ROME, mardi 29 novembre 2011 (ZENIT.org) – Le cardinal Bernard Agré, archevêque émérite d’Abidjan, explique les « trois dimensions d’une Eglise adulte », et il insiste notamment sur une « pastorale économique rationnelle, responsable, dans les paroisses, les diocèses » et « la planification économique au plan national ».
L’archevêque est intervenu sur ce thème lors d’un congrès intitulé : « La valeur de la culture et de la science pour le développement de l’Afrique. Perspective interdisciplinaire », organisé vendredi 25 novembre à l’Université pontificale du Latran.
Le cardinal Agré souligne notamment que « l’autonomie financière » passe par quatre éléments : « une prise de conscience individuelle et collective du fait d’être à la hauteur », « un minimum d’organisation dans la collecte et l’utilisation des fonds », « quelques initiatives économiques rentables de la communauté pouvant se justifier à certaines conditions », et « une participation effective des uns et des autres par des dons, des legs et des fondations. »
Nous publions ci-dessous la troisième partie de l’intervention du cardinal Agré. On trouvera les deux premières parties dans notre édition d'hier, lundi 28 novembre.
LES TROIS DIMENSIONS D’UNE EGLISE ADULTE
III - UNE PASTORALE ECONOMIQUE RATIONNELLE, RESPONSABLE
Tout groupement d’hommes qui se respecte met son point d’honneur à atteindre sa stature d’adulte en vue d’être capable de prendre en mains sa destinée, en suscitant de son sein, le personnel adéquat, mais aussi en tirant de ses ressources propres, la totalité ou la plus grande partie de son budget.
A ce sujet, il est bon de méditer régulièrement ce qu’a écrit Jean-Paul II dans la ligne de la proposition 27 élaborée par les Délégués au Synode africain :
« Il est nécessaire que toute communauté chrétienne soit en mesure de pourvoir, par elle-même, autant que possible, à ses propres besoins » (Vatican II, Ad gentes 15).
<p>« L’évangélisation requiert donc, outre les moyens humains, des moyens matériels et financiers substantiels dont bien souvent les diocèses sont loin de disposer dans des proportions suffisantes. Il est donc urgent que les Eglises particulières d’Afrique se fixent pour objectif d’arriver au plus tôt à pourvoir elles-mêmes à leurs besoins et à assurer leur autofinancement. Par conséquent, j’invite les Conférences Episcopales, les diocèses et toutes les communautés chrétiennes des Eglises du continent, chacune en ce qui la concerne, à faire diligence pour que cet autofinancement devienne de plus en plus effectif » (Ecclesia in Africa, n° 104).Etre autonome financièrement passe par :
Une prise de conscience individuelle et collective du fait d’être à la hauteur ;
Un minimum d’organisation dans la collecte et l’utilisation des fonds ;
Quelques initiatives économiques rentables de la communauté pouvant se justifier à certaines conditions ;
Une participation effective des uns et des autres par des dons, des legs et des fondations.
1 – Une prise de conscience individuelle et collective
Un constat douloureux s’impose : les fidèles ignorent-ils les énormes besoins de leur Eglise ? Ils s’acquittent, pour la plupart, difficilement de leur devoir financier vis-à-vis de leur Eglise. Certains osent même demander de l’aide à leurs pasteurs qu’ils trouvent riches. Cependant, on constate que les catholiques deviennent généreux dès qu’ils changent de religion. La raison est-elle un déficit d’information ou une faible motivation ? Il faut une véritable conversion des cœurs.
2 – Une bonne organisation dans la collecte et l’utilisation des fonds
Il est utile de rappeler le caractère sacré des fonds destinés au culte ou autres dépenses courantes des communautés paroissiales et diocésaines. Capitaux et biens sont à traiter avec attention, respect et compétence. Moins on a d’argent, plus on doit montrer de rigueur dans la gestion.
