ROME, Mardi 14 décembre 2010 (ZENIT.org) – Le juge du tribunal correctionnel de Larbaâ Nath Irathen, près de Tizi Ouzou, en Kabylie, région de langue et tradition berbère en Algérie, a rendu dimanche son verdict contre quatre chrétiens du village d’Ath Atteli. Le pasteur de la petite communauté évangélique, Mahmoud Yahou, 43 ans, est accusé par la commission nationale pour les cultes non musulmans, d’avoir « ouvert un lieu de culte sans autorisation ».
D’après les informations du quotidien El Watan, trois des accusés – Abdenour Raid, Nacer Mokrani et Idir Haoudj – ont été condamnés à deux mois de prison avec sursis. Le pasteur Yahou, qui est également accusé d’« avoir hébergé sans autorisation » un pasteur français venu en Algérie pour une conférence, a été condamné à trois mois de prison avec sursis et à une amende de 10.000 dinars (environ 100 euros).
Selon le pasteur, cette accusation est incompréhensible. « J’ai toujours accueilli des invités étrangers depuis 2003 ; ils entrent légalement en Algérie avec un visa qu’ils obtiennent grâce à mon certificat d’aptitude à l’hébergement », a-t-il déclaré le 10 décembre au journal français La Croix.
L’énième procès contre des membres de la minorité chrétienne, ouvert le dimanche 28 novembre dernier, reflète la politique que suivent depuis quelques années les autorités algériennes en application de la loi n. 06-03 (ainsi que 06-02 bis). Connue également sous le nom d’ordonnance 06-03, cette loi, promulguée en février 2006, représente un véritable tour de vis à l’encontre des cultes non musulmans dans un pays qui, dans les années 90, avait fini dans le collimateur des fondamentalistes islamiques.
L’ordonnance soumet par exemple tous les édifices utilisés pour le culte à une autorisation gouvernementale et criminalise l’incitation (mais il manque une définition au mot « incitation ») à la conversion de personnes de religion musulmane et les tentatives de « secouer » leur foi.
Selon le gouvernement du président Abdelaziz Bouteflika (au pouvoir depuis 1999 et désormais à son troisième mandat), le décret est en totale conformité avec la Constitution algérienne, une affirmation contestée par divers observateurs sur place. « La norme crée une zone grise dans laquelle le gouvernement et la police a toute sa place pour agir contre l’Eglise. Elle permet au gouvernement de condamner les croyants pour leur foi ou pour culte illégal même si la Constitution garantit la liberté religieuse », a déclaré un expert qui a préféré garder l’anonymat (Compass Direct News, 5 octobre).
Même si le premier ministre Ahmed Ouyahia a déclaré le 21 octobre dernier devant l’assemblée nationale d’Alger que la liberté de culte (à noter, non la liberté de religion) serait « toujours garantie » dans le pays, les procès contre des membres de la minorité chrétienne et contre les musulmans qui ne respectent pas le ramadan sont désormais très fréquents. Le 8 novembre dernier, le tribunal correctionnel d’Akbou, dans la province de Bejaia, a acquitté huit musulmans qui avaient rompu leur jeûne durant le dernier ramadan, et à la mi-octobre un tribunal d’Oum El Bouaghi a condamné pour le même délit un jeune homme à une peine de deux mois de prison ferme et une amende de 100.000 dinars (environ mille euros) (AFP, 27 novembre).
L’obligation ou précepte du jeûne sacré durant le ramadan vaudrait également pour les non musulmans. Le 5 octobre dernier, une cour dans la ville d’Ain El-Hammam, dans la province de Tizi Ouzou, a acquitté deux chrétiens – Salem Fellak et Hocine Hocini, tous deux membres de l’Eglise protestante d’Algérie (EPA) – accusés de « ne pas avoir observer un précepte de l’islam ».
La police avait arrêté les deux hommes le 13 août dernier pour avoir déjeuner durant leur travail sur un chantier. Selon le juge, « aucun article (de loi) ne prévoit de poursuite juridique » dans le cas d’une inobservance du jeûne durant le mois sacré du ramadan (BBC, 5 octobre).
