ROME, Mercredi 1er décembre 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la catéchèse prononcée par le pape Benoît XVI, ce mercredi, au cours de l’audience générale, dans la salle Paul VI.
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Chers frères et sœurs,
Je voudrais présenter aujourd’hui une mystique qui n’est pas de l’époque médiévale ; il s’agit de sainte Véronique Giuliani, une moniale clarisse capucine. La raison en est que le 27 décembre prochain nous fêterons le 350e anniversaire de sa naissance. Città di Castello (Italie), le lieu où elle vécut la majeure partie de sa vie et où elle mourut, tout comme Mercatello – son village natal – et le diocèse d’Urbino, vivent avec joie cet événement.
Véronique naît donc le 27 décembre 1660 à Mercatello, dans la vallée du Metauro, de Francesco Giuliani et Benedetta Mancini ; elle est la dernière de sept sœurs, dont trois autres embrasseront la vie monastique ; elle reçoit le nom d’Ursule. A l’âge de sept ans, elle perd sa mère, et son père part s’installer à Piacenza comme surintendant des douanes du duché de Parme. Dans cette ville, Ursule sent grandir en elle le désir de consacrer sa vie au Christ. L’appel se fait de plus en plus pressant, si bien qu’à 17 ans, elle entre dans la stricte clôture du monastère des clarisses capucines de Città di Castello, où elle demeurera toute sa vie. Elle y reçoit le nom de Véronique, qui signifie « image véritable » et, en effet, elle devient l’image véritable du Christ crucifié. Un an plus tard elle prononce sa profession religieuse solennelle : pour elle commence le chemin de configuration au Christ à travers beaucoup de pénitences, de grandes souffrances et plusieurs expériences mystiques liées à la Passion de Jésus : le couronnement d’épines, le mariage mystique, la blessure au cœur et les stigmates. En 1716, à 56 ans, elle devient abbesse du monastère et sera reconfirmée dans ce rôle jusqu’à sa mort, en 1727, après une agonie de douleurs de 33 jours, qui culmine dans une joie profonde, si bien que ses dernières paroles furent : « J’ai trouvé l’Amour, l’Amour s’est laissé voir ! C’est la cause de ma souffrance. Dites-le à toutes, dites-le à toutes ! » (Summarium Beatificationis, 115-120). Le 9 juillet, elle quitte sa demeure terrestre pour la rencontre avec Dieu. Elle a 67 ans, cinquante desquels passés dans le monastère de Città di Castello. Elle est proclamée sainte le 26 mai 1839 par le Pape Grégoire XVI.
Véronique Giuliani a beaucoup écrit : des lettres, des rapports autobiographiques, des poésies. La source principale pour reconstruire la pensée est toutefois son Journal, commencé en 1693 : vingt-deux mille pages manuscrites, qui couvrent une période de trente-quatre ans de vie de clôture. L’écriture coule avec spontanéité et régularité, on n’y trouve pas de ratures ou de corrections, ni de signes de ponctuation ou de division en chapitres ou parties selon un dessein préalable. Véronique ne voulait pas composer une œuvre littéraire : elle fut obligée par le Père Girolamo Bastianelli, religieux de Saint-Philippe, en accord avec l’évêque diocésain Antonio Eustachi de mettre ses expériences par écrit.
Sainte Véronique a une spiritualité fortement christologique et sponsale : c’est l’expérience d’être aimée par le Christ, Epoux fidèle et sincère, et de vouloir y répondre avec un amour toujours plus intense et passionné. En elle, tout est interprété dans une perspective d’amour, et cela lui donne une profonde sérénité. Toute chose est vécue en union avec le Christ, par amour pour lui, et avec la joie de pouvoir Lui démontrer tout l’amour dont est capable une créature.
Le Christ auquel Véronique est profondément uni est le Christ souffrant de la passion, la mort et la résurrection ; c’est Jésus dans l’acte de s’offrir au Père pour nous sauver. De cette expérience dérive aussi l’amour intense et souffrant pour l’Eglise, sous la double forme de la prière et de l’offrande. La sainte vit dans cette optique : elle prie, elle souffre, elle cherche la « pauvreté sainte », comme une « expropriation », une perte de soi (cf. ibid., III, 523), pour être précisément comme le Christ qui a tout donné de lui-même.