Dans les communautés de base, les paroisses et les diocèses, il est nécessaire de disposer, de nos jours, dans le droit fil de la modernité, de la démocratie et du partage des responsabilités, de commissions finances composées d’hommes et de femmes informés, motivés, discrets, compétents et honnêtes. Ces commissions doivent, autant que faire se peut, compter en leur sein des professionnels des finances, du management, même du marketing (nulle part on ne peut s’en passer aujourd’hui).
La transparence financière de la communauté requiert une précision dans l’élaboration de budgets qui s’équilibrent en entrées et sorties. Mais n’oublions pas le volet épargne. L’amateurisme, ici, doit, petit à petit, céder le pas au professionnalisme. Se soumettre à un contrôle compétent et impartial pacifie aussi la communauté qui a droit à une information objective. Sa générosité s’en trouve accrue.
3 – Quelques initiatives économiques de la communauté pouvant se justifier à certaines conditions :
Privilégier les cotisations,
Prendre parfois des initiatives économiques collectives.
Cotisations
Une vraie communauté vit de la participation statutaire effective de ses membres.
L’Eglise, quoique organisation à but spirituel, donc non lucratif, ne peut dispenser ses fidèles de cotisations régulières. N’est-ce pas une question de survie de la communauté ? Il y a le denier du culte, les quêtes. Il est important de donner les chiffres et la juste information de leur destination. Cela suscite la générosité des fidèles.
Le denier du culte est une cotisation annuelle par laquelle les fidèles participent à la vie matérielle de l’Eglise. Il est un devoir réel et, par conséquent, obligatoire pour tous. Un fidèle soucieux de la vie matérielle de sa paroisse, de son diocèse, doit s’en acquitter régulièrement pour éviter à ses pasteurs de toujours tendre la main vers l’extérieur. Pour le denier du culte, l’idéal, c’est de donner les revenus équivalant à une journée de travail par an… Si vous touchez, par exemple 365 000 F par an, vous devez donner : 365 000 : 365 = 1 000 F. Calculez vous-mêmes vos revenus et divisez par 365 et vous verrez. Par ailleurs, il n’est pas défendu de donner la dîme, c’est-à-dire le dixième de ses revenus mensuels ou annuels.
Quant à la quête, elle est une offrande liée à la célébration eucharistique. Elle constitue, jusqu’à présent, la principale, voire l’unique source de revenus de plusieurs paroisses. Il y a donc lieu de faire preuve de générosité afin de permettre à nos paroisses de vivre. On peut organiser des quêtes spéciales pour tel ou tel but. C’est dans cette ligne que se situent les kermesses ou les"fêtes des moissons"qui ne sont pas réservées aux autres confessions religieuses. Il faut tenir en esprit que les temps sont durs après ces dévaluations monétaires successives. De même que l’usage affirme : l’impôt tue l’impôt, l’on peut dire : la multiplication des quêtes tue la quête.
Initiatives économiques
Après s’être entourée de bonnes garanties, assuré des capitaux, des compétences de gestion nécessaires et ayant évalué les débouchés, les marchés potentiels, ayant mesuré tous les risques, la communauté chrétienne peut entreprendre des expériences économiques rentables pouvant subvenir aux besoins de son Eglise.
Placements bancaires ;
Achat d’actions ou d’obligations ;
Achat ou constructions d’immeubles de rapport à loyers modérés ;
Création d’exploitations agricoles ou agro-pastorales.
Il faut reconnaître que ce chapitre des i nitiatives économiques est particulièrement délicat. Il est complexe à cause des interprétations défavorables dans l’optique de l’idéologie d’une "Eglise pauvre".
Certes, Jésus a dit : « Heureux les pauvres… » (Mt 7,21 ; Lc 6,46), mais il n’a jamais dit : « Heureux les misérables, ceux qui manquent de tout, ceux qui attendent tout de leurs frères étrangers ». Ecoutons les paroles de sagesse de l’Apôtre Paul aux chrétiens de Thessalonique : « Nous vous engageons, frères, à travailler de vos mains comme nous vous l’avons ordonné. Ainsi, vous mènerez une vie honorable au regard de ceux du dehors et vous n’aurez besoin de personne » (1 Th 4,10-12).
