ROME, Mardi 26 octobre 2010 (ZENIT.org) – Le vacarme du conflit israélo-palestinien fait passer sous silence la vie de la communauté chrétienne en Terre Sainte et ses problèmes. Et pourtant, la présence chrétienne en ces Lieux Saints est un devoir envers le passé, le présent et l’avenir.
Nous publions la deuxième partie de cette interview du père Pierbattista Pizzaballa, custode de Terre Sainte. Pour la première partie cf. Zenit du 25 octobre.
ZENIT : Au cours de la seconde conférence de presse du Synode, vous avez affirmé : « les temps du Synode ne sont pas les temps des journalistes ». Mais ce que penserait un chrétien moyen qui croit et aime l’Eglise comme réalité historique et pas seulement eschatologique peut être la suivante : si le Syn‘odos n’est pas « marcher ensemble » vers des objectifs planifiés et vers la réalisation du bien à faire aujourd’hui et non demain, tout cela ne se réduirait pas à une séance collective cathartique, bien qu’elle puisse être salutaire ?
P. Pizzaballa : Il est vrai que les temps de l’Eglise devraient être plus rapides. Mais ce ne sont pas les temps de la vie sociale, parce que dans la société il y a des changements très rapides que l’Eglise a du mal à digérer. Qu’il y ait aussi des problèmes dans les dynamiques de la vie de l’Eglise, il n’y a pas de doute. Qu’il y ait une certaine distance entre le territoire et les autorités de l’Eglise, cela aussi est vrai. Mais nous ne devons pas non plus trop démolir, avoir une vision trop critique ou trop repliée sur nous-mêmes. Malgré nos problèmes, nous devons aussi regarder le bien que l’Eglise réussit à faire à travers ses institutions, à travers les écoles, à travers beaucoup d’œuvres, mais surtout à travers de nombreux pasteurs, de nombreux laïcs qui s’engagent, qui se donnent, qui n’attendent pas les indications de quelqu’un d’autre mais qui, avec passion, avec amour, se consacrent au territoire et aux personnes qui vivent sur cette terre. Ces personnes ne font pas de bruit, mais elles sont celles qui font l’Eglise. Le pape a utilisé une expression très belle au début du Synode : c’est « la foi des simples » qui rend l’Eglise forte et grande. Il est vrai que dans certains domaines d’autorité de l’Eglise, on examine, on discute trop, et on a ensuite du mal à mettre en œuvre, notamment parce que la structure de l’Eglise est plutôt complexe. Mais il faut aussi regarder ce qui naît sur le territoire, et nous placer dans une perspective de foi : ce ne sont pas nos programmes qui vont sauver l’Eglise mais c’est avant tout l’œuvre de Dieu qui passe à travers la prière, la vie et la passion de nombreuses personnes.
Une des questions les plus urgentes pour les chrétiens du Moyen-Orient est celle des pèlerinages, née avec la déclaration de l’Etat d’Israël en 1948 et qui touche principalement les chrétiens arabes. Dans les discours parvenus à la presse, il ne semble pas que ce thème ait été abordé durant le Synode. Ne serait-il pas opportun, au contraire, que les évêques du Moyen-Orient unissent leur voix pour lancer un appel aux gouvernements de la région ?
Le pèlerinage vers les Lieux Saints des pays arabes n’a pas été évoqué directement pendant le Synode. Il en a été question indirectement dans l’invitation à faire tout son possible pour parvenir à la paix au Moyen-Orient. C’est aussi une perspective, bien sûr. Il faut dire qu’avec Israël, les Lieux Saints ont joui d’une liberté irréprochable, mais il est vrai aussi que le conflit israélo-palestinien ainsi que le conflit d’Israël avec les pays arabes a, de fait, fermé ce qui, traditionnellement, était ouvert à toutes les communautés chrétiennes du Moyen-Orient et qui regardaient la Terre Sainte comme une source spirituelle. C’est une blessure profonde qui demeure et pour laquelle nous devons travailler comme Eglise – même si nous n’avons peut-être pas beaucoup de pouvoir – et insister auprès de la communauté internationale pour que cet aspect soit pris en compte et que les frontières, les barrières qui sont aussi psychologiques tombent des deux côtés.
L’événement chrétien n’est pas un événement abstrait. Il est arrivé à une époque précise, et la Terre Sainte martyrisée est précisément son espace sacré. C’est pourquoi vous affirmez avec raison qu’« habiter dans cet espace est notre vocation ». Comment l’Eglise universelle peut-elle aider les chrétiens de Terre Sainte à rester et à quel changement/amélioration pensez-vous après ce Synode ?
Habiter les Lieux Saints est un devoir avant même d’être un droit pour tout chrétien et toute personne mais avec des modalités diverses. L’Eglise universelle doit habiter ces lieux, les « éprouver » en venant en pèlerinage en Terre Sainte. La communauté chrétienne en vivant dans ces lieux, en faisant mémoire des lieux où Jésus est né, mort et ressuscité, en vivant et en priant, en baptisant leurs enfants, en se mariant, en ensevelissant les morts. Ce n’est pas de la superstition, il ne s’agit pas seulement de rester dans ces lieux avec une dévotion sophistiquée, mais il s’agit de vivre dans ces lieux avec vitalité, en habitant la ville, en habitant les espaces, en apportant sa contribution comme chrétiens. Notre vocation de chrétiens est justement celle de lever le regard. Nous ne voulons pas être témoins du sépulcre vide du Christ : ecce locus ubi posuerunt eum (« voilà le lieu où ils l’avaient déposé »), dire cela c’est aussi lever le regard. Le message chrétien n’est pas un repliement dévotionnel sur le Saint Sépulcre, mais c’est un élan d’espérance parce que le Christ est ressuscité et que ce doit être notre contribution. Il y a des problèmes, il y a des conflits, il y a des incompréhensions, il y a des oppressions mais nous ne plions pas, nous regardons vers l’avant, parce que le Christ a fait le monde et que nous en sommes témoins.
La présence franciscaine en Terre Sainte est pluriséculaire. Elle fut officialisée par le Chapitre général de 1217, et fut considérée comme « la perle de toutes les provinces ». Quelle est la signification de votre présence et quels changements vous imposent les signes des temps actuels, auxquels s’ajoute le Synode pour le Moyen-Orient ?
La mission de la Custodie franciscaine de Terre Sainte est toujours la même : s’occuper des Lieux Saints – les pierres de la mémoire – et des pierres vivantes – la communauté chrétienne. Rester sur ces lieux, aujourd’hui, n’est pas populaire, parce qu’on parle beaucoup de communauté, d’assemblée alors que marquer son territoire a une importance capitale, surtout au Moyen-Orient. Donc, rester dans ces lieux même si personne n’y va, même s’ils sont isolés, même si ce n’est pas gratifiant. Rester là, simplement, et en célébrer la mémoire par la prière avant tout. Et puis rester avec la communauté chrétienne, avec les pierres vivantes parce que la société change, les jeunes changent, ils ont de nouvelles attentes, de nouvelles exigences, il y a une forte poussée de sécularisme, même au Moyen-Orient. Et avec la croissance du niveau économique, il y a aussi un éloignement parce qu’on a moins besoin de l’aide sociale de l’Eglise, alors qu’au contraire, une aide culturelle et spirituelle est encore très demandée. En ce sens, notre mission changera, mais en substance, elle reste la même.
Propos recueillis par Robert Cheaib