix d’importantes dépenses de l’enseignement catholique, sans aucune indemnité financière du gouvernement.
En 2001, suite aux demandes répétées des responsables chrétiens pressant le gouvernement du Pendjab de respecter sa promesse de restitution de leurs écoles, l’administration de la province s’était engagée à achever le processus de dénationalisation (concernant 37 institutions catholiques et 19 protestantes), mais en contrepartie du versement par les Eglises de cautions élevées. En 2004, les évêques catholiques et protestants du Pendjab avaient dû effectuer de nouvelles démarches, cette fois auprès du Premier ministre pakistanais Shaukat Aziz, un grand nombre des établissements chrétiens étant toujours aux mains des autorités provinciales malgré le dépôt des sommes exigées.
En ce début 2012, soit plus de trente ans après les premières restitutions, l’Eglise ne parvient toujours pas à récupérer certaines de ses écoles, comme c’est le cas à Lahore, où Maxwell Shanti, secrétaire exécutif du Bureau de l’enseignement catholique (CBE), se désole de la détérioration d’une institution considérée comme prestigieuse avant sa nationalisation : « Aujourd’hui, tout le bâtiment tombe en ruines. Nous essayons de récupérer l’établissement mais le gouvernement prétend que nous n’avons pas les documents nécessaires. Les terrains attenants, non entretenus, sont également dans un état désastreux. »
La même consternation règne au CBE du diocèse d’Islamabad-Rawalpindi : « La qualité de l’éducation a beaucoup souffert lors de la nationalisation, et aujourd’hui dans ces écoles qui ont été laissées à l’abandon, il y a aussi peu d’implication du côté des enseignants que des élèves », rapporte William John, secrétaire exécutif du comité.
Les établissements catholiques restitués pâtissent enfin du manque d’aide financière de l’Etat, qui fait même craindre à certains de devoir mettre la clé sous la porte. En 2009, entre autres, bon nombre d’écoles avaient eu les plus grandes difficultés à se conformer aux nouvelles directives édictées par les autorités du Pendjab, en raison de la dégradation de la sécurité dans le pays. Le gouvernement avait en effet exigé que toutes les écoles, publiques comme privées, soient entourées de barbelés, d’un mur de deux mètres de haut avec des caméras de surveillance, et qu’elles soient gardées à l’entrée par des miliciens armés, avec des détecteurs de métaux et des scanners. La province avait pris en charge l’équipement des écoles publiques, mais les écoles privées n’avaient reçu aucun subside, tout en étant contraintes de se plier aux nouvelles directives sous peine de fermeture immédiate (1).
Outre les problèmes financiers, les écoles chrétiennes du Pendjab, y compris les plus réputées, doivent affronter les discriminations liées à l’islamisation progressive du pays. En 2005, le ministre de l’Education du Pendjab, Imran Masood, déclarait pourtant aux responsables de l’enseignement catholique de Lahore : « Nous ne vous considérons pas comme des étrangers. Vos écoles sont nos écoles (…) et nous pensons que les minorités doivent participent pleinement à l’éducation de notre nation (…). S’il vous plaît, ouvrez des écoles secondaires et des universités. Nous vous accorderons volontiers toutes les autorisations nécessaires et nous vous restituerons toutes les écoles qui ne l’ont pas encore été » (2). Mais en 2006, malgré ses promesses, le gouvernement rendait obligatoire pour les établissements secondaires du pays « l’enseignement de l’islam et de l’arabe (l’Islamiyat) comme matière principale, et de la morale pour les non-musulmans ». Une mesure rapidement dénoncée par les minorités comme fortement discriminatoire, les élèves ayant choisi les cours de morale échouant systématiquement aux examens.
En 2009, une nouvelle réforme visant à intégrer les madrasas (3) achevait le processus d’islamisation du système éducatif de l’Etat en étendant l’enseignement obligatoire de l’Islamiyat à tous les niveaux scolaires de toutes les écoles. Depuis, l’Eglise catholique, les organisations de défense des droits de l’homme et différents observateurs internationaux ne cessent de dénoncer l’inconstitutionnalité de ces programmes d’enseignement et « l’intolérance religieuse » prônée dans les manuels scolaires pakistanais (4).
A ces discriminations se sont ajoutées ces derniers temps des saisies intempestives par la province de propriétés et établissements gérés par l’Eglise. Le 10 janvier dernier, le gouvernement du Pendjab a détruit à Lahore une institution gérée conjointement par l’Eglise catholique et la Caritas Pakistan. Le centre Gosha-e-Aman abritait, avant sa transformation en maison d’accueil et école de couture il y a une cinquantaine d’années, une maison de retraite, un établissement scolaire de filles, un couvent et une chapelle.
Sur l’ordre du responsable de district et « sans fournir aucun acte officiel », comme le souligne la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence épiscopale, la police a démoli les bâtiments au bulldozer, exproprié les familles qui y vivaient, détruit des bibles et des objets religieux, avant de saisir « au nom de l’Etat » le matériel « éducatif » comme les ordinateurs, l’ensemble de la propriété et tous les terrains adjacents. Le P. Emmanuel Youssef Mani, président de la Commission ‘Justice et Paix’, a annoncé lors d’une conférence de presse que l’Eglise déposerait un recours devant la Haute Cour de Lahore contre la « saisie illégale » de l’un de ses biens dont elle possède tous les titres de propriété, qui remontent à 1887.
Mercredi 11 janvier, plusieurs milliers de chrétiens ont manifesté à Lahore, bloquant les rues menant aux décombres de l’ancien centre, pour dénoncer les « manœuvres criminelles » des autorités du Pendjab et les « violations des droits des minorités religieuses ».
(1) Voir EDA 517 : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud/pakistan/pour-leglise-cathol
ique-assurer-la-securite-des
(2) Voir EDA 419 : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud/pakistan/le-ministre-de-leducation-de-la-province-du
(3) La réforme de 2009 accorde aux madrasas la reconnaissance de leurs diplômes en échange de l’introduction dans leur enseignement des « matières modernes » (comme les sciences, l’anglais ou l’informatique). Au Pakistan, quelque 15 800 madrasas du pays dispensent aujourd’hui à deux millions d’élèves un enseignement essentiellement coranique, court-circuitant par leur gratuité les 155 000 établissements laïcs qui accueillent environ 34 millions de jeunes, dont près de la moitié relèvent du secteur privé. Un rapport récent révèle cependant que 25 millions d’enfants pakistanais restent non scolarisés, essentiellement en milieu rural. Voir aussi EDA 437 : ‘Pour approfondir’ : « Mythes et madrasas ».
(4) Fin 2011, une rapport d’une commission américaine a dénoncé les manuels scolaires pakistanais, où tous les non-musulmans sont présentés comme des « sous-citoyens », les hindous qualifiés « d’extrémistes » dont la culture est « fondée sur l’injustice et la cruauté » tandis que les sikhs et les chrétiens sont « des ennemis éternels de l’islam ». Les experts ont également critiqué le « révisionnisme historique » des ouvrages, ayant « pour objectif de disculper ou de glorifier la civilisation islamique, tout en dénigrant les minorités religieuses », ce qui, concluaient-ils, constituait une violation de la propre Constitution du Pakistan.
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