4 – Une participation effective des uns et des autres par des dons, des legs, des fondations, etc.
Pour faire vivre la communauté ecclésiale, il faut que soit éliminée progressivement la pauvreté chronique des gens. C’est ce que souligne Jean-Paul II dans l’Exhortation post-synodale quand il écrit : « Il ne faut d’ailleurs pas oublier qu’une Eglise ne peut arriver à l’autosuffisance matérielle et financière que dans la mesure où le peuple qui lui est confié ne subit pas une misère extrême » (Ecclesia in Africa, n° 104).
Tout chrétien responsable devrait lire souvent et attentivement ce passage particulièrement dense de la seconde lettre de Saint Paul aux Corinthiens 9,6-10 : « Frères, rappelez-vous le proverbe : A semer trop peu, on récolte trop peu ; à semer largement, on récolte largement. Chacun doit donner comme il a décidé dans son cœur, sans regret et sans contrainte ; car Dieu aime celui qui donne joyeusement. Et Dieu est assez puissant pour donner toute grâce en surabondance, afin que vous ayez, en toute chose et toujours, tout ce qu’il vous faut, et que vous ayez encore du superflu pour faire toute sorte de bien. L’Ecriture dit, en effet : « L’homme qui donne aux pauvres à pleines mains demeure juste pour toujours. Dieu, qui fournit la semence au semeur et le pain pour la nourriture, vous fournira la graine ; il la multipliera, il donnera toujours plus de fruit à ce que vous accomplirez dans la justice ».
Il faut interpeller ceux qui ont le plus de moyens, les économiquement forts. Leurs participations peuvent prendre deux formes :
La forme ponctuelle
Par des dons en espèces pour un projet précis, des dons en nature, secours, divers matériaux, etc.
La forme durable
Par des legs : des individus qui, dans leur testament, laissent à l’Eglise, soit de l’argent, soit des terrains, soit des immeubles. On en trouve quelques exemples déjà chez nous. Initiatives à encourager. Il est important que tout soit clair juridiquement.
Par des fondations qui peuvent intervenir pour assurer des ressources régulières à une institution donnée.
Tous ces actes de générosité de grande ou de petite envergure obéissent à des règles juridiques, au civil comme au religieux. Il faut s’y conformer dans la constitution et dans l’exécution de la"pieuse volonté" (cf. Legs pieux, can. 1413,2).
Le chapitre de l’autonomie financière mériterait des développements plus approfondis. Car c’est là où souvent, dans nos communautés ecclésiales, le bas blesse. Des lacunes certaines existent, mais il n’y a pas lieu de paniquer et de désespérer. Les Eglises d’Afrique se réveilleront pour prendre leur place, une place plus digne, dans le concert des Eglises du monde.
* * *
Comme des bébés tendrement aimés par les missionnaires, nos Eglises africaines ont été longtemps portées à bout de bras par leurs sœurs de l’étranger. Puis les indépendances politiques et l’établissement des hiérarchies locales instaurent entre les Eglises du Nord et du Sud, l’époque transitoire de la coopération qui a eu ses heures légitimes de gloire. De nos jours, le vent a tourné, fort heureusement. Au troisième millénaire, des efforts respectifs privilégient, entre les Eglises, des rapports de partenaires. Dans cet esprit, les communautés chrétiennes d’Afrique ne peuvent être que positives au rendez-vous historique de la mondialisation après le grand jubilé de l’An 2000. Duc in altum. Les Eglises des missions travaillent efficacement à leur maturité faite de réalisme et de grande espérance.
+ Bernard Cardinal AGRE
Archevêque émérite d’Abidjan