Le procès a été le premier du genre contre des citoyens non musulmans… « Nous pratiquons notre religion sous les pressions de l’administration », a relevé Mustafa Krikèche, de l’EPA, qui craint une nouvelle campagne contre leur confession (La Croix, 22 septembre).
Pour ce qui est de la question du jeûne islamique pour tous – non musulmans compris -, le débat houleux entre le quotidien El Watan et le haut Conseil islamique (HCI) d’Algérie, mérite une attention particulière.
L’organisme islamique avait dénoncé « des violations par certains individus du caractère sacré du mois du ramadan dans certains lieux du pays et les comportements immoraux manifestés par ces derniers dans des lieux publics ».
Pour le quotidien, ces accusations sont une distorsion des faits, un «dérapage dangereux » de la part de l’organisme. « Pourquoi avoir peur des convertis au christianisme? », interroge El Watan (10 octobre) qui, le 20 octobre dernier, avait publié un portrait du pasteur Hamid Guernine et raconté l’histoire de trois autres convertis (El Watan Week-end).
Les procès contre les non musulmans touchent généralement des membres de l’Eglise protestante ou des pentecôtistes, qui ont fini dans le collimateur des autorités, tout comme dans celui de fondamentalistes musulmans, pour leur « prosélytisme ».
En janvier dernier, des extrémistes musulmans ont dévalisé et incendié une église dans le chef lieu de la Kabylie, Tizi Ouzou. « L’intolérance islamiste estime qu’il n’y a pas de place pour la pratique religieuse chrétienne en Algérie », a dit le responsable de l’EPA, Mustafa Krim, en commentant les faits.
Pour le représentant protestant, cette « agression » est une conséquence de l’attaque armée contre un groupe de coptes qui, dans la nuit du 6 au 7 janvier 2010 ( Noël copte), avait provoqué à Nag Hammadi, en Egypte, la mort de six chrétiens (Associated Press, 11 janvier 2010).
Quelques jours avant l’assaut, la Tafat Church de Tizi Ouzou avait déjà essuyé des protestations et des actes de sabotage. Le samedi 26 décembre 2009 une cinquantaine de manifestants musulmans avaient bloqué l’entrée aux fidèles qui voulaient célébrer Noël, et le 30 décembre, l’édifice avait subi une coupure d’électricité (Compass Direct News, 31 décembre 2009).
Porter avec soi une Bible ou autres livres religieux peut suffire à vous faire comparaitre devant les juges. En mai 2008, un tribunal de la ville de Djelfa – chef lieu de la province du même nom – a condamné un converti de 33 ans à un an de prison avec sursis et une amende de 300 euros.
L’homme, un habitant de la ville de Tiaret, était accusé d’avoir « imprimé, entreposé et distribué » du matériel religieux interdit. Le converti, arrêté par la police à un poste de contrôle sur la route alors qu’il voyageait à bord d’un taxi avec d’autres passagers, transportait dans ses bagages une Bible et quelques livres religieux.
Le cas d’Habiba Kouider est emblématique. La jeune éducatrice, qui est une convertie, avait été arrêtée en mars 2008 par la gendarmerie de sa ville, Tiaret, alors qu’elle rentrait chez elle d’Oran en autobus, avec dans son sac plusieurs copies de la Bible et de l’Evangile.
Comme rapporté par le Figaro (27 mai 2008), durant la première audience le procureur a proposé un curieux marché, mais qui en dit long, à la jeune femme accusée de « pratiquer un culte non musulman sans autorisation. »
« Tu réintègres l’islam, et je classe le dossier ; si tu persistes dans le péché, tu subiras les foudres de la justice ! », avait menacé le magistrat. La femme a refusé « le marché » et attend encore aujourd’hui le verdict.
Comme l’explique dans un entretien au journal La Croix (19 juin 2008) l’historienne Karima Direche, qui
depuis 2005 se rend régulièrement en Algérie pour recueillir les témoignages de convertis au christianisme, un des problèmes est la grande visibilité des convertis dans l’espace public.