A chaque page de ses écrits, Véronique recommande quelqu’un au Seigneur, en gageant des prières d’intercession par l’offrande d’elle-même dans toute souffrance. Son cœur s’ouvre à tous « les besoins de la Sainte Eglise », en vivant avec anxiété le désir de salut de « tout l’univers du monde » (ibid., III-IV, passim). Véronique crie : « O hommes et femmes de péché… tous et toutes venez au cœur de Jésus ; venez au bain de son précieux sang… Il vous attend les bras ouverts pour vous embrasser » (ibid., II, 16-17). Animée d’une ardente charité, elle apporte à ses sœurs du monastère attention, compréhension, pardon ; elle offre ses prières et ses sacrifices pour le Pape, son évêque, les prêtres, et pour toutes les personnes dans le besoin, y compris les âmes du purgatoire. Elle résume sa mission contemplative par ces mots : « Nous ne pouvons pas aller prêcher par le monde et convertir les âmes, mais nous sommes obligées de prier sans cesse pour toutes les âmes qui offensent Dieu… en particulier par nos souffrances, c’est-à-dire par un principe de vie crucifiée » (ibid., IV, 877). Notre sainte conçoit cette mission comme « être au milieu » entre les hommes et Dieu, entre les pécheurs et le Christ crucifié.
Véronique vit en profondeur la participation à l’amour souffrant de Jésus, certaine que « souffrir avec joie » est la « clé de l’amour » (cf. ibid., I, 299.417 ; III, 330.303.871 ; IV, 192). Elle souligne que Jésus souffre pour les péchés des hommes, mais aussi pour les souffrances que ses fidèles serviteurs allaient devoir supporter au cours des siècles, au temps de l’Eglise, précisément pour leur foi solide et cohérente. Elle écrit : « Son Père éternel lui fit voir et entendre à ce moment-là toutes les souffrances que devaient endurer ses élus, les âmes qui lui étaient le plus chères, celles qui profiteraient de Son Sang et de toutes ses souffrances » (ibid., II, 170). Comme le dit de lui-même l’apôtre Paul : « Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l’Église » (Col 1,24). Véronique en arrive à demander à Jésus d’être crucifié avec Lui : « En un instant – écrit-elle -, je vis sortir de ses très saintes plaies cinq rayons resplendissants ; et tous vinrent vers moi. Et je voyais ces rayons devenir comme de petites flammes. Dans quatre d’entre elles, il y avait les clous ; et dans l’une il y avait la lance, comme d’or, toute enflammée : et elle me transperça le cœur, de part en part… et les clous traversèrent mes mains et mes pieds. Je ressentis une grande douleur ; mais, dans la douleur elle-même, je me voyais, je me sentais toute transformée en Dieu » (Journal, I, 897).
La sainte est convaincue qu’elle participe déjà au Royaume de Dieu, mais dans le même temps elle invoque tous les saints de la patrie bienheureuse pour qu’ils viennent à son aide sur le chemin terrestre de sa donation, dans l’attente de la béatitude éternelle ; telle est l’aspiration constante de sa vie (cf. ibid. II, 909 ; v. 246). Par rapport à la prédication de l’époque, souvent axée sur le « salut de l’âme » en termes individuels, Véronique fait preuve d’un profond sens de « solidarité », de communion avec tous ses frères et sœurs en marche vers le Ciel, et elle vit, elle prie et elle souffre pour tous. En revanche, les choses qui ne sont pas ultimes, terrestres, bien qu’appréciées au sens franciscain comme un don du Créateu
r, apparaissent toujours relatives, entièrement subordonnées au « goût » de Dieu et sous le signe d’une pauvreté radicale. Dans la communio sanctorum, elle éclaircit son don ecclésial, ainsi que la relation entre l’Eglise en pèlerinage et l’Eglise céleste. « Tous les saints – écrit-elle – sont là-haut grâce aux mérites et à la passion de Jésus ; mais ils ont coopéré à tout ce qu’a fait notre Seigneur, si bien que leur vie a été entièrement ordonnée, réglée par ses œuvres elles-mêmes » (ibid., III, 203).
Dans les écrits de Véronique, nous trouvons de nombreuses citations bibliques, parfois de manière indirecte, mais toujours ponctuelle : elle fait preuve d’une familiarité avec le Texte sacré, dont se nourrit son expérience spirituelle. Il faut en outre noter que les moments forts de l’expérience mystique de Véronique ne sont jamais séparés des événements salvifiques célébrés dans la liturgie, où trouvent une place particulière la proclamation et l’écoute de la Parole de Dieu. Les Saintes Ecritures illuminent, purifient, confirment donc l’expérience de Véronique, la rendant ecclésiale. D’autre part, cependant, c’est précisément son expérience, ancrée dans les Saintes Ecritures avec une intensité sans égale, qui conduit à une lecture plus approfondie et « spirituelle » du Texte sacré lui-même, entre dans la profondeur cachée du texte. Non seulement elle s’exprime avec les paroles des Saintes Ecritures, mais réellement, elle vit aussi de ces paroles, elles se font vie en elle
Par exemple, notre sainte cite souvent l’expression de l’apôtre Paul : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31, cf. Journal, 1, 714 ; II, 116.1021 ; III, 48). En elle, l’assimilation de ce texte paulinien, cette grande confiance et cette joie profonde, devient un fait accompli dans sa personne elle-même : « Mon âme – écrit-elle – a été liée par la volonté divine et je me suis vraiment établie et arrêtée pour toujours dans la volonté de Dieu. Il me semblait que je n’aurais plus jamais à me séparer de cette volonté de Dieu et je revins en moi avec ces paroles précises : rien ne pourra me séparer de la volonté de Dieu, ni les angoisses, ni les peines, ni les tourments, ni le mépris, ni les tentations, ni les créatures, ni les démons, ni l’obscurité, et pas même la mort, car, dans la vie et dans la mort, je veux entièrement, et en tout, la volonté de Dieu » (Journal, IV, 272). Ainsi avons-nous, nous aussi la certitude que la mort n’a pas le dernier mot, nous sommes enracinés dans la volonté de Dieu et ainsi réellement dans la vie, à jamais.