« Ne pas se cacher est un phénomène nouveau », a réaffirmé Karima Direche, experte d’histoire sociale et auteur du livre « Chrétiens de Kabylie 1873-1954 ». « Désormais les convertis ne font plus mystère de leur nouvelle appartenance religieuse et de leurs pratiques », a-t-elle ajouté.
Les foudres de la justice algériennes frappent aussi les hauts représentants chrétiens étrangers. La preuve en est la décision des autorités de ne pas renouveler le permis de séjour de l’ancien président de l’Eglise protestante d’Algérie (valable jusqu’en 2006), Hugh Johnson, résidant dans le pays depuis 1963. Selon le ministre des affaires religieuses, Abdallah Ghoulamallah, le refus de renouveler le permis de séjour et l’expulsion du pasteur méthodiste du territoire qui a suivi, n’ont « rien à voir » avec la campagne contre le prosélytisme. Des paroles peu convaincantes selon La Croix (7 avril 2008).
Dans tout cela, l’Eglise catholique s’avère la moins touchée ou exposée, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne subisse pas d’actions pénales de la part de la magistrature algérienne. La preuve en est le cas du père Pierre Wallez, défini par Camille Eid sur le journal italien Avvenire (10 février 2008), « la première victime » catholique de l’ordonnance de 2006.
Le prêtre d’origine française a été condamné le 30 janvier 2008 par le tribunal d’Oran à un an de prison avec suspension de la peine pour avoir « présidé une cérémonie religieuse en un lieu non reconnu par le gouvernement ». Comme l’a rappelé l’archevêque d’Alger de l’époque, Mgr Henri Teissier, le père Wallez ne faisait que réciter une prière avec un groupe de chrétiens du Cameroun, le 29 décembre 2007, et rien de plus.
Dans une tentative de « redorer le blason » du gouvernement, le ministre des affaires religieuses, Abdallah Ghoulamallah, a organisé à Alger, les 10 et 11 février derniers, un colloque dont le thème portait sur la « Liberté de culte, un droit garanti par la religion et la loi », et auquel participaient (après quelques temps d’hésitation) les chefs des Eglises chrétiennes d’Algérie, dont l’Eglise catholique.
Comme l’a souligné l’archevêque d’Alger, Mgr Ghaleb Moussa Bader, ce congrès a permis à « chacun de s’exprimer en toute liberté » (La Croix, 18 février). L’archevêque, originaire de Jordanie et juriste de formation, a rappelé aussi le côté positif de la loi de 2006, qui est de reconnaître l’existence de religions différentes de l’islam en Algérie.
Il a en même temps analysé la loi d’un point de vue critique et a fait quelques observations. « Ne serait-il pas temps de revoir cette loi ou de l’annuler ? » a-t-il demandé.
Comme l’écrit sur AsiaNews (17 février) le célèbre père jésuite islamologue, Samir Samir Khalil Samir, les paroles de Ghaleb Moussa Bader ont « profondément irrité » le ministre Ghoulamallah, qui n’a pas hésité à faire l’éloge des prédécesseurs de Mgr Bader, invitant ce dernier à en tirer des leçons et à leur demander conseil « sur ce que les algériens peuvent admettre et sur ce qu’ils ne peuvent pas admettre ».
Selon le père Samir, ce que demandent les Eglises d’Algérie – pays nord-africain où naquit et mourut un des plus grands Pères et Docteurs de l’Eglise, saint Augustin d’Hippone (354-430) – est peu de chose : être laissées en paix.
« Elles demandent, écrit-il, d’avoir le droit d’annoncer l’Evangile à chaque personne qui souhaite l’accueillir, de la même façon qu’il est permis d’annoncer le Coran et l’islam à quiconque ». Rien d’autre.
P.S. Comme l’a rapporté dimanche l’AFP, parmi les dix députés de l’Assemblée du peuple que le président égyptien Hosni Moubarak est en droit d’élire directement, sept appartiennent à la communauté copte. Le 28 novembre et le 5 décembre derniers ont eu lieu les élections législatives dans le pays.
Paul De Maeyer