Véronique se révèle, en particulier, un témoin courageux de la beauté et de la puissance de l’Amour divin, qui l’attire, l’envahit, l’embrase. C’est l’amour crucifié qui s’est imprimé dans sa chair, comme dans celle de saint François d’Assise, avec les stigmates de Jésus. « Mon épouse – me murmure le Christ crucifié – les pénitences que tu accomplis pour ceux que j’ai en disgrâce me sont chères … Ensuite, détachant un bras de la croix, il me fit signe de m’approcher de son côté … Et je me retrouvais entre les bras du Crucifié. Je ne peux pas raconter ce que j’éprouvais à ce moment : j’aurais voulu être toujours dans son très saint côté » (ibid., I, 37). Il s’agit également de son chemin spirituel, de sa vie intérieure : être dans les bras du crucifié et être aimé dans l’amour du Christ pour les autres. Avec la Vierge Marie une relation de profonde intimité, témoignée par les paroles qu’elle entend un jour la Vierge lui adresser et qu’elle rapporte dans son Journal : « Je te fis reposer en mon sein, tu connus l’union avec mon âme, et par celle-ci tu fus, comme en vol, conduite devant Dieu » (IV, 901).
Sainte Véronique Giuliani nous invite à faire croître, dans notre vie chrétienne, l’union avec le Seigneur dans notre proximité avec les autres, en nous abandonnant à sa volonté avec une confiance complète et totale, et l’union avec l’Eglise, Epouse du Christ ; elle nous invite à participer à l’amour souffrant de Jésus Crucifié pour le salut de tous les pécheurs ; elle nous invite à garder le regard fixé vers le Paradis, but de notre chemin terrestre où nous vivrons avec un grand nombre de nos frères et sœurs la joie de la pleine communion avec Dieu ; elle nous invite à nous nourrir quotidiennement de la Parole de Dieu pour réchauffer notre cœur et orienter notre vie. Les dernières paroles de la sainte peuvent être considérées comme la synthèse de son expérience mystique passionnée : « J’ai trouvé l’Amour, l’Amour s’est laissé voir ! ». Merci
A l’issue de l’Audience générale le pape a adressé les paroles suivantes aux pèlerins de langue française :
Chers frères et sœurs,
Véronique Giuliani fut une mystique passionnée du Christ. À 17 ans, elle répondit à son appel et passa toute sa vie au monastère des clarisses capucines de Città di Castello, en Italie, dont elle devint abbesse jusqu’à sa mort en 1727. Elle fit une telle expérience d’être aimée du Christ que tout en elle fut interprété en terme d’amour. De là sa profonde sérénité et sa joie de pouvoir montrer au Christ tout l’amour dont est capable une créature. Dans l’ardent désir du salut du monde entier, Véronique comprend sa mission contemplative comme le fait de « se tenir au milieu » entre les hommes et Dieu, entre les pécheurs et le Christ crucifié, dans la prière et l’offrande de ses épreuves. Elle était convaincue que Jésus, dans sa Passion, avait aussi enduré des souffrances que ses serviteurs fidèles auraient dû supporter au long des siècles. Sa vie mystique ne fut jamais séparée des événements du Salut célébrés dans la liturgie, ni de la Parole de Dieu. L’Ecriture Sainte illuminait, purifiait, confirmait son expérience, la rendant ecclésiale. Aussi, non seulement sainte Véronique s’exprimait avec les paroles de l’Ecriture Sainte mais elle en vivait. Chers amis, son témoignage nous invite à faire grandir dans notre vie l’union avec le Seigneur, dans l’abandon confiant et total à sa volonté, ainsi que l’union avec l’Eglise, son Epouse. Puissions-nous être, nous aussi, des passionnés du Christ pour répandre son amour !
Je salue cordialement les pèlerins de langue française, particulièrement les lycéens de Toulon. Avec sainte Véronique, puissiez-vous dire de votre rencontre avec le Christ : « J’ai trouvé l’Amour, l’Amour s’est laissé voir » ! A tous je souhaite une bonne préparation aux fêtes de Noël.
© Copyright du texte original plurilingue : Libreria Editrice Vaticana
Traduction : Zenit